Enfants placés : quand des jeunes déjouent un destin tout tracé
Dans son livre Vies imprévues, Florent Georgesco, journaliste au Monde, raconte les vies de cinq enfants placés car délaissés, battus, abusés. À 20-30 ans, reconstruits par leur volonté, l’intelligence et la bienveillance d’éducateurs, ils échappent à la fatalité. Leçons d’humanité, d’humilité et désirs de vivre.
Pourquoi vous êtes-vous intéressé à cinq jeunes placés dans des foyers ou familles d’accueil ?
Grâce à mon frère, éducateur spécialisé, j’ai souvent entendu des histoires d’enfants placés. Je les trouvais passionnantes et elles me laissaient une impression très différente - beaucoup plus contrastée - de l’image très sombre que les médias en donnent le plus souvent.
Il y a des drames, des insuffisances, des abus. Il faut le dire. Mais il y a aussi des enfants qui s’en sortent, comme les cinq dont j’ai eu la chance de croiser la route. J’ai eu envie de le raconter.
Ils ont beaucoup à nous apprendre sur le fait que, quand le travail des éducateurs est accompli avec intelligence et humanité, les foyers et les familles d’accueil sont des lieux de reconstruction. Ils ont également une expérience unique sur la vie, sur nos vies, que j’ai voulu transmettre.
Comment ces garçons et filles sont-ils devenus des adultes debout et épanouis ?
C’est tout le sujet de mon livre. Il n’y a pas de réponse unique et, au bout du compte, chacun trouve en lui et autour de lui les ressources dont il a besoin pour s’en sortir. Parfois, ces ressources manquent. Les enfants sont trop blessés. Ou ils ne trouvent pas autour d’eux, dans les foyers, les familles d’accueil, l’environnement dont ils avaient besoin. Rien ne peut se produire sans ce mélange : quelque chose de soi et quelque chose de la société, qui s’imbriquent et créent une dynamique.
Audrey, Jimmy, Schouka, Souleymane et Tricia ont eu les deux. Mais c’est un processus fragile. Tout s’est joué pour eux, étape par étape, avec des hasards heureux, des bifurcations soudaines, des rencontres décisives… C’est une aventure qui se raconte plus qu’elle ne s’analyse, car elle dépend d’individus - enfants et éducateurs - et de circonstances à chaque fois différents.
Vous parlez dans votre livre du temps à respecter pour chacun. Pouvez-vous l’expliquer ?
Les entretiens approfondis et répétés que j’ai eus avec les anciens enfants placés comme avec les éducateurs m’ont permis de mesurer l’importance de cette dimension. Quand on entre dans le détail de longues années passées dans les foyers ou les familles d’accueil, on voit à quel point rien n’est joué d’avance. Quelque chose, souvent, apparaît très tôt, un éveil, une disponibilité à aller de l’avant. Mais il faut parfois des années pour que ça se développe. Il y a des avancées, des reculs, des hésitations. Il faut y être attentif, ne pas être impatient, ne pas se laisser décourager.
Pour y parvenir il faut tout simplement rester là, auprès de l’enfant. Les enfants ne peuvent pas redonner leur confiance tous les six mois. Les éducateurs ne peuvent pas jouer tous leurs rôles s’ils ne sont que de passage.
Quelle leçon de vie ces jeunes adultes vous ont-ils donnée ?
Des leçons d’énergie, de vitalité, de ténacité, de lucidité très frappante dans leur manière de raconter leur vie. D’humour aussi, comme si avoir connu tant d’épreuves aidait à tout regarder avec une forme de distance. Plus que tout, ils n’ont pas accepté la fatalité. La plupart d’entre eux viennent de familles où le malheur se transmet de génération en génération. Cela semble ne jamais devoir s’arrêter. Eh bien, avec eux, ça s’arrête.
L’Aide sociale à l’enfance leur a permis de changer le programme, de créer de l’imprévu là où tout paraissait joué d’avance. Mes cinq interlocuteurs l’ont si bien compris qu’ils en ont fait un principe de vie. C’est ce que je cherchais auprès d’eux. J’ai été comblé.
Nathalie Le Guénec, directrice de la Maison d’enfants Sainte-Thérèse à Paris : « Dans l’accompagnement d’un jeune, il faut toujours trouver la petite chose positive. »
« Avant même qu’un enfant ou un adolescent ne soit accueilli à Sainte-Thérèse, nous veillons à connaître les raisons qui ont amené à son placement pour, très vite, commencer à travailler pour et avec lui, sans le contraindre à reparler de son passé, de son histoire. Au moins dans un premier temps.
Dans notre accompagnement, nous valorisons le jeune même pour une petite chose aussi infime soit-elle. Raison pour laquelle la Soirée de la réussite organisée chaque année, est si importante pour nous. Elle nous permet de féliciter chacun pour l’obtention d’un diplôme, de nouvelles compétences acquises, un changement de comportement ou tout acte positif du quotidien. Le jour où un jeune nous dit qu’il est fier de son espace, après avoir été sensibilisé à la propreté par la maîtresse de maison et les éducateurs, nous avons, tous ensemble, gagné. Adultes, nous avons cru en lui. Ses efforts et son évolution méritent une reconnaissance, une récompense.
Accompagner un jeune, c’est s’ajuster en permanence à ce qu’il vit, être sans cesse à son écoute même s’il peut, à un instant T, nous faire sortir de nos gonds. Lui apprendre aussi à s’auto-évaluer : qu’il soit en capacité de se rendre compte des bonnes ou des belles choses qu'il a faites. Et les partager.
Même si un jeune est très abîmé par la vie, va très mal, met en échec la relation avec les autres jeunes ou les adultes, dans notre rapport au juge des enfants, nous indiquons toujours la petite chose positive. Et ce, après lui avoir dit à lui et à sa famille. Tout se fait en transparence. Dans ce rapport, le jeune a lui aussi le droit de s’exprimer. En réaction à nos propos, en totale liberté.
Certains jeunes avancent à pas de géants. D’autres, tout doucement. Plus ou moins investis, en compagnie d’adultes bienveillants, tous avancent, à leur rythme, sur le chemin des réussites. »
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