Les atouts du mentorat pour les jeunes en difficulté
En plein essor, le mentorat en direction des jeunes en difficulté suscite un intérêt croissant aujourd’hui en France. En quoi consiste-t-il ? Quels sont ses atouts et ses limites ? Décryptage. Par Agnès Perrot.
Apparu dans les pays anglo-saxons il y a plus d’un siècle, le mentorat n’a commencé à se structurer en France que dans les années 2000, sous l'impulsion d'associations engagées auprès de jeunes vulnérables, souvent privés de repères et d'adultes de confiance.
Le mentorat, un levier d’égalité des chances
Face à l’ampleur des besoins, une nouvelle étape a été franchie en 2019 : huit associations ont uni leurs efforts pour créer Collectif Mentorat, avec le désir de déployer cette pratique à grande échelle.
Cette dynamique s’est concrétisée par le lancement du plan gouvernemental «1 jeune, 1 mentor» en 2021, puis par sa reconnaissance comme Grande Cause nationale en 2023, deux étapes majeures qui ont renforcé sa visibilité.
Résultat: 160000 jeunes ont été accompagnés en 2024, contre moins de 30000 cinq ans plus tôt. Un essor sans précédent, même si le mentorat reste encore insuffisamment connu.
Un soutien concret pour aller plus loin
Mais qu’est-ce au juste que le mentorat, aujourd’hui porté à 90 % par des associations ?
Pour Nicolas Viennot, directeur de Collectif Mentorat, c’est une relation d’entraide à titre bénévole entre deux personnes n’ayant ni le même vécu, ni les mêmes chances dans la vie. Il la décrit comme « un lien humain basé sur l’écoute et le partage, qui peut aider, à faible coût, un jeune à prendre confiance en lui, élargir sa vision et mieux se projeter dans l’avenir. ».
Bénévoles d’horizons variés, les mentors offrent aux jeunes un soutien, partagent leur expérience et servent de repères, de confidents, voire de modèles inspirants. L’objectif est de leur donner un appui concret pour réussir et gagner en confiance.
Des rencontres autour de la culture
Aujourd’hui, les programmes de mentorat s’adressent, pour la grande majorité, à des jeunes en formation scolaire.
C’est le cas de Télémaque, une association lancée en 2005, qui accompagne des collégiens et des lycéens issus de quartiers prioritaires, souvent boursiers et reconnus pour leurs résultats scolaires et leur attitude positive.
Repérés dès la classe de 5e dans les établissements partenaires, ces jeunes bénéficient d’un suivi qui peut se poursuivre jusqu’au baccalauréat. Ils sont soutenus par deux mentors, l’un issu du monde professionnel, l’autre du secteur éducatif.
« Les accompagnements se déroulent sous la forme de rencontres mensuelles autour d’activités culturelles ou sportives, souligne Lisa Bernat, responsable du programme de mentorat Télémaque Pro à destination des jeunes en voie professionnelle. Au fil du temps, les mentorés se sentent pris en compte, affinent leurs réflexions, aiguisent leur curiosité... »
Faciliter l’accès au monde professionnel
Bien que cette dimension concerne un nombre plus restreint de jeunes, le mentorat vise également à faciliter leur entrée dans le monde professionnel.
Ce à quoi se consacre Duo for a Job, une association reconnue par ses pairs pour la qualité de son programme (elle a récemment été distinguée par le label d’excellence du Collectif Mentorat). Duo for a Job met en relation des jeunes de 18 à 33 ans, souvent issus de l’immigration et en recherche d’emploi, avec des bénévoles de plus de 50 ans disposant d’une solide expérience professionnelle.
« Ce suivi de six mois permet aux jeunes de mieux comprendre les codes du monde du travail, d’élargir leur réseau, et, bien sûr, de gagner en confiance, explique Prunelle Gorget, directrice France de l’association. L’impact est réel : une majorité des duos débouche sur un emploi, une formation ou un stage ».
Transmettre pour donner confiance
Pour les mentors, souvent retraités ou en fin de carrière, c’est l’occasion de s’engager dans une démarche de transmission qui a du sens, comme en témoigne Gilles Delample.
« Être mentor, c’est avant tout une expérience humaine, confie le jeune retraité. On apprend à écouter sans juger, à comprendre le parcours parfois chaotique de ces jeunes et à leur transmettre la confiance qu’ils n’ont pas toujours reçue. Dans chaque accompagnement, j’essaie de montrer qu’il n’existe pas de trajectoire linéaire : l’important, c’est de trouver sa voie et de croire en ses capacités. »
Un tremplin vers l’autonomie
Sans diplôme à son arrivée sur le territoire français, Awa Koné, ancienne accompagnée en recherche d’emploi, a été rapidement incitée par son mentor à suivre une formation d’agent de service hospitalier pour obtenir plus facilement un poste et un logement, plutôt qu’à chercher n'importe quel travail.
Elle décroche un premier emploi en CDD, puis, faute d’offre pérenne, se réoriente d’elle-même cette fois, forte du soutien reçu, dans le secteur de la restauration où elle obtient rapidement un CDI, puis une promotion : « Sans mon mentor, je ne m’en serais jamais sortie. L’association m’a redonné l’énergie dont j'avais besoin pour avancer. Je peux dire qu’ils m’ont sauvée. »
S’enrichir de la diversité de l’autre
Gilles Delample, mentor d'Awa, conclut : « Accompagner un jeune à se poser les bonnes questions, à se forger un avis ou à prendre des risques est une aventure passionnante. Pour moi, c’est un magnifique moyen de faire société. On s’enrichit toujours de la différence de l’autre. »
TROIS QUESTIONS À
Aude Kerivel, sociologue, directrice du Laboratoire d'évaluation des politiques publiques et des innovations (LEPPI)
Quels sont les effets du mentorat sur les jeunes en difficulté ?
Les différentes évaluations scientifiques réalisées sur les dispositifs de mentorat en France et dans les pays anglo-saxons font état de résultats très modérés. Depuis le développement du plan « 1 Jeune, 1 mentor » à partir de 2020, les associations ont été contraintes de se développer rapidement. Cela les a conduites à proposer des accompagnements qu’elles-mêmes jugent dégradés.
Quels sont les principaux défis à surmonter ?
L’injonction faite aux associations d’augmenter le nombre de binômes mentor-mentoré suppose de disposer de bénévoles dans tous les territoires, afin de permettre les rencontres en présentiel, quand le mentorat ne peut pas se faire à distance. Par ailleurs, l’un des défis majeurs est d’accompagner ces binômes, afin que les mentors ne se retrouvent pas seuls face à certaines situations d’enfants ou de jeunes particulièrement vulnérables.
Quelles sont vos recommandations ?
Les études internationales mettent en avant l’efficacité du « mentorat naturel », c’est-à-dire celui exercé par des personnes de l’entourage de l’enfant, comme les ATSEM (agent territorial spécialisé des écoles maternelles), des enseignants, un accueillant de stage de troisième... De manière plus générale, il me semble important de rester humble quant aux résultats attendus de ce type de dispositif.
POUR EN SAVOIR PLUS :
- Le Mentorat, une nouvelle politique en direction des jeunes vulnérables ? numéro de Revue Sciences et actions sociales, coordonné par Aude Kerivel et Roxane Bricer, économiste
- Rapport de l’Injep Évaluation du plan « 1 jeune, 1 mentor »
À APPRENTIS D'AUTEUIL
Apprentis d'Auteuil accorde une importance particulière au mentorat dans ses actions en faveur des jeunes en difficulté, considérant cette relation d’accompagnement bénévole comme un élément important pour leur épanouissement.
1500 bénévoles et volontaires du service civique s’impliquent auprès des jeunes, sous la forme de soutiens variés. Par exemple, la simulation d’entretiens d’embauche, l’aide à la recherche d’emploi, la découverte de métiers dans les dispositifs liés à l’insertion professionnelle, l’entrepreneuriat ou la mobilité, du parrainage, du coaching, etc.
Cet accompagnement vise à favoriser l’insertion sociale et professionnelle des jeunes, en facilitant leur accès à l’emploi ou à la formation. Il leur permet de se projeter dans l’avenir, de prendre confiance en eux et de surmonter les difficultés auxquelles il se trouvent confrontés.
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