Une élève de primaire
Education et scolarité
23 octobre 2025

Rémi Casanova : « Quand un enseignant croit en son élève, tout redevient possible »

INTERVIEW. Rémi Casanova, chercheur et enseignant, intervient régulièrement auprès des équipes éducatives d'Apprentis d'Auteuil. Pour ce pédagogue, enseigner, c’est redonner le goût d’apprendre, replacer l’élève au cœur des apprentissages, instaurer la confiance… Mais surtout, remotiver les jeunes. Le point deux mois après la rentrée scolaire.

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Rémi Casanova est enseignant et chercheur. Il pense qu’il faut aider les élèves à aimer apprendre. Pour lui, innover à l’école, c’est redonner envie d’apprendre, faire confiance aux élèves, éviter que les jeunes quittent l’école trop tôt.

Qu’est-ce que transmettre le savoir à l’école d’aujourd’hui ?

Rémi Casanova
Rémi Casanova (c) DR

À mes yeux, la transmission du savoir, l'innovation pédagogique, ne consiste pas à créer des méthodes spectaculaires, mais à donner aux élèves le goût d’apprendre et la confiance en leurs propres capacités à progresser, y compris dans les situations difficiles. 

Ce qui nécessite de réfléchir à la meilleure façon d’accompagner les jeunes vers plus d’autonomie et de responsabilité, en ajustant en permanence ses pratiques aux besoins et à la personnalité de chacun. 

Quand une pratique s’adapte à eux, ils retrouvent confiance et peuvent progresser à leur propre rythme.
 

Qu’est-ce qui bloque encore le changement ?

Souvent, c’est le cadre très rigide de l’institution, mais aussi la peur du nouveau, ou de l’échec. Innover, changer, vouloir le meilleur pour ses élèves, c’est accepter de tâtonner, d’essayer, parfois de se tromper. Or, l’école n’a pas toujours cette culture de l’expérimentation.

Certains enseignants aussi sont épuisés ou découragés, faute d’accompagnement réel. On leur demande d’innover, mais sans leur donner le temps, les moyens ou la formation nécessaire.

Enfin, il y a une tendance à chercher des responsables plutôt que des solutions. 

Vous évoquez régulièrement cette question des responsables. Vous pouvez nous en dire plus ?

Ce mécanisme très humain, le « bouc émissaire », est destructeur. Lorsqu’il y a des tensions, des échecs ou des crises dans une classe ou une équipe, un groupe peut avoir tendance à désigner une personne comme responsable : un élève jugé difficile, un enseignant, parfois même un parent. En concentrant tous les reproches sur cette figure du « coupable », on évite de se confronter aux vraies causes du mal-être collectif.

Ce processus empêche la réflexion partagée et entretient la méfiance. Pour en sortir, il faut apprendre à redéfinir les problèmes de manière collective, à dialoguer sans jugement, et à remettre du lien. C’est seulement dans un climat apaisé et solidaire que les apprentissages peuvent redevenir fructueux.

Une professeur des écoles avec des élèves de primaire
L’école doit être un lieu où l’enfant se sent considéré, écouté et respecté. (c) iStockPhoto

Pourquoi les jeunes décrochent-ils ?

Essentiellement parce que l’école demeure prisonnière d’un modèle hérité d’un autre temps, centré sur la seule transmission descendante du savoir. Ce modèle ne correspond plus à notre monde ultra connecté, où les jeunes apprennent partout, tout le temps, souvent en dehors de l’école.

Beaucoup d'entre eux ne se reconnaissent pas dans cette école qui valorise un seul type d’intelligence, celle des bons résultats académiques. Et ils se sentent exclus du système dès le début, « décrochant » avant même d’avoir mis un pied dans une salle de classe, parce qu’ils ne voient pas de lien entre ce qu’ils apprennent et leur vie réelle.

Il faut repenser le lien entre l’école, la famille et la société, redonner du sens aux apprentissages et du plaisir à comprendre !
 

Comment faire ?

La clé, c’est, me semble-t-il, d’abord la confiance. L’école doit être un lieu où l’enfant se sent considéré, écouté, respecté. Il a besoin d’un cadre à la fois clair et bienveillant, avec des règles cohérentes et des adultes stables, et d'un climat dans la classe où l’erreur est perçue comme une étape d’apprentissage et pas comme une faute.

Ensuite, il faut redonner du sens à l'apprentissage. L’élève doit comprendre pourquoi il apprend, et comment cela peut l’aider à se construire.  En reliant les apprentissages à des projets concrets, à la vie quotidienne, on crée un lien précieux avec le savoir et on donne envie aux enfants de s'investir à l'école.

Jeunes collégiens
Selon Rémi Casanova, beaucoup de jeunes décrochent à l'école, parce qu’ils ne voient pas de lien entre ce qu’ils apprennent et leur vie réelle. c) iStockPhoto

Plus concrètement, quelles initiatives faciles à mettre en place fonctionnent ? 

Les accueils ritualisés chaque matin, qui  instaurent un temps régulier où l’enseignant et les élèves prennent le temps d’échanger sur leur état intérieur, partagent des impressions ou des petites actualités personnelles. Ces moments permettent aux enfants d’entrer progressivement dans la journée, de se sentir considérés, d’instaurer une ambiance sereine et propice à l’attention...

Autre proposition, la gestion collective des conflits, qui repose sur l’idée que chacun fait partie du groupe et a son mot à dire. Plutôt que de sanctionner ou d’ignorer les problèmes, l’enseignant est invité à prendre le temps de réunir les élèves concernés, à les encourage à exprimer ce qu’ils ont ressenti et à les amener à chercher ensemble une solution. 

Le travail en petits groupes favorise également la participation active et le développement de compétences variées. Les élèves apprennent à coopérer, à se répartir les tâches, à écouter ou à expliquer aux autres...

8 % de jeunes sortent encore de l'école sans diplôme aujourd’hui en France. Que nous disent ces chiffres ?

Ce chiffre révèle une réalité préoccupante : l’école ne parvient pas encore à accompagner tous les élèves jusqu’à la réussite. Derrière ces 8 %, il y a des jeunes souvent fragilisés par leur contexte social, familial ou personnel. Certains vivent des situations d’exclusion, d’autres ont perdu confiance en eux très tôt à cause de l'école. Pour changer cela, il faut une mobilisation de toute la société.

Finalement, pour vous, qu’est-ce qu’enseigner ?

C’est avant tout croire en la capacité de tout élève à progresser, un processus profondément humain, qui ne dépend ni du milieu social, ni du parcours initial... C'est aussi aider l'enfant à faire ce chemin de comprendre qu’il a les ressources en lui pour réussir. Quand un enseignant accompagne ses élèves dans leurs hésitations, tout redevient possible. Tous les enfants sont éducables. Cette conviction me guide chaque jour. 
 

RÉMI CASANOVA

Rémi Casanova est enseignant-chercheur à l’université de Lille (laboratoire CIREL) et a travaillé plus de vingt ans comme enseignant et directeur dans le médicoéducatif. 

Il a beaucoup publié sur la violence à l’école et la « pédagogie d’institution » dans les situations difficiles. Il connaît bien Apprentis d’Auteuil puisqu’il y intervient régulièrement en formation auprès des enseignants. 

Enfin, il a co-dirigé un ouvrage universitaire sur la question du décrochage scolaire à la fondation : "Apprentis d’Auteuil face au décrochage scolaire. Chronique d’une institution pédagogue", par Cécile Perrot, Sébastien Pesce, Rémi Casanova, éditions Champ social, novembre 2022