Jeunes et adultes de la MECS Havre Rose de Lima de retour de promenade
Protection de l'enfance
10 juillet 2025, modifié le 15 juillet 2025

Ma vie en Maison d'enfants : retrouver un cadre et une sérénité

A Apprentis d’Auteuil, plus de 11 000 jeunes sont accueillis et accompagnés au quotidien au titre de la protection de l’enfance, la très grande majorité, en Maison d’enfants. Des établissements qui aident ces enfants et ces adolescents souvent meurtris dans leurs émotions à grandir, à s’apaiser, à se projeter dans l’avenir. 

Ce mercredi, en fin d’après-midi, la chaleur est encore écrasante. Les enfants et adolescents accueillis à la Maison d’enfants à caractère social (Mecs) Le Havre-Rose de Lima, à Changé, près de Laval, se sont réfugiés sous les arbres, après avoir tenté une partie de ballon. Il fait beaucoup trop chaud pour s’agiter. Là, à l’ombre, dans le grand jardin de la Maison d’enfants, ils discutent, plaisantent, se chamaillent. L’été est là, les cours bientôt finis. Un peu plus tôt, Safia Marmouri, éducatrice spécialisée, a emmené un enfant pour un rendez-vous de dentiste, puis un adolescent voir son père en visite médiatisée, c’est-à-dire, dans un lieu de la protection de l’enfance et en présence d’un éducateur. 

Ouverte il y a un peu plus de vingt ans, Le Havre-Rose de Lima est un des exemples du renouveau des Mecs. Deux pavillons à un étage, reliés entre eux par une laverie et formant un L, héberge chacun une dizaine d’enfants et d’adolescents, filles et garçons, parfois des fratries. Des petits effectifs, un cadre familial, un environnement qui se fond dans le paysage local. Tout est pensé pour que ces jeunes s’y sentent bien. 
Avec ses 90 établissements et dispositifs de la protection de l’enfance, la fondation est présente dans 47 départements. « 80 % de notre activité en protection de l’enfance concerne l’accueil en Maison d’enfants, les 20 % restants représentent l’action éducative en milieu ouvert, précise Anne Werey, responsable du pôle Protection de l’enfance d’Apprentis d’Auteuil. Nous sommes reconnus pour la qualité de nos Maisons d’enfants, l'attention portée au quotidien, le sens de ce que l'on fait pour et avec l'enfant. Nous travaillons de plus en plus avec les familles, qui présentent des problématiques complexes. »

Deux enfants de la MECS Havre Rose de Lima font un jeu de société
Ambre et Ethan de la MECS Havre Rose de Lima font un jeu de société (c) Igor Lubinetsky/Apprentis d'Auteuil

Un environnement sécurisant

Bras dessus, bras dessous, Ambre 8 ans et Maëly, 11 ans, accompagnées par Mathieu, leur éducateur, rentrent au foyer. « Je suis venue au Havre-Rose de Lima, après avoir été dans deux familles d’accueil, car ma maman n’arrivait pas à gérer, explique Ambre. Je préfère vivre ici car je me sens en sécurité. Avant, dans mes familles d’accueil, j’avais tendance à m’enfuir dès que le portail était ouvert. » 
C’est maintenant le temps de la douche pour les petits et les grands. Ceux qui sont de service mettent la table : un petit tableau récapitulatif accroché dans la salle à manger rappelle à chacun l’ordre de passage pour les tâches ménagères. Les autres s’amusent : jeux de société ou de plein air, dessins animés dans le salon. Après le dîner, d’autres jeunes débarrassent, remplissent le lave-vaisselle, nettoient la salle à manger. « En moyenne, les enfants restent ici moins de trois ans à la Maison d’enfants, et la moitié d’entre eux retournent au domicile familial », explique Sylvie Blanlœil, la directrice.

Autour de l’enfant, un réseau de professionnels

L’accompagnement se fait en lien avec de nombreux partenaires : Aide sociale à l’enfance (service des Départements), établissements scolaires (les enfants sont maintenus autant que possible dans leur établissement), centres de soin ou de loisirs, clubs de sport, missions locales. « Nos objectifs d’accompagnement sont des propositions faites en toute transparence dans l’intérêt de l’enfant, en lien avec le juge des enfants et les parents, qui restent le plus souvent détenteurs de l’autorité parentale. Avec chaque jeune, nous plantons des graines, des graines dans lesquelles nous croyons. C’est essentiel pour moi que les jeunes que nous accueillons soient heureux », poursuit la directrice. 

Safia Marmouri, éducatrice spécialisée en apprentissage à la MECS Havre Rose de Lima en discussion avec Louna (15 ans) dans son lit
Safia Marmouri, éducatrice spécialisée en apprentissage à la MECS Havre Rose de Lima en discussion avec Louna (15 ans) dans son lit (c) Igor Lubinetsky/Apprentis d'Auteuil

Le travail d'orfèvre des équipes 

Ces scènes de vie sont quotidiennes dans les Maisons d’enfants de la fondation. Elles sont ponctuées de rires, de discussions, d’emportements, parfois de cris et de pleurs, d’échanges vifs et de confidences... Elles racontent quelque chose des jeunes vies qui se reconstruisent, parfois difficilement. Un grand nombre d’enfants présentent des profils complexes, des troubles de l’attention ou du comportement, qui nécessitent une attention particulière et des professionnels formés. Derrière ce rythme et ce cadre, qui se veulent les plus familiaux possible, le travail d’orfèvre des équipes, 24h sur 24 et 365 jours par an. Ce sont elles qui sont en première ligne pour évaluer les situations, encourager, valoriser, consoler les enfants, les faire grandir. 
Les éducateurs font également le lien avec les parents, les associent autant que possible aux décisions qui touchent l’enfant et organisent les visites, quand elles sont permises, dans le cadre fixé par le juge des enfants. La plupart des jeunes sont en effet confiés à Apprentis d’Auteuil par les Départements pour être protégés, en raison de carences éducatives, de drames familiaux ou de situations de grande précarité, via un placement judiciaire ou, plus rarement, une mesure administrative (voir encadré). 
C’est le cas de la maman de Monia, 3 ans, la benjamine de la Maison d’enfants Saint-François d’Assise de Strasbourg. « La maman a choisi de faire appel à la protection de l’enfance, car elle ne pouvait offrir un environnement stable à ses deux filles, explique Aurélie, éducatrice au pavillon des petits et des fratries. Monia a bien progressé. Aujourd’hui, elle parle, alors que ce n’était pas le cas à son arrivée en décembre. »

C'est l'heure du déjeuner chez les petits de la MECS de Strasbourg (
C'est l'heure du déjeuner chez les petits de la MECS de Strasbourg (c) David Betzinger/Apprentis d'Auteuil

Accompagner les jeunes vers l'autonomie

La Maison d’enfants Saint-François d’Assise accueille ainsi une quarantaine d’enfants dans cinq pavillons aux couleurs chaudes, ouvrant sur un grand jardin arboré. Le plus souvent, les fratries sont hébergées dans un même pavillon, sauf en cas d’écart d’âge important ou s’il en va de l’intérêt des enfants, au vu de leur histoire. « Notre rôle est d’accompagner les enfants vers l’autonomie, de leur donner un cadre pour qu’ils puissent grandir, poursuit Aurélie. Il faut savoir respecter les rythmes, les âges et les personnalités de chacun et en même temps, gérer un groupe d’une dizaine d’enfants qui vivent ensemble dans une maison sans l’avoir choisi. Ce n’est pas toujours facile. »
Après l’heure du goûter, que les enfants prennent dans le jardin, ils filent au poulailler dire bonjour à Pirouette, Roussette, Mira et Gertrude, les quatre poules de la Maison d’enfants, devenues leurs mascottes et qui jouent un grand rôle d’apaisement. La compréhension du placement, son acceptation, sont des points délicats à travailler dès les premiers temps. « Je suis ici depuis 2022 avec ma sœur Ambre, confie Jacques-Philippe. Le juge nous a placés ici car il y avait de gros problèmes du côté de mon père. Ici, j’ai mis un mois à m’habituer à la vie en collectivité. Il faut partager l’espace comme si on était une famille alors qu’on ne l’est pas... »

Le rôle essentiel des maîtresses de maison

La maîtresse ou le maître de maison, tout comme les éducateurs, assurent un rôle essentiel auprès des enfants, bien au-delà de la tenue de la maisonnée et de l’hygiène des enfants, de la préparation des repas. Richard Landelle, après vingt-sept ans comme charcutier-traiteur, a pris un tournant professionnel radical en devenant maître de maison en 2022. Père de trois enfants, entraîneur de rugby, il s’investit dans sa nouvelle mission : « Je veux les aider de mon mieux pour qu’ils s’en sortent dans la vie, en les traitant comme de enfants de leur âge, sans a priori. »

Pour accompagner ces enfants, les aider à s’exprimer, l’écoute des psychologues est aussi précieuse. Au Havre-Rose de Lima, Magali Boulot les reçoit de façon spontanée ou sur rendez-vous dans l’établissement durant ses jours de présence, les mardi, mercredi et jeudi. Au fait des parcours et du vécu de chaque enfant, elle se fixe un objectif de disponibilité et d’ouverture, sans jugement : « J’explique à certains jeunes le pourquoi de leur placement. Ils veulent comprendre, et découvrent souvent qu’ils pourront récupérer leur dossier à leur majorité. Un des points d’attention concerne aussi la gestion difficile des émotions. Beaucoup ont souffert de carences affectives. J’ai le sentiment de semer 10 kilos de gazon. De temps en temps, une jonquille pousse. »

C'est l'heure des devoirs dans le jardin de la MECS de Strasbourg
C'est l'heure des devoirs dans le jardin de la MECS de Strasbourg (c) David Betzinger/Apprentis d'Auteuil

Des enfants à fleur de peau

Le dîner est suivi d’un temps de détente. Avant le coucher, le moment est propice aux confidences. Un des garçons, placé depuis quatre ans à la Mecs, a encore de gros problèmes de comportement. Rivé à son doudou, il confie avoir harcelé une fille de son collège, avec laquelle il s’est depuis expliqué et réconcilié. Il sait que pour cette raison, à la rentrée, il ira au collège seulement l’après-midi durant quinze jours, le temps de progresser. « Je sens mon comportement s’améliorer, je fais de moins en moins de crises », souligne-t-il. « Le plus souvent, explique Safia Marmouri, les moments de frustrations, les crises, résultent des situations familiales : la maman est décédée, le papa est parti... Tout se joue au feeling. À moi de dire à l’enfant qu’il existe d’autres manières de faire, de s’exprimer, et que je suis, quoiqu’il se passe, à ses côtés. »
Benjamin, 18 ans, se projette dans l’avenir et va bientôt voler de ses propres ailes. En octobre, fort de son bac pro, il emménagera dans un studio à Laval pour exercer le métier qu’il a choisi, chauffeur-routier. Arrivé à la Maison d’enfants en 2015, à l’âge de 8 ans, il y a fait un long parcours, précédé du placement dans deux familles d’accueil dès ses 2 ans. « J'ai été très bien accueilli et rassuré dès le départ, raconte-t-il. Ici, j’ai appris que dans la vie, on n’a rien sans travail. Que je ne dois pas me confier à n’importe qui. Que la politesse est la clé de tout. Je sais rester respectueux. Je suis fier de m’en être sorti, d’avoir tiré sur la bonne corde. » 
Une insertion qui ne doit pas faire oublier tous les sortants de la protection de l’enfance, confrontés aux sorties sèches des dispositifs à leur majorité, et qui ont encore un grand besoin d’être accompagnés, épaulés, soutenu, conseillé. Comme n’importe quel jeune. Un des combats d’Apprentis d’Auteuil. 

Zoom
Les mineurs en danger peuvent être protégé via :
-une mesure administrative, avec l’accord des parents, qui contractualisent avec l’ASE 
-une procédure de protection judiciaire. Le juge des enfants est saisi par le Procureur de la République qui reçoit les signalements, par le mineur lui-même ou une autre personne, parent, tuteur, service en charge du mineur.  

À Apprentis d’Auteuil
-11 220 jeunes accueillis en Maison d’enfants à caractère social (Mecs), appelées aussi Maison d’enfants
-90 établissements et dispositifs de la protection de l’enfance
-Temps moyen d’un placement en Maison d’enfants : environ deux ans.
-Dispositif de soutien aux jeunes sortants de la protection de l’enfance, destiné à les accompagner vers l’insertion sociale et professionnelle : Les Toulines d’Apprentis d’Auteuil