Accompagner les jeunes majeurs de la Protection de l’enfance : un gain pour la société
Face à la précarisation des jeunes majeurs sortant de la protection de l’enfance, le collectif Cause Majeur !, dont Apprentis d’Auteuil fait partie, publie une étude inédite et innovante : « Les vies de Paul ». À travers les parcours possibles d’un jeune fictif, Paul, l’étude démontre que l’accompagnement des jeunes majeurs représente une nécessité sociale et humaine autant qu’un investissement rentable. Texte : Laure Naimski. Ilustration : Astrid Chapet
Comment aider les jeunes majeurs protégés par l’Aide sociale à l’enfance (ASE) à s’insérer pleinement dans la société, sachant qu’à 18 ans, ils se trouvent souvent confrontés à l’arrêt brutal de leur prise en charge ? Et cela, malgré la loi Taquet de 2022, visant à les accompagner jusqu’à 21 ans ? Chaque année, en subissant une sortie « sèche » des dispositifs de la protection de l’enfance, des milliers de jeunes se retrouvent ainsi exposés au chômage et à la précarité, ce qui peut les conduire à la rue.
Afin d’aider ces jeunes à construire une vie d’adulte digne, le collectif Cause Majeur !, qui rassemble plus de trente associations du secteur social, dont Apprentis d’Auteuil, publie ce jour une étude innovante : « Les vies de Paul ». Cette étude démontre, grâce à la collecte et au croisement de plus de 200 statistiques nationales officielles et fiables (cf. encadré), que l’accompagnement durable des jeunes majeurs est non seulement un impératif social et humain, mais également un investissement rentable pour la société.
Trois trajectoires de vie différentes
Au centre de l’étude, Paul, un personnage fictif créé à partir de données réelles (voir encadré). Jeune pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE) tout juste majeur, il peut emprunter trois trajectoires de vie très différentes. Dans la première, Paul est accompagné par l’ASE jusqu’à ses 18 ans, cas le plus fréquent. Il ne suit pas d’études et se trouve confronté au chômage et à la rue. Sa situation engendre un coût net pour la collectivité de 119 000 euros, sans parler du coût moral et humain...
Dans le deuxième parcours, grâce à la création d’un droit opposable, c’est-à-dire, la possibilité de mettre fin soi-même à l’accompagnement de l’ASE quand on se sent prêt, Paul demande l’arrêt de l’aide de l’ASE à 23 ans. Plus confiant, plus serein en son avenir, il obtient un emploi stable, progresse professionnellement et accède à un logement. Dans cette configuration, Paul génère au cours de sa vie un gain net pour la collectivité de 460 000 euros, soit six fois le coût de son accompagnement en tant que jeune majeur.
Dans la troisième trajectoire de vie, Paul fait des études supérieures et réalise son rêve de devenir ingénieur grâce au soutien de l’ASE qui l’accompagne jusqu’à ses 25 ans. Il parvient à construire une vie stable et aisée et contribue fortement à l’économie. Résultat : un gain net total de 1,8 million d’euros sur l’ensemble de sa vie, soit 21 fois le coût initial de son accompagnement.
Un impact humain avant tout
À travers ces trois parcours de vie, l’étude prouve que si les jeunes ne sont pas accompagnés après leur majorité, ils subissent plusieurs ruptures de parcours préjudiciables pour leur vie entière qui génèrent un coût financier important pour la société. Au contraire, si un jeune est accompagné jusqu’à son insertion pleine et entière dans la société, il engendre des revenus pour les finances publiques, d’autant plus lorsque ses désirs ont été soutenus dès son enfance. Ainsi, chaque euro investi dans l’accompagnement des jeunes majeurs rapporte plusieurs fois sa valeur à la collectivité.
Le témoignage d’Amadou
Au-delà des chiffres, l’étude rappelle que ces jeunes ne demandent qu’une chose : avoir les mêmes chances que les autres. À l’image d’Amadou (le prénom a été changé) , jeune homme de 23 ans, soutenu par Apprentis d’Auteuil. À son arrivée en France en 2018, à l’âge de 16 ans, l’adolescent se retrouve placé dans un foyer à Dijon où il suit des cours : « J’avais vraiment envie d’apprendre le français parce que je voulais m’intégrer », résume-t-il. Il entre en apprentissage pour devenir cuisinier, et obtient son diplôme à 18 ans en même temps qu’il subit une sortie sèche de l’ASE. Boursier, il poursuit en bac pro, mais n’a pas les moyens de régler la cantine. De plus, l’internat ne l’accueille qu’en semaine. « Pendant presqu’un an, j’ai dormi dehors le week-end, souvent à la gare », confesse-t-il. Ensuite, l’établissement lui a permis de rester à l’internat le week-end et d’avoir accès à la cantine gratuitement.
Après son bac pro bioindustrie de transformation, il trouve un soutien auprès de l’ADEPAPE (Association départementale d'entraide des personnes accueillies en protection de l'enfance) et de la Touline d’Apprentis d’Auteuil, un programme d’insertion pour les jeunes fragilisés sortants de la protection de l’enfance. Aujourd’hui, Amadou travaille en CDI dans une cuisine collective de la ville de Dijon. Avec l’aide de la Touline, il est parvenu à obtenir un logement social. Désormais muni d’une carte de séjour, il a enfin stabilisé sa vie après des années de précarité. Il se projette dans l’avenir : « Je veux surtout continuer à travailler, être stable et profiter de ma vie ici, à Dijon. »
Amadou n’est pas un cas isolé. Beaucoup de jeunes majeurs souhaitent suivre la formation professionnelle de leur choix, voire faire des études supérieures, obtenir un emploi stable et un logement digne. Pour cela, il est nécessaire qu’ils bénéficient d’un accompagnement social et éducatif au moment du délicat passage à l’âge adulte. Les jeunes ont besoin de temps et de soutien, en d’autres termes, d’un véritable suivi qui les sécurise dans la durée.
Ce que préconise le collectif Cause Majeur ! :
- Sortir de la logique de « contrat » pour les jeunes majeurs et instaurer un droit opposable à l’accompagnement, fondé sur les besoins des jeunes ;
- Garantir les mêmes droits à tous les jeunes en situation de vulnérabilité ;
- Construire un véritable projet d’accompagnement vers l’âge adulte, incluant une scolarité choisie, un logement stable, l’accès à la santé, aux droits, à la culture et aux loisirs, avec un soutien éducatif dans la durée ;
- Poursuivre l’accompagnement pour les jeunes majeurs jusqu’à leur inclusion pleine et entière dans la société, si nécessaire jusqu’à 25 ans ;
- Financer cet engagement, via un soutien renforcé de l’État aux départements.
Les sources de l'étude
L’étude est fondée sur plus de 200 statistiques, chiffres et calculs officiels. Les données proviennent de la DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) pour les statistiques sociales et sanitaires, de l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques) pour les données économiques et démographiques, de la DJEPVA (Direction de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative), de
Vie publique – documentation législative et rapports publics., de l’enquête ELAP (Entrer dans la vie adulte après le placement), de France Travail, de la Caisse d’Allocations Familiales, de France Stratégie, de l’Onisep, du Crous, de l’Assurance maladie, des données fiscales.
Le collectif Cause Majeur !
Lancé en mars 2019, le collectif Cause Majeur ! rassemble près de trente associations nationales, collectifs et personnalités qualifiées (jeunes et professionnels), dont Apprentis d’Auteuil. Objectif ? S’unir pour remettre au cœur des politiques publiques les jeunes majeurs sortant de l’aide sociale à l’enfance ou ayant été pris en charge par la protection judiciaire de la jeunesse. Cause Majeur ! plaide pour une inclusion pleine et entière de chaque jeune majeur dans la société et veille à la cohérence, à l’harmonisation et à l’efficacité des politiques publiques concernant tous les jeunes.
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