Rémi Casanova : « Quand un enseignant croit en son élève, tout redevient possible »
INTERVIEW. Enseignant-chercheur, Rémi Casanova intervient régulièrement en formation auprès des équipes d'Apprentis d'Auteuil. Pour ce pédagogue engagé, enseigner, c’est avant tout, instaurer la confiance et croire en la capacité de chaque jeune à réussir. Le point deux mois après la rentrée scolaire. Propos recueillis par Agnès Perrot.
Rémi Casanova, comment transmettre le savoir à l’école aujourd’hui ?
À mes yeux, la transmission du savoir, l'innovation pédagogique, ne consiste pas à créer des méthodes spectaculaires, mais à donner aux élèves le goût d’apprendre et la confiance en leurs propres capacités à progresser, y compris dans les situations difficiles.
Ce qui nécessite de réfléchir à la meilleure façon d’accompagner les jeunes vers plus d’autonomie et de responsabilité, en ajustant en permanence ses pratiques aux besoins et à la personnalité de chacun.
Quand une pratique s’adapte à eux, ils retrouvent confiance et peuvent progresser à leur propre rythme.
Qu’est-ce qui bloque encore le changement ?
Souvent, c’est le cadre très rigide de l’institution, mais aussi la peur du nouveau, ou de l’échec. Innover, changer, vouloir le meilleur pour ses élèves, c’est accepter de tâtonner, d’essayer, parfois de se tromper. Or, l’école n’a pas toujours cette culture de l’expérimentation.
Certains enseignants aussi sont épuisés ou découragés, faute d’accompagnement réel. On leur demande d’innover, mais sans leur donner le temps, les moyens ou la formation nécessaire.
Enfin, il y a une tendance à chercher des responsables plutôt que des solutions.
Vous travaillez justement sur cette question des « boucs émissaires » dans les équipes éducatives. Pouvez-vous expliquer ce phénomène ?
Ce mécanisme très humain, le « bouc émissaire », est destructeur. Lorsqu’il y a des tensions, des échecs ou des crises dans une classe ou une équipe, un groupe peut avoir tendance à désigner une personne comme responsable : un élève jugé difficile, un enseignant, parfois même un parent. En concentrant tous les reproches sur cette figure du « coupable », on évite de se confronter aux vraies causes du mal-être collectif.
Ce processus empêche la réflexion partagée et entretient la méfiance. Pour en sortir, il faut apprendre à redéfinir les problèmes de manière collective, à dialoguer sans jugement, et à remettre du lien. C’est seulement dans un climat apaisé et solidaire que les apprentissages peuvent redevenir fructueux.
Pourquoi les jeunes décrochent-ils ?
Essentiellement parce que l’école demeure prisonnière d’un modèle hérité d’un autre temps, centré sur la seule transmission descendante du savoir. Ce modèle ne correspond plus à notre monde ultra connecté, où les jeunes apprennent partout, tout le temps, souvent en dehors de l’école.
Beaucoup d'entre eux ne se reconnaissent pas dans cette école qui valorise un seul type d’intelligence, celle des bons résultats académiques. Et ils se sentent exclus du système dès le début, « décrochant » avant même d’avoir mis un pied dans une salle de classe, parce qu’ils ne voient pas de lien entre ce qu’ils apprennent et leur vie réelle.
Il faut repenser le lien entre l’école, la famille et la société, redonner du sens aux apprentissages et du plaisir à comprendre !
Comment faire ?
L’essentiel, c’est la confiance. L’école doit être un lieu où chaque enfant se sent reconnu, écouté, respecté. Elle doit offrir un cadre clair et bienveillant, porté par des adultes stables, où les règles font sens et où l’erreur devient un tremplin vers l’apprentissage plutôt qu’une faute à éviter.
Ensuite, il faut redonner du sens à l'apprentissage. L’élève doit comprendre pourquoi il apprend, et comment cela peut l’aider à se construire. En reliant les apprentissages à des projets concrets, à la vie quotidienne, on crée un lien précieux avec le savoir et on donne envie aux enfants de s'investir à l'école.
Concrètement, comment traduire cette confiance dans la classe ?
Dans la classe, de simples rituels peuvent tout changer. Chaque matin, un temps d’accueil partagé permet aux élèves d’exprimer leurs émotions et d’entrer sereinement dans les apprentissages.
Le travail en petits groupes favorise également la participation active et le développement de compétences variées.
Enfin, aborder les conflits collectivement transforme les tensions en occasions d’apprentissage, en donnant à chacun sa place. Plutôt que de sanctionner ou d’ignorer les problèmes, l’enseignant est invité à prendre le temps de réunir les élèves concernés, les encourage à exprimer ce qu’ils ont ressenti et les amener à chercher ensemble une solution.
8 % de jeunes sortent encore de l'école sans diplôme aujourd’hui en France. Que révèle ce chiffre selon vous ?
Ce chiffre révèle une réalité préoccupante : l’école ne parvient pas encore à accompagner tous les élèves jusqu’à la réussite. Derrière ces 8 %, il y a des jeunes souvent fragilisés par leur contexte social, familial ou personnel.
Certains vivent des situations d’exclusion, d’autres ont perdu confiance en eux très tôt à cause de l'école. Pour changer cela, il faut une mobilisation de toute la société.
Pour vous, qu’est-ce qu’enseigner au fond ?
C’est avant tout croire en la capacité de tout élève à progresser, un processus profondément humain, qui ne dépend ni du milieu social, ni du parcours initial... C'est aussi aider l'enfant à faire ce chemin de comprendre qu’il a les ressources en lui pour réussir.
Quand un enseignant accompagne ses élèves dans leurs hésitations, tout redevient possible. Croire en la capacité de chaque élève, c’est croire en l’avenir de l’école.
RÉMI CASANOVA
Rémi Casanova est enseignant-chercheur en sciences de l’éducation à l’Université de Lille (laboratoire CIREL, équipe Proféor).
Ancien instituteur, professeur des écoles spécialisé et directeur d’établissement médico-éducatif, il a exercé plus de vingt ans sur le terrain avant de rejoindre l’enseignement supérieur.
Ses travaux portent sur les violences en institutions éducatives, le phénomène du bouc émissaire et la pédagogie d’institution.
Il défend une approche humaniste de l’éducation, centrée sur l’éducabilité de chaque élève et la transformation des institutions par la confiance et la coopération.
Partenaire régulier d’Apprentis d’Auteuil, il accompagne aussi les professionnels de terrain dans la prévention du décrochage scolaire et la réflexion pédagogique.
Il a co-dirigé un ouvrage universitaire sur la question du décrochage scolaire à la fondation, paru en 2022 : "Apprentis d’Auteuil face au décrochage scolaire. Chronique d’une institution pédagogue", par Cécile Perrot, Sébastien Pesce, Rémi Casanova, éditions Champ social.
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