3e édition du Stand up ! d’Apprentis d’Auteuil - Le Grand Rex vibre des voix des jeunes
Jeudi 4 décembre, le Grand Rex a fait salle comble lors du Stand up ! 2025 d’Apprentis d’Auteuil. Lors de cet événement de mobilisation et de plaidoyer, huit jeunes sont montés sur scène pour faire entendre leur voix. À travers leurs témoignages, le public a pu mesurer combien le décrochage scolaire, les problématiques de santé mentale ou d’exclusion, les violences faites aux enfants, les parcours migratoires traumatiques, pèsent sur les trajectoires des jeunes. Mais aussi qu’ils ont en eux la force de rebondir avec un accompagnement soutenu, adapté, sur la longueur.
Grand Rex, 19h30. Devant un public venu en nombre, Jean-Marc Sauvé, président d’Apprentis d’Auteuil, prend la parole et en appelle à une France qui s’engage au service des jeunes, « le ferment, le levain de notre société ». Il ajoute : « Nous ne construirons la France de demain qu’avec la participation de tous nos jeunes, ceux qui marchent et ceux qui se heurtent à des difficultés, scolaires, sociales, familiales... Les destins des jeunes nous concernent tous : élus, pouvoirs publics, société civile. Nous devons tous nous sentir impliqués en particulier pour les plus vulnérables. Chaque jeune a le droit de se réaliser, quelles que soient ses difficultés et son handicap de départ. » Et de conclure, résumant le sens de cette troisième édition du Stand up !, l’événement de mobilisation et de plaidoyer d’Apprentis d’Auteuil : « Notre ambition est de donner une voix à ceux qui n’en ont pas, que soient entendues leurs préoccupations quotidiennes et existentielles. Que leurs réussites et leurs espoirs, leur capacité à se relever soient connus de tous ! »
Jean-Baptiste de Chatillon, directeur général, enchaîne : « Toutes les équipes d’Apprentis d’Auteuil sont heureuses de vous accueillir au Grand Rex pour cette grande soirée pour la jeunesse. Chacun des 40 000 jeunes que nous accueillons a une histoire singulière. Aujourd’hui en France, 80 000 jeunes sont en décrochage scolaire. 120 000 sont victimes de violences. Mais des solutions existent. C’est ce que nous constatons tous les jours dans nos établissements. Ce soir, nous rappelons avec force que l’action sociale et éducative est indispensable. »
Huit jeunes, huit parcours singuliers
Huit jeunes, accueillis à Apprentis d’Auteuil ou jeunes anciens de la fondation, vont ainsi prendre la parole sur scène tout au long de la soirée. Ils se sont préparés depuis de longues semaines, se sont entraînés à la prise de parole. Ils ont surmonté leur timidité pour témoigner de leur parcours et lever le voile sur les difficultés auxquelles ils ont été confrontés.
Syrine se lance courageusement la première, souriante et enthousiaste. La jeune fille, scolarisée au collège Nouvelle Chance au Mans, explique comment, de bonne élève, elle est devenue phobique scolaire. « J’ai 15 ans et j’ai été en décrochage scolaire pendant longtemps. Pour moi, aller à l’école était pire que l’enfer ! Trop de devoirs, de pression, d’évaluations. Je restais chez moi. »
Dans l’établissement expérimental d’Apprentis d’Auteuil dédié aux décrocheurs, elle se réhabitue progressivement à l’école. Les petits effectifs, l’écoute et la disponibilité des enseignants, une reprise à son rythme, l’ont réconciliée avec les apprentissages. « Au début, je ne venais que pour une heure de cours, se rappelle-t-elle. J’ai découvert qu’il y avait d’autres manières d’apprendre. Nous avions un nombre incalculable d’activités. Un artiste contemporain est venu faire un atelier. Tout cela redonne l’envie d’apprendre. »
Après avoir obtenu son brevet avec la mention bien, Syrine est aujourd’hui en seconde générale. Passionnée d’art et de dessin, elle se projette dans l’avenir : « Cette soirée au Grand Rex me permet de tourner la page sur cette période difficile de ma vie. Avec la volonté, rien n’est impossible. J’ai de la chance d’avoir été accompagnée. Sans cet accompagnement, ça aurait été difficile. Je remercie tous ceux qui m’ont soutenue. Habituellement, je m’exprime plus par le dessin, la peinture ou la sculpture. Ce soir, j’espère que mon témoignage aura pu encourager d’autres jeunes à s’en sortir, à garder espoir quelles que soient les épreuves. »
Un plaidoyer pour une école ouverte à tous
C’est un tout autre parcours que le public découvre ensuite, celui d’un jeune homme Slavi, arrivé de Bulgarie avec sa famille à l’âge de 6 ans. Le jeune homme, aujourd’hui âgé de 20 ans, se souvient : « Je rêvais d’aller en France, mais tout ce que nous avons trouvé, c’est un bidonville. Mon premier rêve, c’était d’aller à l’école. Pour moi, c’était une porte de sortie de la misère. À cet âge-là, je pensais que je vivrais pour toujours dans un bidonville. »
Slavi raconte les expulsions à répétition, la déscolarisation qui s’ensuit, les retards scolaires qui s’accumulent, et qu’il n’a à l’heure actuelle pas pu rattraper. Le jeune homme issu de la communauté rom livre un puissant plaidoyer pour la scolarisation de tous les enfants. « Grâce à Apprentis d’Auteuil, j’ai pu décrocher un BEPA (brevet professionnel agricole). Aujourd’hui, je suis jardinier paysagiste pour la ville de Vitry-sur-Seine. J’ai connu diverses difficultés, mais ma force, ça été de m’accrocher à l’école. Je suis aussi pompier volontaire. Lorsque j’avais 8/9 ans, nous avons été victimes d’un terrible incendie dans le bidonville où j’habitais. J’ai des proches brûler. C’est à ce moment que j’ai voulu m’engager à la Croix-Rouge et comme pompier volontaire pour sauver des vies. C’est mon histoire mais aussi celle des 100 000 enfants qui ne sont pas scolarisés en France. »
Nina Métayer, marraine engagée auprès d'Apprentis d'Auteuil
Nina Métayer, une des marraines bénévoles d’Apprentis d’Auteuil, monte sur scène aux côtés de Slavi et de Carole Tolila, l'animatrice : « J’ai une admiration incroyable pour ces jeunes. C’est dingue de prendre la parole devant plus de deux mille personnes, au Grand Rex, et de parler avec aplomb et assurance ! » La meilleure pâtissière du monde 2023 et 2024 confie : « Je n’étais pas bonne à l’école, alors, le métier de boulangère me paraissait accessible, mais je n’ai pas trouvé d’emploi. Je me suis reportée par dépit sur la pâtisserie ! Des gens ont cru en moi et m’ont tendu la main. Ils m’ont transmis leur passion. »
La jeune femme rappelle son engagement auprès de la fondation : « J’ai accepté d’être marraine de la fondation parce que les notions de transmission, d’accompagnement sont très importantes pour moi et ce sont les plus beaux exemples de ce que fait Apprentis d’Auteuil. La fondation, c’est cela : la transmission, l’accompagnement. On rencontre parfois des petits soleils sur son parcours. Il faut juste se mettre dessous ! Ces enfants ont de l’or dans les mains, il suffit d’un déclic pour le révéler. Les victoires sont collectives : nous pouvons tous aider ! »
Focus sur la santé mentale des jeunes
Une autre jeune femme succède à Nina Métayer. Il s’agit d’Elsa, 24 ans. Elle aborde un thème d’actualité, la santé mentale des jeunes, que l’on sait très fragile depuis la crise du Covid-19. Autre thème abordé, celui de l’engagement des jeunes. Partant de son exemple, Elsa veut combattre les idées reçues : « On dit trop souvent que les jeunes sont fainéants et ne veulent pas s’engager. Je suis là ce soir pour montrer le contraire. Originaire de la Drôme, je me suis passionnée pour les questions d’écologie et d’agriculture. Je suis ensuite allée à la fac en sociologie. J’ai étudié le droit et les enjeux politiques autour de la jeunesse. Quand j’étais à la fac, j’ai créé une association de distribution alimentaire et de produits de première nécessité pour les étudiants. J’ai été aussi bénévole pour venir en aide à des jeunes LGBT qui étaient à la rue. J’ai donné des cours de français.
Ce n’est pas simple de s’engager. Car moi aussi j’ai eu des problèmes de santé mentale, sans pouvoir trouver un suivi adapté. Je n’avais pas assez de ressources pour avoir une vie saine et m’alimenter correctement. J’étais dans une situation d’épuisement. Ce n’est pas toujours facile pour les jeunes de s’engager tout simplement parce que, pour beaucoup, ils doivent d’abord survivre ! La société demande beaucoup à la jeunesse mais il ne faut pas oublier que les inégalités, les discriminations existent. Aujourd’hui, je fais du mentorat pour des jeunes en foyers. Laissez aux jeunes les moyens d’être jeunes, ils sauront vous le rendre ! »
Les jeunes, l'engagement et la participation à la vie politique
Une table ronde 157 réunit autour de Charlotte Bisserié, responsable communication Sud-Ouest, Ahouefa Christiane Fabgemi, présidente de l’association La cité des chances, Slavi Miroslavov, membre actif du collectif École pour tous, Olivia Dessaigne, responsable du développement de l’association Eloquentia, et Féris Barkat, cofondateur l’association de Banlieues Climat.
Débattant de la participation des jeunes à la vie politique et aux décisions qui les concernent, thème du 6e Baromètre de l’éducation d’Apprentis d’Auteuil, ces jeunes battent en brèche le supposé désengagement des jeunes, mais pointent aussi les freins, le poids des représentations, les inégalités de départ, ce qu’il faut mettre en place pour plus de démocratie et de visibilité de toutes les jeunesses dans une société abîmée.
Dans le sondage révélé par le Baromètre, 89% des jeunes souhaitent que les adultes arrêtent de parler à leur place. 8 sur 10 nous ont dit qu’ils souhaitaient s’impliquer dans la société.
Chaque participant explique également les objectifs de son association. Slavi est un membre actif du collectif École pour tous, porté par son histoire personnelle et sa conviction que l'école est un facteur d'émancipation. Ahouefa Christiane Fabgemi plaide en particulier pour ramener de la démocratie dans les salles de classe, faire travailler les élèves sur des thèmes citoyens, les emmener régulièrement visiter les institutions de la République. "Il faut juste leur donner la parole, l'abstention n'est pas une fatalité !"
Olivia Dessaigne : " A Eloquentia, nous intervenons en classe pour former les élèves à la prise de parole. C’est un espace pour porter des messages et savoir se faire écouter. La prise de parole et l’engagement sont liés. L’éloquence est aussi un levier pour favoriser l’égalité des chances. Et pour que les jeunes soient de plus en plus visibles dans la société. Nous intervenons du CM1 à la terminale puis auprès des 18-30 ans. Car les inégalités commencent dès le plus jeune âge. En donnant les clés pour s’exprimer, s’écouter, en apprenant à muscler son propos, on apprend à avoir confiance en soi. Je voudrais qu’il y ait un sursaut collectif autour de la prise de parole à l’école, en entreprise, dans l’espace public. Que les jeunes puissent avoir des espaces pour s’exprimer. "
Féris Barkat, de son côté, a cofondé Banlieues Climat : "C'est une école populaire autour des enjeux écologiques. Pour faire en sorte que les jeunes puissent agir sur les violences liées à leur environnement qu’ils subissent mais qu’ils ne voient pas. Nous formons 1100 jeunes par an. On travaille aussi beaucoup dans les espaces culturels pour pouvoir nous exprimer sous différentes formes. Il faut que les jeunes participent, s’identifient et puissent s’incarner dans des jeunes qui leur ressemblent. Il faut sortir de la main tendue. Car ce sont toujours les mêmes qui se taisent. Nous sommes tous sur le même pied d’égalité. Nous devons créer notre propre manière de regarder la société. De la colère à l’amour, il n’y a qu’un pas. C’est une question d’engagement. Soyez normaux, engagez vous car l’engagement devrait être la norme. Changeons de regard sur les jeunes !"
Les rencontres qui changent tout
Sur scène, c’est un binôme, Enzo et Laszlo, qui prend ensuite la parole. Enzo, 22 ans, a été accompagné par Laszlo Sas, éducateur, dans un dispositif d’insertion à Perpignan. Le duo raconte, avec humour et une pointe d’émotion, tout le travail réalisé pour que le jeune homme, reclus chez lui, reprenne goût à la vie, s’ouvre sur l’extérieur, après un long parcours en protection de l’enfance, de foyers en famille d’accueil. « Enzo, c’est une volonté hors pair, souligne Laszlo. Du courage et beaucoup d’intelligence. »
En revenant sur le parcours d’Enzo, le professionnel pointe la nécessité de l’attachement et de l’affection, dans la relation éducative, de ce lien qui permet aux jeunes de croire en eux, de reprendre confiance. Après des années de décrochage, Enzo a rebondi. Il a aussi transformé sa passion du jeu vidéo Call of duty, dont il a été sacré vice-champion du monde, en projet professionnel. Titulaire d’un CAP, bientôt d’un bac + 2, il va s’engager dans des études d’ingénieur. « N’oublions pas que la deuxième cause de mortalité chez les jeunes, après les accidents de la route, c’est le suicide, rappelle Laszlo, pointant également les coupes budgétaires qui impactent les dispositifs d’insertion. Je m’adresse aux pouvoirs publics, on a besoin de vous ! La jeunesse a besoin de vous. »
Evan Ouinez, chargé de projet communication événementielle à Apprentis d'Auteuil, poursuit en lisant le témoignage de Valdo, 19 ans, ancien mineur non accompagné suivi par la Maison d’enfants Sainte-Thérèse à Paris. Un parcours d’exil traumatique qui l’a conduit en France : "Je suis né au Cameroun. J’ai vécu trois vies. Au Cameroun où je suis né. Au Gabon où je suis parti seul avec mon petit frère. Et en France où j’ai d’abord dormi dans la rue. En octobre 2020, je suis arrivé à la MECS Sainte-Thérèse où j’ai rencontré la directrice Nathalie Le Guenec qui est comme une maman pour nous. J’ai connu des moments de doute, j’ai fait des erreurs. Mais grâce à ma foi et aux rencontres, j’ai pu saisir les mains tendues. Je suis fier du chemin parcouru. Il suffit d’une rencontre pour changer une vie."
Les violences faites aux enfants
Après un message de Violette Dorange, marraine bénévole d’Apprentis d’Auteuil, engagée de longue date auprès de la fondation, c’est au tour de Maëlys, 13 ans, de monter sur scène avec une pianiste. 13 ans tout juste, et déjà un immense talent. La jeune fille entonne La tendresse, chanson popularisée par Bourvil, lui redonnant une actualité, une fraîcheur et une portée bouleversantes. Venue du collège Notre-Dame de Lourdes de Civrieux-d’Azergues, près de Lyon, elle emporte son public gagné par l’émotion.
Asmaï, 18 ans, évoque ensuite avec force et courage le douloureux sujet des violences faites aux enfants. «Je suis née à Mayotte, il y a 18 ans. Il y a un an, le cyclone Chido dévastait tout sur son passage. Des vies, des familles. Un cyclone suivi de souffrance, de détresse et d’incertitude. Notre maison a été démolie pour une construire une école qui n’a jamais vu le jour. Je souhaite porter la voix d’une jeunesse déterminée à se construire une vie meilleure. Je rêve de devenir avocate pour défendre des mineurs, leur donner une voix, réparer des injustices. A travers ma présence ce soir, je souhaite porter la voix d’une jeunesse enragée, consciente et déterminée à construire un avenir meilleur… sans jamais oublier d’où elle vient. Parce que chaque histoire compte, parce que chaque parcours à sa lumière. Je suis ici pour votre offrir la mienne ! Chaque jour, j’allais à l’école en tremblant, le ventre vide mais avec la tête pleine de rêves. J’ai fait une dépression. Mais je n’ai jamais abandonné. Dans la vie, on rencontre tous des moments de difficulté, mais si vous croyez en vous, il est possible d’avancer pas à pas. J’ai fait partie de la CIIVISE, la commission sur les violences sexuelles. En France, un enfant est victime de violences sexuelles toutes les 3 minutes. Le silence tue. Vous pouvez faire basculer le silence ! »
Non au déterminisme social
Dernier témoignage, celui de Chrystal, 25 ans, docteure en chimie depuis le mois de novembre. La jeune femme livre un vibrant plaidoyer pour changer le regard sur les jeunes issus de la protection de l’enfance et démontre qu’il est possible de combattre les déterminismes. « Je suis issue d’une famille dysfonctionnelle. J'ai vécu au sein d'un entourage toxique. A 12 ans, j'étais comme la mère de mes petits frères, je faisais les courses, à manger, je veillais aux devoirs. J'étais suivie par un éducateur, Aurélien. A un moment, je me suis dit que la seule solution était le placement."
Fraîchement diplômée
Chrystal recule une première fois quand elle comprend qu'elle sera la seule à en bénéficier. Heureusement, la Maison d'enfants Providence Miséricorde de Rouen comprend la situation et parvient à lui réserver trois places : elle y est accueillie avec ses deux petits frères. Après un long travail pour désapprendre les responsabilités qui pesaient sur ses épaules, parvenir à ne plus se sentir coupable de la situation, Chrystal entrevoit un avenir. La bonne élève continue à s'investir dans ses études. Avec une aide aux devoirs, professeure de faculté qui lui suggère des études de chimie, elle s'y lance avec détermination. Aujourd'hui fraîchement diplômée, docteure en chimie, elle conclut : "La résilience est accessible. J'ai trimé, j'ai douté. Mais je ne l'ai pas fait seule. L'important, ce n'est pas d'où on vient, c'est où l'on va. Merci à ceux qui m'ont aidée, à Apprentis d'Auteuil, à ceux qui construisent des ponts. Le point de départ ne définit pas votre arrivée."
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