Témoignages
06 juin 2019

Onkar, arrivé seul en France à 13 ans

Arrivé en France sans famille à l’âge de 13 ans, Onkar Singh est accueilli à la Maison d’enfants Saint-Jean de Sannois. Aujourd’hui, il a lancé son entreprise et créé trois emplois. Récit d’un parcours remarquable.

Onkar en plein de travail dans son entreprise. Photo : JP Pouteau/Apprentis d'Auteuil

Sans tarder, Onkar Singh fixe le dernier panneau de bois de la fourgonnette sur laquelle il travaille. Car ses clients, des professionnels pour lesquels il aménage des véhicules utilitaires, n’attendent pas. Sa prochaine réalisation ? Un van qu’il doit transformer en petit camping-car, pour un particulier cette fois. Depuis qu’il a ouvert son entreprise en mai 2016, le jeune homme ne chôme pas ! Il a même dû embaucher deux personnes pour faire face à l’afflux de commandes.
Son énergie, il la tire peut-être de son nom, « Singh », d’origine indienne, qui signifie « Lion ». Car en regardant ce jeune entrepreneur de 25 ans, difficile d’imaginer un destin si singulier, commencé à l’autre bout de la planète ! « Je suis l’aîné d’une famille pauvre originaire du Pendjab, une province du Nord de l’Inde. Mes parents étaient agriculteurs. Parfois, nous restions des jours entiers sans manger », raconte-t-il avec pudeur. De même, lorsqu’il évoque les disputes entre ses parents et ce père violent. « Dès 7-8 ans », il sait déjà que son avenir est ailleurs. « On voyait revenir au pays des personnes qui étaient parties en occident. Des frimeurs avec de beaux habits et de belles voitures ! Ça me fascinait même si, avec le recul, ces voitures ne devaient pas valoir plus de 2000 euros ! », s’amuse-t-il aujourd'hui.

Un périple à travers le monde

En 2006, il a alors 13 ans, sa décision est prise : Onkar veut partir aux États-Unis pour trouver un avenir meilleur. Faute de pouvoir réunir la somme exigée par le passeur pour rejoindre l’Amérique, il vise finalement « Paris, la plus belle ville du monde ! ». Le jeune Onkar prend l’avion jusqu’à Dubaï, puis continue son périple à travers le monde à pied ou en bateau. « Le voyage a duré deux mois ! Ça a été compliqué, d’autant que j’étais le plus jeune du groupe, se souvient-il avec émotion. Parfois, on ne mangeait pas pendant plusieurs jours. On dormait à la belle étoile dans les champs. » Arrivé en Grèce, il doit encore embarquer sur un bateau pour rejoindre l’Italie. Mais à 500 mètres des côtes italiennes, le bateau coule. Onkar a la vie sauve car il est l’un des rares passagers à savoir nager. Des années après, le souvenir est encore douloureux. En Italie, il monte dans un train et se retrouve un beau matin sur le quai de la gare de Lyon à Paris avec, comme seul bagage, son sac à dos.

Il cherche d’abord de l’aide auprès de la communauté sikh car il ne parle pas un mot de français. Puis, il travaille sur les marchés pour pouvoir manger et mettre un toit au-dessus de sa tête. « Je gagnais 15 euros par jour à l’époque. Pour moi, c’était énorme ! » Encore mineur, il se débrouille pour travailler sur les chantiers à transporter des sacs de ciment. « J’avais la rage de m’en sortir même si ça n’a pas toujours été facile. J’ai parfois été victime de racisme, compte tenu de ma couleur de peau. Quand ça arrivait, je souriais et je faisais comme si je n’avais pas entendu. »
Début 2008, sa vie prend un nouveau tournant. Voyageant sans ticket dans le RER, il est arrêté par la police. « Je leur ai expliqué que j’étais mineur et arrivé en France sans parent. Les policiers ont fait leur boulot. Je me suis mis à pleurer. Je n’avais qu’une hantise : que les policiers me renvoient en Inde après tous les efforts que j’avais faits pour arriver ici ! » 

« La décision la plus importante de ma vie »

Onkar à la Maison d'enfants Saint-Jean

Reconnu mineur non accompagné (MNA), le jeune Onkar est confié à l’Aide sociale à l’enfance qui le place dans un foyer d’urgence puis à la Maison d’enfants d’Apprentis d’Auteuil à Sannois. « C’était la première fois de ma vie que j’avais une chambre individuelle avec une douche. Ça m’a beaucoup touché parce qu’en Inde je n’avais même pas un lit pour dormir ! Mais, au début, je ne pensais pas rester à Saint-Jean. Je voulais surtout travailler et rembourser le crédit que mes parents avaient contracté pour mon voyage. Puis, un éducateur m’a dit : "Si tu pars, tu vas gâcher ta vie. Ici, tu pourras aller à l’école et apprendre des choses." J’ai réfléchi toute la nuit, puis j’ai décidé de rester. Ça été la décision la plus importante de ma vie ! »
À la Maison d’enfants Saint-Jean, il apprend le français et prépare un CAP de menuiserie. « J’ai adoré le travail du bois dès le premier jour. Poncer, lisser ça me faisait du bien dans la tête ! » Il fabrique des tables basses, des bibliothèques et devient rapidement premier de sa classe. « C’était un jeune travailleur, courageux et déterminé, se souvient Pauline Beydon, directrice de la Maison d’enfants Saint-Jean qui accueille à l’époque ses premiers mineurs non accompagnés. Il avait une capacité incroyable à apprendre la langue française. Il comprenait même l’humour et le second degré. Il travaillait le soir, le week-end pour mettre de l’argent de côté et se payer le permis de conduire. Il avait déjà un sens de l’entreprenariat assez développé. » Son CAP menuiserie en poche, il prépare un CAP menuisier installateur, en alternance cette fois, pour commencer à travailler. Une entreprise du Val-d’Oise le prend en apprentissage, puis l’embauche en CDI à l’issue de sa formation. Il y reste trois ans, puis apprend la gestion à la chambre des métiers.

Changer de regard sur les jeunes migrants

En mai 2016, il décide d’ouvrir son entreprise d’aménagement de véhicules utilitaires parce qu’il préfère « être son propre patron ». « Ça marche bien, dit-il avec le sourire. Je dois travailler 13 ou 14 heures par jour y compris le week-end. Mais j’aime le travail bien fait et je ne veux surtout pas décevoir les clients qui me font confiance ! » Depuis, il a embauché deux personnes. Et envisage de déménager l’entreprise  pour disposer d’un atelier plus grand. « Je tiens à dire merci à tous ceux qui m’ont aidé à la Maison Saint-Jean. Je voudrais rendre un jour tout ce que l’on m’a donné. Car si j’en suis là aujourd’hui, c’est grâce à eux. » Et le jeune ancien de poursuivre : « Je sais que les jeunes étrangers ont parfois une mauvaise image, lance celui qui a obtenu la nationalité française il y a trois ans. Mais je suis la preuve vivante qu’ils peuvent s’en sortir lorsqu’on leur tend la main ! »