Franck Audouy
Protection de l'enfance
28 février 2025

Le travail cousu main des éducateurs spécialisés en placement à domicile

D’abord animateur et directeur de structure socio-éducative, Franck Audouy, 47 ans, est devenu éducateur spécialisé à la Maison d’enfants La Providence, dans les environs de Cahors. Son intervention se fait directement au domicile des familles où chaque jeune est placé par l’Aide sociale à l’enfance, une modalité en plein essor.
Par Laure Naimski 

C’est à l’adolescence que Franck Audouy comprend qu’il veut, selon ses propres mots, « travailler au plus près de l’humain. » Ce cannois d’origine a trouvé son port d’attache dans le Lot, dans les environs de Cahors. Il y exerce depuis douze ans un métier qui se développe, celui d’éducateur spécialisé pour des jeunes placés dans leur famille.
Au plus près de l’humain... Son souhait d’adolescence s’est réalisé : tous les jours, Franck aide, soutient et accompagne ces jeunes dans leur parcours scolaire, leur éducation et leur quotidien (soins, administration, etc.), en lien étroit avec les familles : « Je suis davantage en contact avec les parents et travaille avec eux le lien parent-enfant et la parentalité », explique Franck Audouy.

Le plus souvent en binôme avec un autre éducateur spécialisé, il se rend régulièrement au domicile d’une dizaine de jeunes dont il est le référent sur la vingtaine que compte ce dispositif de la Maison d’enfants La Providence situé à Pradines. Si nécessaire, il y reçoit les parents. Il accompagne aussi les jeunes et/ou les familles lors de leurs rendez-vous médicaux, les audiences avec la juge du Département, les consultations avec la psychologue de la Maison d’enfants, etc. Il y assiste, si le jeune et la famille en formulent le souhait.

Aider les jeunes en situation de fragilité

La vocation de Franck Audouy s’incarne tout d’abord dans l’animation populaire auprès d’enfants et d’adolescents en établissements socio-culturels. Il revient sur ses débuts : « Je voulais leur apporter de la culture, car cela faisait parfois défaut dans l’environnement dans lequel ils grandissaient. L’idée m’est venue de monter des projets théâtraux. Cette activité m’a nourri, a enrichi ma pratique professionnelle et m’a permis de me sentir à l’aise devant des groupes et notamment, face à des ados qui pouvaient parfois être fragiles. »
Puis, il y a 16 ans, il bascule vers le métier d’éducateur spécialisé en intégrant la Maison d’enfants La Providence au début, comme éducateur au foyer de Pradines. L’établissement rejoint Apprentis d’Auteuil quatre ans plus tard, en 2012. « En me tournant vers ce métier, je voulais apporter une aide plus spécifique à des jeunes en situation de fragilité », précise cet homme de 47 ans, au regard doux, au sourire franc et à l’humilité chevillée au corps.
Il possède cette solidité et cet équilibre intérieur qui permet d’aller vers l’autre dans un métier exigeant « On ne le choisit pas par hasard. À certains moments, nous sommes secoués, car nous allons dans l’intimité des familles qui connaissent souvent des parcours chaotiques, qui sont souvent en souffrance. »

Franck Audouy, en visite chez une maman
Franck Audouy, éducateur spécialisé en placement à domicile, fait le point avec une maman dont l'enfant est accompagné par son service. (c) Apprentis d'Auteuil

S'appuyer sur les compétences et les atouts

Les familles, qui vivent en zone rurale autour de Cahors ou en centre-ville, sont de toutes catégories socio-professionnelles, avec des profils très divers. Il faut faire du « cousu main », précise-t-il, en travaillant au plus près des besoins et des attentes de chacune des familles : « Nous observons ce qui fonctionne ou pas et nous nous appuyons sur les aspects du quotidien qui fonctionnent, sur leurs compétences. Ce discours positif surprend, dans le bon sens, car la famille est souvent pointée du doigt pour ses dysfonctionnements. Ainsi, elle prend du recul et comprend la façon dont elle peut agir pour améliorer une situation de conflit, de manque de communication... Nous leur apportons un regard neutre, avec de l'empathie et une juste distance, toujours dans leur intérêt. »

Gagner la confiance

Les jeunes qu’il suit sont souvent déscolarisés, n’ont aucun projet, ne trouvent plus de sens à leur vie et ne communiquent plus avec leurs parents. « Certains souffrent aussi de problèmes d’addiction aux stupéfiants, à l’alcool ou encore aux jeux vidéo et ne sortent plus de leur chambre », explique Franck.
La première étape consiste à gagner la confiance des familles, souvent sur la défensive après avoir rencontré des travailleurs sociaux sans que la situation de leur enfant n’évolue positivement. Puis à leur permettre de s’exprimer. « Nous leur expliquons que nous n’allons ni les juger ni les contrôler, souligne Franck Audouy. Lorsqu’un enfant ou un jeune est en souffrance, il faut repérer la source de cet état. « L’enfant qui va mal est souvent le symptôme d’un dysfonctionnement familial », poursuit l'éducateur spécialisé. 
Les qualités indispensables dans son métier ? « L’empathie, la bienveillance et l’écoute active dans des familles où le besoin de parler est immense », résume Franck qui remarque aussi « une mésestime de soi, autant chez les parents que chez les jeunes. Les remobiliser sur ce point, leur redonner confiance en eux, constitue l’une des clés du succès. Il faut valoriser les réussites. »

Atouts et limites du placement  à domicile

Pour autant, il émet des réserves sur la pertinence de certains placements en famille. « La politique actuelle prône le maintien au domicile, notamment pour des questions de coût pour les collectivités, déplore-t-il. Parfois ce n’est pas opérant, c’est même contre-productif. Nous sommes témoins de relations entre parents et enfants qu’on peut qualifier de toxiques, de parents mal aimants. Certains voudraient bien faire, mais ne s’y prennent pas de la bonne façon. Résultat, ça ne produit par les effets escomptés. Certains parents peuvent être très destructeurs. »
Il lui est ainsi arrivé de demander à ce qu’un jeune soit retiré de sa famille afin de pouvoir grandir et s’épanouir.
Le plus souvent, pour autant, son intervention permet aux parents de prendre du recul par rapport à une situation difficile, conflictuelle, et d’agir sur ses causes « Mais nous ne sommes pas des magiciens ! précise Franck Audouy. Nous travaillons ensemble avec les familles à trouver des réponses et des solutions. Ce n’est jamais simple. »

Franck Audouy, à la MECS avec des jeunes
Franck Audouy avec des jeunes à la Maison d'enfants La Providence, dans le Lot (c) Apprentis d'Auteuil

La force de l'équipe

« Pour moi, la notion d’équipe est prépondérante, remarque Franck Audouy. La confiance et la connivence avec mes collègues participent à l’équilibre et au bien-être au travail. J’ai toujours eu des collègues bienveillants et soutenants. En outre, Apprentis d’Auteuil nous apporte les moyens pour bien travailler. Je participe aussi à des groupes de relecture de pratiques qui me permettent de me remettre en question et d’apprendre de mes erreurs. J’ai enrichi ma pratique professionnelle grâce aux rencontres nationales et aux formations proposées par la fondation. Enfin, j’ai intégré le pôle de formateurs d'Apprentis d’Auteuil Académie, l'école de formation de la fondation aux métiers de l’éducation. »

Des métiers en manque de reconnaissance

Parmi les réussites qui l’ont vraiment touché, celle d’un jeune de 18 ans qui a pu prendre de la distance par rapport à un conflit parental pour se recentrer sur son projet. « Avec nous qui avons fait office de tiers, il a pu mettre des mots sur les difficultés qu’il rencontrait avec ses parents. Aujourd’hui, ce jeune a un emploi et un appartement. Il a pu passer son permis. En zone rurale, le manque de mobilité est un frein puissant pour les jeunes dans leur recherche d’un apprentissage ou d’un travail », remarque l'éducateur.
Lorsqu’il considère sa carrière, lui qui a toujours mis du sens et de l’engagement dans son travail, a un regret : « En tant qu’éducateur, nous participons à l’équilibre de la société. Comme le personnel soignant, le monde du social et du médico-social manque de reconnaissance. » 
Face à cela, face à des situations familiales souvent complexes et douloureuses, il se ressource auprès de sa compagne et de ses enfants et pratique le basket, la guitare et la peinture. « Être devenu père m’a beaucoup aidé dans mon rapport à l’éducation », conclut-il.