
Violette Dorange, marraine d'Apprentis d'Auteuil, sur la route du Vendée Globe
Marraine bénévole d’Apprentis d’Auteuil depuis 2020, Violette Dorange prend le départ du Vendée Globe le 10 novembre à seulement 23 ans. Les couleurs de la fondation sur sa grand-voile, la jeune skippeuse s’élance sur l’océan pour trois mois de course au large, sans escale et sans assistance, l’Everest des mers.
Violette, quel est votre état d’esprit à quelques jours du départ du Vendée Globe ?
J’ai plein d’émotions qui passent. Parfois, quand je pense à la course, une petite pointe d’adrénaline. C’est ma première course de cette ampleur : je me dis que cela va être le moment le plus important de ma vie. Il y a aussi parfois des petites peurs, mais aussi, beaucoup, beaucoup, d’excitation. Je suis dans la dernière phase de préparation. Il y a eu les courses de qualification, les vacances pour vraiment décompresser et jusqu’au Vendée Globe, beaucoup d’entraînements, de préparation de tout le matériel, pour arriver à prévoir le plus de choses possibles pour la course.
En quoi consiste la préparation ?
Le bateau a passé plus d’un mois en chantier cet été. Il a été complètement révisé par l’équipe. Toutes les pièces sont démontées, il y a des contrôles par caméra infrarouge, des réparations, des améliorations, de l’optimisation pour le Vendée Globe. Beaucoup de travail, de technique. À la mi-août le bateau a été remis à l’eau, et je m’entraîne seule et avec le pôle Finistère course au large où il y a d’autres concurrents. Ce n’est que de l’entraînement en faux solo, c’est-à-dire je fais les manœuvres en solo, mais il y a quelqu’un pour la sécurité. Après, j’ai un entraînement physique et mental. Une nutritionniste m’aide à faire l’avitaillement pour les trois mois de course de façon à ne pas me tromper, car on ne s’alimente pas de la même façon selon qu’on est dans les mers chaudes ou les mers froides. D’un point de vue médical, je suis suivie par l’équipe jusqu’au départ.
Comment se prépare-t-on à cette course mythique qualifiée d’Everest des mers ?
J’ai la même préparatrice mentale depuis j’ai commencé les compétitions de voile à l’âge de 8 ans. On a vraiment approfondi notre travail quand j’ai commencé la course au large. Aujourd’hui, nous travaillons sur la gestion du temps et ce qui me met le plus de doute, partir pour trois mois. On essaie de trouver plein d’astuces pour que je garde le même moral tout du long. C’est la course la plus longue que je vais disputer. J’ai déjà fait plein de fois des courses de quinze jours, et pas mal de traversées de l’Atlantique ces derniers temps. Les deux dernières, j’ai fait onze jours à l’aller, et seize au retour.
Rien de comparable avec ce qui vous attend pour Le Vendée Globe...
C’est une course en solitaire sans escale, c’est-à-dire qu’on n’a pas le droit de s’arrêter dans un port, et sans assistance : on n’a pas le droit de nous apporter quelque chose, ni de nous donner des conseils sur la météo. Par contre, je peux appeler mon équipe pour une question d’assistance technique et leur demander comment je peux réparer ceci ou cela. Ils peuvent me donner des clés, des conseils, mais je dois me débrouiller toute seule. Je peux aussi être en lien avec ma famille, mais je n’ai pas le droit d’appeler ma préparatrice mentale. Je dois compter sur mes propres ressources.
C’est un long chemin jusqu’à cette course...
Oui, cela ne vient pas du jour au lendemain. Il y a déjà le sport haut niveau jeune, sur des petits bateaux. Mon objectif, c’était championnat de France, d’Europe, du monde. Dès 13 ans, j’étais aux championnats du monde pour représenter la France. C’est au lycée que je me suis posé des questions, que j’ai vraiment eu envie de continuer la voile et de tenter le côté aventure de la course au large. J'ai suivi la filière sport études, où j’étais en internat et je faisais de la voile en même temps que les cours. Après le lycée, j’ai décidé de débuter la course au large et commencé avec un premier projet, traverser l’Atlantique en solitaire. J’avais 18 ans. Cela m’a propulsée dans le milieu de la course au large. Je me suis dit que j’aimerais continuer, sur le circuit pro, dans l’idée de faire le Vendée Globe.
Est-ce aussi le côté compétition qui vous plaît ? Cet aiguillon incroyable ?
Ah oui, il y a les deux ! La voile olympique, comme tous les sports olympiques, ce sont des petits parcours, le haut niveau dans la finesse, la rigueur. Avec la course au large, on ajoute plein d’autres nuances. Au centre, la compétition bien sûr, mais autour, le côté aventures avec le tour du monde, la traversée de l’Atlantique, la gestion de projet, car le skipper est amené à faire de la communication, il doit trouver le budget auprès des partenaires, le gérer. On est multifacettes et c’est ça qui est trop chouette. Je me suis découvert petit à petit une passion pour la course au large. Plein de petits déclics. Le premier, ça a été un championnat du monde que j’ai fait à 13 ans. Je me suis dit, c’est fou la voile ! Cela peut me permettre de partir à l’autre bout du monde à 13 ans, et de me sentir en équipe. J’avais trouvé cela incroyable.
Vous avez souvent été la plus jeune à remporter des courses, la première jeune femme. Comment envisagez-vous ces critères de l’âge et du genre ? Est-ce un atout, un handicap ?
C’est un des seuls sports où les femmes courent avec les hommes et il n’y a pas de catégorie ni de classement différencié homme/femme. Mais c’est un des seuls sports où, oui, le physique compte. Pour les manœuvres, il y a une vraie différence entre les hommes et les femmes quand il faut porter des voiles de 60, 80 kilos, etc. Mais je peux faire la différence sur la stratégie, sur la gestion de toute ma course, sur la longueur, sur ma fatigue etc. Et du coup, c’est plutôt chouette, car il y a vraiment une chance. Quant au fait d’être la plus jeune, cela a été permanent pour moi jusqu’à présent. Juste après le lycée, j’ai toujours été la plus jeune dans toutes les catégories. Cela m’a toujours portée mentalement, dans le sens où je me dis que je n’ai rien à perdre. Aujourd’hui, j’ai fait tout le parcours qu’il fallait pour être là où j’en suis aujourd’hui. J’ai participé à trois solitaires du Figaro, qui m’ont permis de me former. Même si je suis très jeune, j’ai parfois autant d’expérience que d’autres plus âgés et parfois un peu plus, donc, je ne pense pas trop à l’âge, cela ne me met pas la pression. Justement, cela me donne de la force.
Le fait d’avoir toutes ces courses derrière vous, cela vous permet-il de faire des choix de façon plus fluide ?
En voile, l’expérience compte énormément. C’est pour cela qu’on voit des personnes qui ont 60 ans, qui naviguent encore et qui sont au top niveau. Il y a l’expérience des vents qui est déjà très dure à acquérir. Il faut savoir réagir de la bonne manière. Il y a des moments où les choses se font parfois un peu au feeling, et le feeling, ça se construit avec l’expérience, parce qu’on a vécu une fois où le vent a tourné comme cela, donc après, on se méfie. Il y a l’expérience de la météo et aussi de la gestion de toutes les situations. Arriver à bien mener son bateau, c’est savoir gérer toutes les situations. Avec l’expérience, je gère aussi le sommeil de mieux en mieux.
Comment le prévoyez-vous sur cette course de trois mois ?
L’idée, c’est de ne jamais être dans le dur niveau fatigue, mais c’est difficile, car il y a des moments où on ne peut vraiment pas dormir. Donc, il faut faire des siestes dès que c’est possible. J’essaie de cumuler le sommeil. Dès que je peux, c’est-à-dire, dès que le bateau va bien, qu’il va vite, et qu’il n’y a pas de danger devant (du genre, un bateau qu’on croise, ce qui arrive très souvent), je vais dormir. Ce sont des plages d’une heure de sommeil. Il faut que je me réveille entre chaque sieste. Que je vérifie que le bateau va vite, qu’il n’y a pas de danger, que ma stratégie est toujours bonne, et je peux alors me rendormir. J’essaie de bien dormir, car cette catégorie de bateaux, les Imoca, sont tellement grands... Quand il y a un problème, cela peut dégénérer, s’étendre sur deux jours. Il faut alors toujours avoir un matelas de sécurité de sommeil, ne pas être trop fatiguée. Si jamais on est dans le rouge et que le problème arrive à ce moment-là, c’est plus difficile.
Avez-vous déjà été confrontée à des situations tendues ?
Il y en a eu beaucoup. Il y en a tout le temps ! L’avant dernière course pour se qualifier au Vendée Globe, c’était une traversée de l’Atlantique entre Lorient et New York. La route est différente de la route normale des Alizées, elle passe un peu par le Nord et donc par des vents très violents. On a du vent de face quasiment toute la traversée. Je n’avais jamais connu de telles conditions. À un moment, j’ai eu douze heures de vent très fort, très soutenu, 35 nœuds, soit à peu près 60 kms/heure de vent avec des rafales et une houle de six mètres. Cela a été un passage où j’ai eu des peurs. Heureusement, j’avais bien préparé mon bateau, je m’étais préparée et j’étais prête pour la tempête. Autour de moi, j’ai vu certains de mes concurrents casser et j’ai eu des peurs à ce moment-là. C’est aussi une expérience de savoir pourquoi eux ont cassé.

Quels sont les modèles de sportifs qui vous font rêver ?
Durant les JO, c’était Clarisse Agbegnenou et Simone Biles. Ce sont deux femmes très fortes et qui ne se mettent pas de limites, et après je dirais Mike Horn, qui m’a toujours fait rêver, ses aventures, et puis Ellen Mac Arthur, ou encore Samantha Davies. Depuis que je suis toute petite, j’ai toujours observé son parcours. Je pense que je me suis dit, je peux faire de la course au large parce que certaines femmes en font.
Vous êtes marraine d’Apprentis d’Auteuil à titre bénévole. D’où vient votre engagement ?
Je ne connaissais pas beaucoup la fondation Apprentis d’Auteuil quand j’étais jeune. À 18 ans, j’ai rencontré une classe d'un établissement en Aquitaine avec un premier sponsor qui m’aidait sur le projet. Les jeunes m’ont beaucoup touchée. J’ai commencé à m’y intéresser. Je me suis dit que si je montais un projet Vendée globe, il fallait que je le fasse en soutenant une fondation, car cette course offre une énorme visibilité médiatique, il faut donc essayer de s’en servir à bon escient. J’ai pensé spontanément à Apprentis d’Auteuil, j’ai recontacté la personne qui m’avait parlé de la fondation en lui disant que je voulais travailler avec vous sans trop savoir encore quoi mettre en place. C’était en 2020. Et tout de suite, nous avons réfléchi ensemble, avancé. Nous avons déjà mis en place la visibilité sur le bateau avec le logo de la fondation sur la voile. J’en parle aussi à tous les médias que je rencontre. L’idée, c’est aussi de créer du lien avec les établissements et que cela entre dans un projet éducatif : soit les jeunes viennent sur les événements, soit je me déplace dans les établissements pour aller voir les classes.
Que souhaitez-vous transmettre ?
Quand ce sont des petits, l’idée c’est de les faire voyager, de les faire rêver, qu’ils s’évadent quelques instants. Je leur parle de la mer, des animaux, de la façon dont on vit sur un bateau, ce que je vois quand je suis en mer. Ils ont toujours mille questions. Quand ce sont des jeunes qui ont plutôt mon âge, je partage ce que j’ai vécu dans la gestion de projet, comment on s’entoure bien, comment on écrit ses idées, on monte son projet, c’est ce que je partage. Pour les collégiens, j’essaie de partager l’importance d’être déterminé dans ce qu’on fait. Il faut y aller, foncer. C’est plus les valeurs. À chaque fois, c’est très différent.
Que vous apportent toutes ces rencontres ?
Quand je suis en mer et que cela ne va pas, je me dis qu’il faut continuer, ne pas lâcher, à la fois pour mon projet, mes proches, mais aussi pour la fondation, les jeunes, pour tous ceux qui aiment ce projet et qui le suivent.
Vous êtes aussi en contact avec les équipes...
Ce sont des très beaux métiers qui ont du sens, notamment les éducateurs. Ça a toujours été mon plan B si jamais la voile s’arrête. C’est incroyable la force qu’il faut pour être éducateur, être toujours bienveillant. Cela m’impressionne.
Mes bonheurs
En premier lieu, mes proches. J’adore aussi faire du sport. Cet été, j’ai fait le GR20 en Corse, je me suis découvert une nouvelle passion avec la randonnée. J’aime beaucoup le surf depuis que je suis toute petite. Et récemment j’ai découvert la course à pied et le trail.
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