André Manoukian
Société
24 septembre 2025

André Manoukian : "La musique est une ode au vivre-ensemble"

Pianiste de jazz, auteur et compositeur, juré de Nouvelle Star (ancien télécrochet musical diffusé sur M6), André Manoukian mélange les arts pour porter loin et haut la musique et les mots, l’Orient et l’Occident, l’enracinement et l’ouverture au monde. À son image.

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Pianiste de jazz, auteur et compositeur, André Manoukian porte, à travers la musique et les mots, des messages extrêmement forts sur l’Orient et l’Occident, l’enracinement et l’ouverture au monde.

Le 10 octobre sort La Sultane, votre nouvel album imprégné de jazz, de musiques orientales et classiques, d’Arménie aussi. Que représente cet opus pour vous ?

Dans cet album, je me suis remis au piano pour exprimer la musique orientale la plus occidentale ou la musique occidentale la plus orientale du pays de mes ancêtres : l’Arménie. J’ai découvert un trésor, retrouvé un nouveau souffle d’inspiration. À travers un clip tourné en Turquie, j’ai voulu rappeler que les Arméniens ont vécu durant des millénaires en Turquie, l’ancienne Anatolie orientale. Dans leurs ateliers, leurs écoles, leurs universités et églises, ils ont contribué à la vie économique, culturelle et spirituelle de l’Empire ottoman. 

Durant la Première Guerre mondiale, 1,5 million d’Arméniens ont été déportés et exterminés. Partout dans le monde, à tout moment, la folie des hommes peut anéantir des siècles d’histoire, de culture et de civilisation. Par la musique, j’avais envie de restituer ce passé pour ne pas être amputé de mes racines. J’ai voulu célébrer la musique, l’harmonie, une ode au vivre-ensemble.

Qu’auriez-vous envie de dire aux jeunes qui peuvent se sentir déracinés, entre deux rives ?

Chacun peut tenter de faire d’un déracinement une esthétique, un art. Aux États-Unis, cela s’appelle le blues ; au Portugal, le fado ; en Grèce, le rebetiko ; en Argentine, le tango. Ces musiques ne sont qu’émotions. 

Comment avez-vous goûté à la musique ?

Il y a toujours eu un piano à la maison. À 6 ans, j’ai pris mon premier cours de piano classique à Lyon, avec Alexandre Siranossian, musicien, chef d’orchestre, référence en musique arménienne. À 13 ans, j’ai découvert le jazz et le ragtime (style de musique afro-américaine considéré comme ancêtre du jazz, ndlr). J’ai étudié six mois la médecine pour faire plaisir à mon père qui en rêvait et puis, à 20 ans, je suis parti pour Boston, apprendre sérieusement les compositions, les improvisations et les arrangements au Berklee College of Music. Je ne pouvais plus jouer la comédie !

On sent chez vous une gourmandise des mots. Comment la nourrissez-vous ? 

Tout est dans l’art du conte. Je tiens cela de ma grand-mère et de mon père. Déportée dans le désert syrien, ma grand-mère a vu le commandant turc dire sa prière cinq fois par jour. « Tu es un homme de foi, lui a-t-elle lancé. Comment peux-tu accepter ces horreurs ? » Tous deux étaient sur la même longueur d’ondes. « Tant que je serai commandant de ce convoi, tu seras sous ma protection », lui a-t-il répondu. 

Quant à mon père, il me contait L’Illiade et l’Odyssée d’Homère pour que l’enfant sans appétit que j’étais, mange. Il me racontait aussi beaucoup d’histoires en randonnée pour me faire avancer. 

L’oralité est au cœur de ma culture. Raconter, c’est gagner du temps sur la mort, c’est partager ce que vous venez de découvrir, tellement c’est dingue, tellement cela peut résonner chez les autres. 

Cette idée de transmission est essentielle pour vous ! 

Vitale même ! Entre musiciens, on joue, on découvre sans cesse des accords, des œuvres. On ne peut pas tout garder pour soi, on doit partager pour le plaisir, les émotions, les vibrations. 

Plus prosaïquement, quand j’ai débuté dans le métier, j’ai fait des rencontres éclairantes, déterminantes. Ce serait criminel de ne pas aider à mon tour. 

Avez-vous un message à transmettre aux jeunes qui souhaitent vivre de leur passion ?

Trouver sa passion, c’est 50% du boulot ! Pour le reste, même si vos débuts en phase d’apprentissage vous sembleront longs ou rébarbatifs, vos premiers « boulots » purement alimentaires, consacrez-vous à 100% à votre passion. Avec toute l’énergie de la jeunesse. Gardez l’enthousiasme d’un enfant qui découvre un jouet.

Bio express

  • 9 avril 1957 Naissance à Lyon
  • 1963 Ma rencontre avec Alexandre Siranossian, mon professeur de piano
  • 1977 Ma rencontre avec Fats Waller, pianiste et compositeur américain, artiste du ragtime et du stride piano où la main droite improvise
  • 1984 Ma rencontre avec Liane Foly dans mon studio. Elle possède le plus bel instrument du monde : la voix
  • 2010-2013 Ma rencontre avec la musique de mes ancêtres, lorsque je compose la musique du documentaire Arménie, l’autre visage d’une diaspora
  • 10 octobre 2025 Sortie de l’album La Sultane (Va savoir – PIAS France) 

L'enfance d'André Manoukian

« J'ai eu une enfance heureuse. J'aimais retrouver mes cousins - une tribu ! - à la campagne dans le Dauphiné. Nous allions nous perdre dans les bois. C'était la fête des enfants ! Jamais je n'oublierai mon premier cours de piano avec Alexandre Siranossian, mon professeur. J'avais 6 ans. Plutôt que de me faire toucher le clavier, il m'a fait respirer en posant les mains sur les genoux. L'inspiration, un geste fondamental pour moi. »