
Chrystal, doctorante en chimie : "le placement a été ma chance."
Future doctorante en chimie, Chrystal Lopes est une jeune femme solaire et déterminée. De son enfance chaotique, elle se souvient de tout et retient surtout la chance qu’a représenté son placement à la Maison d’enfants Providence Miséricorde de Rouen.
Chrystal Lopes. Derrière ce nom et ce visage souriant, une jeune femme prometteuse de 25 ans. Chrystal est chimiste et prépare actuellement sa thèse de doctorat à l’université de Rouen, qu’elle a eu le mérite de mettre à la portée du commun des mortels lors du concours de vulgarisation « Ma thèse en 180 secondes ». Un vrai défi relevé haut la main, puisque Chrystal a terminé parmi les finalistes.
Ce matin, un grand soleil illumine la ville aux cent clochers. La jeune femme a donné rendez-vous dans un café du centre de Rouen. Installée en terrasse, elle raconte le contexte qui l’a amenée, à 15 ans, à demander son placement. Deuxième d’une fratrie de quatre, Chrystal vit en 2014 au domicile maternel avec son grand frère, qui souffre de troubles psychiques, et deux petits frères. Elle et son aîné sont déjà suivis depuis plusieurs années par les services sociaux, suite au signalement d’une assistante sociale. « J’étais dans une famille pas top... résume Chrystal. Je n’avais pas de contact avec mon père et ma mère était portée sur la bouteille. »

Placés en urgence
Suite à un drame familial suivi d’un procès, la situation empire à la maison. L’état psychologique de sa mère se dégrade considérablement et sa dépendance à l’alcool s’amplifie. Pour la jeune Chrystal, ce n’est plus tenable. Elle demande le placement. Très vite, une visite de la Maison d’enfants Providence Miséricorde est organisée par l’Aide sociale à l’enfance. « Je me souviens avoir posé la question aux éducateurs : « Qu’est-ce qu’on fait après le lycée ? » En entendant leur réponse, « Eh bien, tu rentres directement », je me suis dit, « Ici, j’aurais une éducation, un cadre. » Ça m’a soulagée. », se souvient Chrystal. Et puis j’ai compris qu’il n’y avait qu’une place pour moi, pas pour mes petits frères de 9 et 11 ans. Pour moi, ce n’était pas concevable. »
Heureusement, la situation se débloque quelque temps après. Des places se libèrent : le directeur et l’équipe, touchés par l’histoire de Chrystal, l’accueillent ainsi que ses petits frères. Elle renoue alors avec son père, lui-même un ancien enfant placé.
La vie s’organise. Les deux garçons partagent une même chambre et Chrystal, un appartement en semi-autonomie avec d’autres jeunes filles. « Au début, la vie dans un collectif était un peu bizarre, mais je me suis adaptée assez facilement. Mon éducateur référent, Hassan, m’a beaucoup aidée, car je recevais beaucoup de messages toxiques de ma mère. Il me disait : « Tu dois reprendre ta place d’ado et vivre la vie d’une fille de ton âge. »
Au lycée, en section S, sa scolarité se déroule parfaitement : Chrystal s’est, depuis ses jeunes années, réfugiée dans ses études. Une professeure d’IUT à la retraite, Catherine Roussier, lui donne un coup de pouce en physique et en chimie. C’est cette professeure qui incite la jeune fille à s’inscrire en IUT de chimie après le bac.



Grâce à la bourse octroyée par le Crous, le travail qu’elle a trouvé dans une poissonnerie plusieurs soirs par semaine et le week-end, Chrystal s’en sort financièrement : « Avec toute mon expérience à la maison, je savais gérer un budget. » Reste la marche à franchir entre le lycée et les études supérieures. Avec ses facilités à l’école, la jeune fille se repose tout d’abord sur ses acquis avant de mettre un sérieux coup de collier : « Des dernières places, je suis passée dans les premières. »
La voie universitaire
Lors d’un stage, elle prend conscience qu’un emploi de technicienne, ce à quoi forme l’IUT, ne lui conviendra pas et s’inscrit par équivalence en licence de chimie à la faculté de Rouen. Une rencontre avec son futur directeur de thèse, enseignant chercheur en chimie des matériaux, marque un tournant : elle découvre la chiralité, une propriété de certaines molécules. En bref, leur image dans un miroir n’est pas superposable, comme une paire de chaussures ou des mains gauche et droite. Elle ne cesse depuis d’explorer ce domaine.

Aujourd’hui, Chrystal écrit sa thèse de doctorat qu’elle soutiendra en fin d'année. Elle envisage un poste à l’étranger, la découverte d’autres horizons avec son compagnon, lui aussi chimiste. Passionnée par l’enseignement, elle envisagerait bien un poste de maître de conférences plus tard. « La science, c’est du partage ! » L’avenir s’ouvre à elle.
Mon regard sur la jeune Chrystal
La jeune Chrystal n’aurait jamais cru qu’elle finirait en doctorat de chimie. Je ne me plains pas d’avoir été placée, au contraire, cela a été ma chance. Le placement m’a permis d’arrêter de me culpabiliser de ne pas avoir sauvé ma mère, de prendre davantage confiance en moi. Il m’a aussi aidée à me découvrir, à me construire, à devenir celle que je suis aujourd’hui.
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