
Prévenir le décrochage scolaire grâce à l'innovation pédagogique
Pour répondre aux besoins des jeunes accueillis dans les établissements scolaires et de formation d’Apprentis d’Auteuil, souvent fragiles dans leurs apprentissages et en difficulté dans leur scolarité, la fondation mise sur l’innovation pédagogique. Un élan, une dynamique qui ouvre à la communauté éducative les voies de la créativité, de l’audace et du partage d’expérience pour faire bouger les lignes et permettre que les jeunes retrouvent le goût et l’envie d’apprendre.
Photo d'ouverture : Philippe Besnard/Apprentis d'Auteuil
Un matin, à l’école Pier-Giorgio-Frassati, située à Saint-Cyr-l’École, en région parisienne. Rien ne distingue à priori cet établissement d’un autre. Et pourtant, à y regarder de plus près, tout l’éloigne d’une école classique. Dans les classes à effectif réduit, accueillant 10 à 15 élèves, certains sont assis sur des sièges ballons ergonomiques, d’autres lisent ou travaillent tranquillement, casque anti-bruit sur les oreilles. Au mur, un grand tableau récapitule les différents niveaux de ceintures de comportement et où en est chaque enfant. À chaque couleur de ceinture, un niveau d’autonomie qui ouvre à des droits et fait la fierté des élèves. « J’aime bien, s’exclame Ydriss, 10 ans. Ça me montre et ça montre aux autres mes progrès et ça me donne des avantages. Avec la ceinture blanche, je peux utiliser la trottinette et aller aux toilettes tout seul pendant la classe. »




Lutter contre le décrochage scolaire précoce
Annexe de l’établissement principal situé au Vésinet, l’école Pier-Giorgio Frassati accueille des enfants en situation de décrochage scolaire précoce. Ils y passent environ deux ans, le temps de reprendre pied. Souffrant de retard scolaire global ou de phobie scolaire, souvent troubles du langage, de l’attention ou du comportement, les enfants peinent dans leurs apprentissages. Forte d’une équipe aux compétences multiples (enseignants, éducateurs spécialisés, accompagnants d’élèves en situation de handicap), l’école s’appuie sur une pédagogie innovante pour surmonter ces obstacles et leur permettre de réintégrer ensuite le système scolaire classique.
Un suivi individualisé
Le suivi est véritablement individualisé, même si le collectif et la responsabilisation des élèves revêtent une importance forte. « Pour permettre leur implication, nous utilisons différents outils dont du mobilier adapté, les classes thématiques (foot, cuisine, ferme, théâtre), les ceintures de comportement ou encore le conseil hebdomadaire de classe qui réunit le vendredi après-midi des représentants des élèves, explique Maxime Michel, le directeur, également enseignant. Ils peuvent proposer leurs idées pour améliorer la vie de la classe et de l’école, initier des projets, féliciter des camarades, régler des conflits. »
La famille, partenaire de l'école
La souplesse est de rigueur : si les matinées sont réservées aux groupes de besoins en français, maths et géométrie, pour laisser la place l’après-midi aux sciences et au sport, l’établissement réserve la possibilité à chaque élève, selon sa situation, de rester en lien avec son école d’origine en y allant le matin pour les matières principales. Enfin, la famille est un partenaire central et le dialogue avec elle constant. Aziza Mourhamir, maman de Nabil, 8 ans, souligne : « Dans son ancienne école, mon fils avait des troubles du comportement. Depuis février dernier, il vient tous les jours ici et respecte davantage les règles. Nabil a retrouvé le goût d’aller à l’école, il court même pour y aller et demande à rester à l’accueil du soir pour y faire ses devoirs. »


Un monde et des besoins qui évoluent
À la fondation, qui accueille depuis ses origines des jeunes dont la grande majorité se trouve en grande difficulté sociale et scolaire, la recherche de solutions pour leur permettre de trouver du sens aux apprentissages et de renouer avec l’école est inscrite dans les pratiques pédagogiques. Le projet stratégique 2022-2026 d’Apprentis d’Auteuil en a fait un de ses axes majeurs d’action et de réflexion : « Renforcer le goût, la joie et la fierté d’apprendre ».
Pour cela, différentes pistes sont explorées pour renforcer la dynamique d’innovation pédagogique avec des programmes nationaux comme Echo ou Learn (voir encadré), pour utiliser à bon escient les outils numériques comme un atout pour les enseignants et un moteur pour les jeunes, et pour consolider le lien entre l’école et les familles.
Inventer d'autres voies pédagogiques
Sur le terrain, les enseignants le constatent, il faut inventer d’autres chemins. « Quand je vois le public que j’ai aujourd’hui, si je n’innove pas, si je ne leur propose pas des contenus plus interactifs, je ne peux pas les raccrocher », souligne une enseignante, lors d’une session nationale consacrée au sujet. « L’innovation, c’est oser, dépasser sa zone de confort. Mais aussi accepter d’être déçu. Aucun chercheur n’a trouvé direct. Le monde est sans cesse en train de bouger ! », enchaîne un autre.
C’est ainsi que sont nées des initiatives, comme celle de l’école hors des murs à Notre-Dame de Lourdes, de Civrieux-d’Azergues, près de Lyon, où une partie des cours se fait dans la nature (voir photo). Ou encore le suivi des élèves au collège Saint-Louis de Cesson-Sévigné, près de Rennes, avec une évaluation positive fondée sur l’acquisition des compétences et des savoir-être, le décloisonnement des classes, la responsabilisation des élèves, la dynamique du « Penser et agir ensemble » qui entraîne adultes, jeunes et familles dans la réflexion et la mise en place d’événements pour structurer la vie de l’établissement.



Une évaluation fine et régulière
Au collège Saint-Philippe, à Meudon, dans les Hauts-de-Seine, l’innovation pédagogique est aussi à l’œuvre avec des classes de quatrième et de troisième. Celles-ci sont organisées en groupes de compétences : apprenti, initié et expert. Cheinez, 15 ans, raconte sa transformation : « Je me sens tellement mieux que l’année dernière à la même époque. En grande difficulté dans mon collège, je me voyais couler. Je venais d’être diagnostiquée multi dys (dyslexie, dyspraxie, dyscalculie, ndlr), et j’étais très inquiète. Aujourd’hui, je n’ai plus honte de mes lacunes et surtout, je vois mes progrès. »
Des groupes de compétences où l'élève évolue
Les groupes en maths et en français permettent de rassembler les élèves selon leurs besoins et en fonction de leur maîtrise de compétences précises et identifiées (et non en fonction du niveau global). Par exemple, la compréhension d’un texte, l’acquisition du vocabulaire associé, la résolution d’un type de problème mathématique... Le point est fait régulièrement. « L’objectif est de les faire avancer à leur rythme, avec une approche la plus individualisée possible », souligne Philippe Dia, professeur de français. Une méthode qui demande de la souplesse, de l’adaptation et qui satisfait les enseignants, ouvrant la possibilité d’un suivi plus individualisé, d’évaluations plus fines et régulières.
« L’élève gagne du temps, complète Philippe Dias, il se sent moins noyé. En l’espace de trois ans, les résultats au brevet ont énormément grimpé, de 35 à 85 %. » Pour les élèves, la méthode est efficace, même si elle nécessite plus d’explications sur les affectations dans chaque groupe et le rythme de progression. « Je trouve cette manière de travailler très intéressante car on est moins nombreux, dix élèves maximum par groupe, analyse Cléa, 16 ans. Je progresse davantage et je n’hésite pas à demander l’aide des profs quand je ne comprends pas. Je participe plus facilement en cours devant la classe entière. »

Pour les lycéens, de nouvelles approches
Les lycées agricoles et lycées professionnels à Apprentis d’Auteuil sont eux aussi concernés par l’innovation pédagogique au service des élèves et de leur insertion future dans la vie professionnelle. Avec ces grands adolescents, qui eux aussi, peuvent montrer des fragilités dans les apprentissages et ont pu connaître des parcours scolaires heurtés, une approche nouvelle est nécessaire, et elle passe bien souvent par l’utilisation de nouvelles technologies.
Le lycée professionnel Saint-Antoine, à Marcoussis, en région parisienne, utilise l’open badge, un outil numérique plus détaillé qu’un CV classique et qui permet un partage des aptitudes, des connaissances, des compétences et des réalisations, connectant le jeune au marché de l’emploi.
Certains, comme le lycée professionnel Saint-François-Xavier, à La Réunion ou celui du campus Saint-Lubin à Caussade, près de Montauban, ont utilisé la méthode du design thinking pour questionner leurs pratiques pédagogiques et trouver de nouvelles pistes. Ainsi, au campus Saint-Lubin, qui forme aux métiers de la métallerie et de la soudure (CAP et bac pro par voie scolaire et par apprentissage), une partie des emplois du temps des élèves ont été individualisés. « C’est une expérimentation pédagogique que nous réajustons cette année : elle rassure les élèves et les motive. Elle nécessite cependant beaucoup d’organisation et de suivi, explique Cédric Dias, référent pédagogique. Pour tous, des cours en commun le matin et la possibilité de choix pour les après-midis. » L’établissement privilégie l’apprentissage par pédagogie de projet et le plus souvent, par la pratique en atelier : les élèves expérimentent, se trompent, réessayent, et reviennent ensuite à la théorie en classe.
Accompagner vers l'insertion professionnelle
La réalité virtuelle a fait également son entrée dans l’établissement, à la fois dans la pratique professionnelle et dans les savoirs théoriques. Les élèves en CAP métallerie et soudure utilisent un simulateur de soudure, à la fois outil de découverte et d’initiation au métier. Chaque élève obtient un score de réussite qui l’incite à s’améliorer. Un casque de réalité virtuelle est mis à disposition des élèves préparant des titres professionnels, comme à ceux en bac pro pour les cours de physique-chimie. « Compte tenu des jeunes fâchés avec l’école que nous accueillons, nous ne pouvons pas utiliser des méthodes d’enseignement traditionnelles, souligne Cédric Dias. Nous devons innover pour leur donner envie d’apprendre ou de reprendre une formation. C’est indispensable. C’est ainsi qu’il se sentent impliqués, écoutés, et qu’on peut les accompagner au mieux vers leur insertion professionnelle. »
ZOOM
À Apprentis d’Auteuil
- 12 700 élèves
- 58 établissements scolaires, allant de l’école maternelle au lycée général, professionnel ou agricole (chiffres du rapport d’activité 2024)
Des programmes
- LEARN, sur la rénovation des pratiques pédagogiques
- ÉCHO ou école coopérative heureuse et ouverte, une dynamique engagée par Apprentis d’Auteuil pour transformer l’école et renforcer le goût d’apprendre.
Son ambition :
-favoriser l’expérimentation pédagogique
-organiser partage et mutualisation des pratiques
-évaluer l’action transformante du cadre méthodologique
À lire dans la même thématique