Portrait de Matéo jeune "ancien" de la fondation
Témoignages

Matéo Dassé, un ancien apprenti comédien

PORTRAIT. Électron libre de 21 ans, Matéo Dassé, accueilli plusieurs années durant dans deux Maisons d’enfants d'Apprentis d'Auteuil en région parisienne, apprend l’art dramatique. « Pour ouvrir son cœur et devenir meilleur ». Un jeune sensible et inspirant, à l’enthousiasme communicatif.
Par Agnès Perrot.

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Jeune ancien, Matéo Dassé, 21 ans, apprend aujourd'hui l'art du théâtre. Passé par deux maisons d'enfants d'Apprentis d'Auteuil, il raconte son parcours jusqu'à aujourd'hui.

« On fait du théâtre parce qu’on a l’impression qu’on n’a jamais été soi-même et qu’enfin on va pouvoir l’être. » Ces propos de Louis Jouvet, homme de scène s’il en est, Matéo Dassé, apprenti comédien, pourrait facilement les faire siens. Son sac à dos à peine posé sur la banquette du café où nous avons prévu de nous rencontrer, en cette fin du mois de juin, le jeune homme laisse libre cours à son enthousiasme.

Inspirer le monde

Dans quelques jours aura lieu la représentation annuelle de sa classe de comédie, les cours Peyran-Lacroix, installés dans les locaux du théâtre de la Pépinière à Paris. Il y jouera deux scènes, celle du portier de Macbeth de Shakespeare et une autre extraite de Spoon River, une anthologie de poèmes d’Edgar Lee Masters, un auteur américain du début XXe, mis à l’honneur dans la technique Meisner, une méthode de formation d'acteur au programme de sa formation.   

« Ce que j’aime dans le théâtre, lance-t-il en choisissant ses mots, c’est qu’il y est question de transformation, de chemin, d’authenticité. Incarner des personnages me donne l’occasion de m’interroger sur mon rapport à l’autre, au beau, à mon corps... En d’autres mots, le théâtre m’apprend à vivre ! »

D’évidence, le jeune homme entre facilement en lien, écoute, se remet en question s'il le faut. Des atouts pour s’investir dans la comédie. Mais peut-être plus encore dans la vie, comme il le dit, surtout lorsqu’elle n’a pas tout à fait commencé comme il l’aurait souhaité.

Force intérieure

Matéo naît en septembre 2001 dans les Hauts-de-Seine. Il vit ses premières années en famille, entouré de sa sœur, de 18 mois son aînée, et de ses deux parents à la santé psychologique fragile. Une fois ou l'autre, il est récupéré en foyer d'urgence avec sa soeur, l'espace de quelque temps, puis rendu à sa famille, ne comprenant pas vraiment ce qui lui arrive... 

Les années de petite enfance passent, mais les difficultés parentales persistent. L'année de ses cinq ans, le garçon est confié avec sa sœur à la Maison d’enfants Saint-Esprit d’Apprentis d’Auteuil, située à Orly. Matéo accuse le coup, n'apprécie pas toujours de devoir vivre entouré d'enfants, mais mesure rapidement la chance qu'il a de pouvoir grandir en sécurité.

«  Dès tout petits, avec ma soeur, nous avions cette force intérieure qui nous portait pour avancer et faisions l’admiration des professionnels de notre entourage, » confie-t-il. Au fil du temps, malgré la séparation, je me suis rendu compte de l'opportunité qui m'était offerte de vivre une enfance soutenue et encadrée. » 

Très mûr pour son âge, Matéo est scolarisé dès le CE1 dans une petite école à  l'extérieur de la Maison d'enfants et voit ses parents et grand-parents maternels tous les week-ends et pendant les vacances scolaires. Très vif, il fait preuve d'une grande curiosité et d'une imagination débordante. Et déteste la routine. Chaque fin d'année, il est convoqué par le juge des enfants pour faire un point sur sa situation.

Le temps de l'adolescence

Reconnaissant envers les éducateurs qui le suivent, Matéo demande régulièrement à ce que son placement soit poursuivi. Sa maman allant mieux, il est autorisé à retourner vivre en famille en fin de primaire.  Son père a entretemps quitté le domicile conjugal.

Avec sa soeur, le collégien rejoint sa mère, désormais installée à Paris. Une organisation de courte durée. Sa maman tombe à nouveau malade et doit être hospitalisée dans la durée. Toujours accompagné de sa soeur, Matéo rejoint le domicile de ses grands-parents et fréquente un temps un collège du secteur, doté d'un internat.

L'établissement ne lui convenant pas, l'adolescent demande au juge des enfants de pouvoir retrouver la fondation dès que l'occasion se présentera. Âgé de 15 ans, il fait (toujours) preuve d'une maturité étonnante. « J’ai repensé à ce que j’avais vécu plus jeune et compris de moi-même que j’avais encore besoin des repères qu'Apprentis d'Auteuil, j'en étais persuadé, pourrait continuer à me donner. » 

Une révélation

À la Maison d’enfants Maximilien-Kolbe de Boulogne (92) où il est envoyé, Matéo se repose, reprend confiance, expérimente une autre forme de vie en collectivité, se crée un nouveau réseau d’amis, se sent à nouveau guidé, mais décroche sur le plan scolaire. Les matières générales du lycée l'ennuient. « L’école formate trop. C’est dommage. On nous enferme dans des boîtes pour que nous devenions de bons petits soldats. Très peu pour moi ! À un moment, je n’ai plus supporté et je me suis mis à sécher les cours. Je voulais être moi, » explique-t-il.

À la même période, il découvre le théâtre. Une révélation. « Construire un personnage, créer des costumes, apprendre les codes de la scène, faire entrer de l'imaginaire dans ma vie, la discipline m'a immédiatement bouleversé. Et grâce à cet art, je retrouvais le plaisir de jouer comme lorsque j'étais enfant. »

Le fait d'être reconnu sur scène lui permet aussi d'être mieux reconnu dans sa vie. Matéo continue d'avancer, apprenant à accepter le regard d'autrui sur lui et à écouter les autres. Jusqu'à obtenir, contre toute attente, son baccalauréat en juin 2019, grâce à ses bons résultats dans l'option qu'il a choisie au lycée, « cinéma-audiovisuel ». 

« Les disciplines enseignées dans cette section m'ont initié à la réalisation et à l'écriture cinématographique. », se souvient-il. « On avait des intervenants monteurs et des réalisateurs issus de la Fémis ou de l'école Louis Lumière. J'ai appris plein de choses, en lien avec ma formation en théâtre. Et ces cours-là, je ne les séchais pas... »

Contrat jeune majeur

Décidé à poursuivre ses études supérieures, Matéo se voit alors attribué un contrat jeune majeur par les Hauts-de-Seine. Octroyé par les Départements, ce dispositif permet aux jeunes suivis au titre de la Protection de l'enfance durant leurs années d'enfance et ou d'adolescence de prolonger jusqu'à leurs 21 ans les aides et le suivi dont il ont bénéficié plusieurs années durant.

Un soutien matériel et financier appréciable, notamment en matière de logement, un point crucial quand on vit dans la capitale. « Je ne remercierai jamais assez mes éducateurs d’Apprentis d’Auteuil et le CPE du lycée. Pendant toutes ces années assez délicates, ils ont cru en moi malgré moi. Et j’y suis arrivé. » précise-t-il encore.

Devenir meilleur

Depuis trois ans, Matéo se frotte à la vie à Paris. Admis en septembre 2020, après audition et une année de petits boulots, à l’école de théâtre de ses rêves, il travaille pour financer sa formation, donne des coups de main pour l'animation d'événements, réfléchit, s’émancipe. Apprend aussi « à ressentir et voir le positif, devenir de plus en plus vrai ». Bref, à ouvrir son cœur et devenir meilleur.

« Aujourd’hui, même si certains jours continuent d'être difficiles, ma vie est belle et j’apprends à en prendre soin », lance-t-il encore avec fougue. « J’aime ces techniques propres au comédien, le travail sur la diction, la respiration, le regard, l’énergie qui en résulte. Il faut faire ses gammes, répéter et encore répéter. Bien sûr pour mieux jouer, mais aussi pour créer et continuer à se libérer. »

Et Matéo de conclure, emporté par son sujet : « Mon avenir, je verrai bien. En attendant, je finis mon cursus avec plein de projets dans la tête. Ma devise ? Si tu crois en toi, tu réussiras ! »

 

BIO EXPRESS

  • 2001 : naissance
  • 2007 : placement à la Maison d’enfants Saint-Esprit 2012 : retour en famille
  • 2015 : nouveau placement à Apprentis d’Auteuil 
  • 2019 : baccalauréat option « cinéma-audiovisuel »
  • 2020 : entame des cours d’art dramatique