
Familles en difficulté et école : reconstruire la confiance
Entre parents fragilisés et école, le dialogue se tend. Pourtant, ici et là, chercheurs et acteurs de terrain inventent des façons de retisser la confiance, au profit des élèves. État des lieux. Par Agnès Perrot.
Selon le rapport 2023 de la médiatrice de l'Éducation nationale et de l'Enseignement supérieur, les requêtes liées aux conflits entre établissements et parents représentent 39% des cas traités, un chiffre qui a doublé en cinq ans, révélant une tension grandissante dans la relation école-parents. Réconcilier les familles avec l'institution scolaire est pourtant un objectif affiché de l'Éducation nationale.
La coéducation, un principe encore fragile
La loi Peillon a introduit le principe de coéducation et de participation des parents dans les textes officiels en juillet 2013 : « Pour garantir la réussite de tous, l'école se construit avec la participation des parents, quels que soient leur origine sociale. Elle s'enrichit et se conforte par le dialogue et la coopération entre tous les acteurs de la communauté éducative. » Une intention louable, malheureusement pas assez suivie d'effets dans les pratiques quotidiennes des établissements.
Comprendre les freins et les malentendus
Pierre Périer, sociologue spécialiste des relations entre familles vulnérables et école, analyse : « Les professeurs se sentent parfois démunis face aux réactions familiales, tandis que certains parents, éloignés des codes de l’école, se perçoivent incompris ou jugés. »
Selon lui, l'institution ne forme pas assez ses équipes au partenariat avec les parents en difficulté, alors que la gestion des conflits ou la conduite d'entretiens avec les familles s'apprend. Le chercheur préconise davantage de rencontres informelles, de moments forts partagés en classe ou d'échanges clairs autour des attentes réciproques.
Derrière ces tensions se cachent aussi des causes structurelles : enseignants peu formés au dialogue, établissements saturés, emplois du temps surchargé… Autant d’obstacles qui freinent une coéducation pourtant inscrite dans les textes.

Une reconnaissance mutuelle
Face à ces constats, de plus en plus de pédagogues plaident pour un changement de regard et appellent à replacer la confiance au centre de la relation parents enseignants. Ainsi en va-t-il de Catherine Hurtig-Delattre, ancienne enseignante et directrice d'école maternelle.
La formatrice défend l'idée d'une coéducation fondée sur la reconnaissance mutuelle. « Pour mieux accompagner chaque enfant, surtout dans les situations difficiles, les enseignants doivent ouvrir leurs portes aux parents, même si c'est exigeant ».
Pour elle, ouvrir la classe aux familles permet d’améliorer l’efficacité professionnelle des enseignants et de renforcer la confiance. Cette démarche, qu’elle qualifie de « parité d’estime », repose sur la reconnaissance réciproque des rôles de chacun.
Des enseignants qui innovent
Sur le terrain, des enseignants s’emparent eux aussi de cette nécessité de changement, inventant des pratiques nouvelles avec les familles. Comme Jérémie Fontanieu, enseignant à Drancy. Sa méthode « Réconciliations » transforme le climat des classes et soutient la motivation des élèves. Pilier de son dispositif ? Un suivi hebdomadaire personnalisé avec les parents (un sms leur fournit le compte rendu de la semaine de leur enfant). Les réunions classiques de rentrée et de remise des bulletins trimestriels sont supprimées.
« Quand on se parle entre adultes – enseignant et parents – autour de l'enfant-élève, les échecs sont moins nombreux, souligne l'enseignant. Les jeunes comprennent ces échanges. Ils se sentent davantage entendus et font logiquement plus d'efforts. »
« J’étais très inquiète au passage de ma fille en sixième, confie Fatima (NDLR le prénom a été changé), mère de famille. Un professeur qui rentre en lien avec nous, parents d'élèves, chaque semaine, c'est très rassurant. Et ces sms hebdomadaires permettent de redresser le tir rapidement, si le besoin s'en fait sentir. Ils motivent aussi bien les parents que les élèves. »
La méthode requiert un certain engagement et invite les équipes à faire évoluer leurs pratiques. Fondée en 2012, elle regroupe aujourd'hui près de 500 professeurs.

Quand les associations s'engagent
En dehors des enseignants, des associations s'engagent également pour repenser l'école avec les parents. Connue pour son engagement militant auprès des familles en grande pauvreté, ATD Quart Monde a monté des réseaux qui rassemblent professionnels de l'éducation, parents d'élèves et acteurs de quartier. Ces lieux permettent aux professionnels d’adapter leurs pratiques et d’échanger avec les familles. L'association mène également des formations auprès des syndicats d'enseignants.
Marie-Aleth Grard, présidente d'ATD, rappelle que l’absence de certains parents aux réunions de début d'année ne traduit pas un désintérêt, mais souvent une peur du jugement. « Pour retrouver la confiance, le dialogue est indispensable. Il faut que les professeurs continuent à inventer de nouvelles postures avec les familles, changent leur regard sur elles et soignent l'accueil lors des rendez-vous. »
Vers une reconnaissance réciproque
Animée de convictions similaires, l'association École et Famille, installée depuis 1999 à Saint-Ouen-l'Aumône (95), milite, elle aussi, pour le rapprochement de la communauté éducative avec les parents, autour de l'enfant. Son credo : faire de la coopération entre familles et enseignants un vrai levier pour l'épanouissement scolaire et personnel des jeunes.
Ceci grâce à des groupes de parole, des ateliers pratiques ou encore la formation de parents-relais. Ces pères et ces mères accompagnent à l'école les familles qui sollicitent leur présence lors des rendez-vous parents-professeurs. « On fait dialoguer deux mondes, souligne Cristina Olteanu-Duarte, une maman formée. Ça marche et en plus ça redonne du pouvoir à chacun. »
Là où le dialogue entre adultes renaît, la confiance s’installe peu à peu, et avec elle, la réussite des élèves.
À lire :
- Des parents invisibles : l'école face à la précarité familiale
Pierre Périer
Éditions PUF - Coéducation. Des clés pour une responsabilité partagée
Catherine Hurtig-Delattre
Éditions Canopé - L'École de la réconciliation. Un professeur à Drancy
Le mythe du prof héros
Jérémie Fontanieu
Éditions Les Liens qui libèrent - L'Égale dignité des invisibles. Quand les sans-voix parlent de l'école
Marie-Aleth Grard
Éditions Le Bord de l'eau
À APPRENTIS D'AUTEUIL
Apprentis d'Auteuil accorde une grande importance aux relations entre parents et enseignants, des fondements jugés essentiels à la réussite scolaire des jeunes accueillis dans ses écoles, collèges et lycées.
De plus en plus d'établissements mettent en place des initiatives favorisant ce lien, comme, par exemple, des cafés des parents un samedi matin par mois à l'école Pier-Giorgio-Frassatti, située à Saint-Cyr-L'École (78). Au collège Saint-Paul, à Saint-Paul-sur-Isère, en Savoie, une équipe de deux éducatrices spécialisées accompagne les familles qui le désirent autour de questions de parentalité. Un service téléphonique spécialisé dans l'orientation, Écoute Info Familles, est également accessible à tous de manière anonyme.
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