Plaidoyer

Non, les jeunes en difficulté ne sont pas des "cassos" !

A l'occasion de la nouvelle campagne de publicité lancée par Apprentis d'Auteuil le 7 juin dans la presse, à la télévision et sur les réseaux sociaux, Jean-Marc Sauvé, président du conseil d'administration et Nicolas Truelle, directeur général, signent une tribune pour qu'enfin, la société toute entière change de regard sur les jeunes en difficulté.

Chez les jeunes et les familles en difficulté que nous accueillons à Apprentis d’Auteuil, le sentiment d’exclusion est omniprésent. Déjà lestés du fardeau de leurs expériences douloureuses – décrochage scolaire, ruptures familiales, précarité, maltraitance… - ils vivent de surcroît dans leur chair, dans leur tête, une assignation sociale implicite : « Je suis un cassos, un p’tit con, une mère indigne… et je le resterai toute ma vie ». Une image tellement intériorisée par les discours ambiants, par l’attitude de toute une société, et même par nos hommes et femmes politiques, qu’ils en viennent à confondre leur être intime et leurs difficultés. Ils le clament eux-mêmes : « J’ai des problèmes, je SUIS mes problèmes. On ne veut pas de moi ! »

Le poison de l'autodénigrement

C’est cet adolescent, placé en Maison d’enfants depuis le plus jeune âge, qui subit les moqueries de ses camarades de classe et les remarques blessantes des adultes l’assimilant à un délinquant. C’est ce collégien en échec scolaire, sûr d’être hermétique à tout jamais aux apprentissages. C’est cette jeune mère isolée, persuadée d’être incompétente, défaillante, incapable d’éduquer correctement son enfant.

Un sentiment de honte et d’impuissance finit par saper leur énergie vitale : à force d’entendre qu’on ne vaut rien, on finit par le croire. Insidieusement, les fragilités se creusent, l’estime de soi se lézarde. Inconsciemment, certains d’entre eux s’échinent à mettre en échec les dispositifs de raccrochage scolaire, le placement en famille d’accueil ou en Maison d’enfant… D’échec en échec, une machine infernale se met en route, alimentée par l’autodénigrement.

Le poids du déterminisme social

Pourtant si précieux, les dispositifs d’aide et nos politiques publiques contribuent, à leur corps défendant, à renforcer cette image négative en cernant, item par item, les failles dans les parcours. L’âge, les lieux de naissance et de résidence, le nom du père/de la mère, leur profession, le diplôme ou l’absence de diplôme, le statut marital… données aussi banales que chargées de sens, celui d’un déterminisme social qui, on le sait, pèse lourdement en France. Une étude de l’OCDE, parue en février 2019, a confirmé ce triste constat : il faut six générations en France à une famille aux revenus modestes pour atteindre le revenu moyen ! Les inégalités des chances se reproduisent à travers le système éducatif français et les générations.

Urgent d'agir tous azimuts

Cette situation ne peut plus durer. Il faut agir tous azimuts pour qu’enfin l’ascenseur social français redémarre et embarque à son bord tous ses enfants nés ici ou ailleurs. En agissant très en amont auprès des futurs parents en situation de fragilité économique et sociale, grâce à un accompagnement adapté.
En créant plus de places en crèches dans des quartiers à forte mixité sociale, couplées à une aide à la recherche d’emploi ou de formation pour le(s) parent(s) demandeurs. En poursuivant les efforts à l’école maternelle et primaire, véritables clés pour prévenir le décrochage scolaire. En permettant aux jeunes d’expérimenter, de se tromper, de changer de voie et d’orientation. En instituant une véritable culture de la bienveillance à l’école : moins de jugement, plus d’encouragement, pour faire des adultes confiants dans leurs capacités, ouverts aux autres, créatifs.
Certes le Plan pauvreté annoncé en septembre 2018 va dans le bon sens mais l’urgence est telle que, tous les jours, des enfants se retrouvent dans des situations dramatiques, des jeunes décrochent, des pères et des mères désespèrent, des jeunes gens, tout juste majeurs, se retrouvent à la rue. Que de destins gâchés par notre incapacité à agir vite et à prendre nos responsabilités ! Car nous sommes tous concernés : hommes et femmes politiques, élus, chefs d’entreprise, dirigeants d’associations, mais aussi simples citoyennes et citoyens…  

Les jeunes et les familles ont du talent

Changeons de regard sur les jeunes et les familles en difficulté : ils ont tellement de talent. Rien n’est jamais perdu. Nous en sommes persuadés, il n’y a pas de fatalité, dès lors qu’on prend en compte chaque enfant, adolescent ou jeune adulte dans sa globalité, sans le réduire à sa seule dimension scolaire, professionnelle ou sociale. Nous en sommes convaincus parce que nous en faisons l’expérience. Mais cela ne va pas de soi : il faut tout un travail pour permettre une rencontre avec chaque personne et trouver avec elle un chemin pour une vie épanouie. On peut y croire donc Il faut y croire. Avançons !