
Jean Vanier, fondateur de L'Arche : "Nous sommes tous fragiles !"
À quelques semaines de la 4ème édition du colloque "Fragilités Interdites ?" organisé aux Docks de Paris les 26 et 27 novembre par L’Arche en France, en partenariat avec Apprentis d'Auteuil, Jean Vanier, son fondateur, livre son expérience et sa vision des fragilités. Interview.
En 1964, vous fondiez L’Arche (*) pour aider les personnes avec un handicap. Cinquante ans plus tard, quel constat faites-vous ?
Des choses vont mieux, d’autres moins bien. Comme à chaque fois, faire bouger les gens de la tête au cœur prend du temps ! Et œuvrer pour la paix est toujours long. En 1964, c’était une vision un peu révolutionnaire car les personnes avec un handicap étaient très souvent mises dans des asiles, considérées comme des débiles, des idiots… Avoir un enfant avec un handicap était alors un drame !
En 2016, nous regardons les Jeux Olympiques et les Jeux Paralympiques auxquels participent plutôt les personnes avec un handicap physique. Les personnes avec un handicap mental, elles, se retrouvent dans de grandes rencontres, dans de belles fêtes dont certaines organisées par L’Arche qui compte, aujourd’hui, 150 communautés implantées à travers le monde.
Les choses changent très petitement mais la simplicité des personnes avec un handicap touche. Ce sont des hommes et des femmes extraordinaires, dans leur simplicité, dans leur ouverture, je dirais dans leur liberté d’être un peu fous. Nous sommes souvent obligés à nous contraindre à ce que nous devons faire. Ces hommes et ces femmes sont plus libres.
Que gagne-t-on à accepter leurs fragilités et nos propres fragilités ?
Nous sommes tous fragiles ! Nous sommes des êtres humains nés dans la fragilité qui, à chaque instant, peuvent avoir un accident, une maladie, des ruptures, etc., et nous allons mourir dans la fragilité. Accueillons ce que nous sommes. Ne prétendons pas que nous sommes autres, que nous sommes forts.
Quand nous nous acceptons nous-mêmes, nous acceptons la réalité, nous ne sommes plus dans une sorte d’idéal. Le vrai idéal est d’accepter l’autre tel qu’il est, avec ses dons, avec ses faiblesses, et de s’accepter tels que nous sommes avec nos dons et nos faiblesses. Revenons à la réalité, aimons-la et œuvrons pour qu’elle soit encore plus belle.
Pourquoi dites-vous que les personnes fragiles sont plus que jamais sources du mieux-vivre ensemble ?
Dans notre communauté de L’Arche à Bethléem, nous accueillons des chrétiens, des musulmans, les assistants sont, eux-mêmes, chrétiens ou musulmans. Tous sont heureux car ils vivent ensemble avec la même mission : faire tomber les murs pour se rencontrer.
Nous élevons des murs car nous avons peur, peur d’une personne âgée qui a perdu la parole, peur d’une personne avec un handicap un peu défigurée, peur d’un chômeur, peur d’un prisonnier, peur d’un groupe différent, peur d’un monde où les faibles sont très nombreux… Au lieu de les mépriser, ensemble œuvrons pour que chacun devienne pleinement, librement lui-même, et découvre ses dons, ses talents. Derrière le handicap, la culture, la religion, nous sommes tous des êtres humains plus beaux que nous n’osons le croire.
Qu’attendez-vous de ce colloque dont le thème est : "Liberté, Egalité, Fragilité : revisiter la Fraternité ?"
L’Arche s’entoure de grandes associations dont Apprentis d’Auteuil et accueille des acteurs du monde de l’entreprise, pour sensibiliser les différents secteurs de la société et élargir la réflexion à tous les types de fragilités. Les entreprises misent sur la compétitivité, la rapidité, le succès. Elles ne doivent pas oublier qu’elles réunissent des personnes humaines donc fragiles et fortes. Il n’y a pas d’un côté celui qui a des connaissances et de l’autre celui qui n’en a pas. Chaque être humain avec ses fragilités et ses forces, est mon frère ou ma sœur. C’est cela la fraternité. C’est extraordinaire !
(*) L’Arche est, aujourd’hui, une fédération internationale de 150 communautés implantées dans 38 pays sur les cinq continents. Dans ces communautés regroupant des maisons de taille familiale, un centre d’activité de jour et, parfois, un établissement et service d’aide par le travail (ESAT), des personnes avec un handicap et celles qui les accompagnent (salariés ou volontaires du service civique) partagent une vie commune.
Pour vous inscrire au Colloque "Liberté, Égalité, Fragilité : revisiter la Fraternité ?"organisé aux Docks de Paris, les 26 et 27 novembre, c’est ici. Retrouvez, ici, la vidéo de l'interview que Jean Vanier nous a accordée en 2013.