Falmarès, ancien de la fondation
Témoignages

Falmarès, jeune auteur en exil : « Chaque instant de notre vie est un poème. »

TÉMOIGNAGE. Né à Conakry, en Guinée, en 2001, Falmarès, jeune auteur en exil accueilli un temps par Apprentis d’Auteuil, arrive en France à l’âge de 15 ans après avoir traversé la Méditerranée au péril de sa vie. Il vient de publier chez Flammarion « Catalogue d’un exilé », un recueil de poèmes au souffle puissant.
Par Agnès Perrot.

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Né à Conakry,en Guinée, en 2001, Falmarès, 22 ans, jeune auteur, a traversé la Méditerranée au péril de sa vie. Il vient de publier un recueil de poèmes aux éditions Flammarion.

« Je m’appelle Falmarès, un surnom donné par un ami quand j’étais petit. J’ai 22 ans aujourd’hui. J'ai commencé à jeter des mots sur un cahier à mon arrivée dans un camp de réfugiés en Italie, la Méditerranée traversée au péril de ma vie. Je n’avais jamais écrit auparavant. » D’emblée, le ton est donné.

Citoyen du monde

Démarré autour d’une signature de livre, son cinquième déjà, le partage se poursuit au téléphone. Ce matin-là, la voix est posée, parfois grave, entrecoupée de silences. Et de bout en bout, très imagée. Non content d’écrire, Falmarès sait aussi se dire.

D'une étonnante maturité, le jeune homme se définit avant tout comme « citoyen du monde, enfant de tous les pays ». « Je suis poète, exilé, réfugié, tout cela à la fois. Quels que soient nos parcours, nous nous ressemblons plus que nous le pensons », poursuit-il, évoquant à l’appui, la Bretagne, terre qui l’accueille depuis son arrivée en France, tellement semblable à celle de son enfance.

« La pluie bretonne me ramène à la sous-préfecture de Koba, sur la côte atlantique, à deux heures de Conakry, où j’ai en partie grandi. Avec ses pluies qui durent six mois, son climat tempéré, ses rizières, ses marais salants, ses oiseaux de couleur, ses crabes, ses pêcheurs... J’y ai passé tous mes étés, jeune enfant, à aider à la pêche et aux travaux des champs, avant d’aller y vivre toute l’année, vers l’âge de 8-10 ans, après la séparation de mes parents. Notre grand-mère nous a recueillis, moi l'aîné de ma fratrie, avec mon frère, ma sœur et notre maman, qui continuait à travailler à Conakry en semaine. »

Une odyssée tragique 

Sa mère tant aimée, son rempart, son bouclier ! Tombée soudainement malade, elle disparaît fin 2015, dans ses bras, en l'espace de quelques jours, sans pouvoir reconnaître les siens. Falmarès n'a que 14 ans et ses parents commencent juste à se reparler.

 « Ma mère était une femme de caractèrefille unique rapidement obligée de se battre, notamment lorsque notre père nous a quittés, raconte encore le poète. Ayant elle-même perdu son père très jeune, elle était d’une grande exigence avec nous, contrairement à notre papa, de tempérament plus doux... »

La perte de sa maman précipite le départ du jeune homme« Après sa disparition, des problèmes de famille insolubles se sont déclarés, explique-t-il sobrement, notamment avec ma belle-mère. Le quotidien est devenu très compliqué, à la limite du supportable. J’ai décidé de partir un beau matin de 2016, avec dans un sac deux ou trois vêtements et quelques économies, sans rien dire à personne. C’était mon destin. »

Pudique,Falmarès en vient à raconter son odyssée d'une année, entre Conakry et Nantes. À commencer par l'épreuve du désert, entre Gao, au nord du Mali, et Alger. 

Côtoyer l'impensable

Entièrement à la merci de ses passeurs, l'adolescent est jeté, avec d'autres, dans un camion-benne. Il n'a avec lui ni eau ni nourriture... Persuadé que ses dernières heures sont arrivées, il finira par aboutir, à bout de souffle, dans la capitale algérienne, après être passé par Tamanrasset.

C'est l'hiver et la brûlure du désert a fait place à celle de la neige. Errant dans les rues, transi de froid, Falmarès est abordé le soir même par un chef de chantier. L'homme l'invite à monter dans son camion. Le jeune migrant passera sept mois à travailler pour lui, comme aide-maçon. Un vrai défi : enfant, par peur du vide, il ne grimpait jamais sur les manguiers qui le narguaient avec leurs fruits sucrés... 

Falmarès raconte encore la maladie qui l'affaiblit à son arrivée en Libye, plaque tournante de l'immigration vers l'Europe. Pour le sauver, son patron l'a confié à des inconnus. Terrassé par la fièvre, Falmarès vivra trois mois d'enfer dans un camp d'exilés. Jusqu'à cette nuit terrible où  il est appelé par son nom. Son tour est arrivé de  traverser la Méditerranée...

Une peur abyssale submerge le jeune homme. « Avec 180 compagnons d’infortune qui, comme moi, ne savaient pas nager, j'ai embarqué sur un zodiac, sans gilet de sauvetage », détaille-t-il. Par chance, son bateau est repéré par un navire italien, alors qu'il approche des eaux internationales.

Falmarès débarque sain et sauf à Catane. « Tout au long de mon odyssée, ma foi en Dieu m’a aidé, affirme-t-il. Celle que j’ai en l’homme aussi. Dans les moments les plus sombres, il y a toujours des gestes d’amour donnés. Je peux tellement en témoigner. »

Dans les profondeurs de la nuit

S'ensuivent alors l'arrivée improbable à Nantes, via un billet de train, cadeau d'une association, la première famille d’accueil, la prise en charge par Apprentis d’Auteuil dans la région - deux années d'ambiance folle au sein de ce qu'il nomme après coup une vraie famille -, le bac, l'inscription en BTS logistique obtenu l'été dernier...

Aujourd'hui, dans son appartement de Nantes, où il est à nouveau installé, Falmarès prend sa plume dès que l’inspiration le saisit. Et notamment la nuit. « Son calme m’apaise, sa profondeur. Comme une boîte noire qui m’entoure et me protège. Je ferme les yeux. Le temps s’endort. Tu t’allèges... »

L'écriture, aime-t-il à redire, l'a attrapé sur son chemin d'exil. « Je n’arrivais plus à trouver le sommeil. J'ai sorti un crayon et commencé à griffonner. L’écriture s’est révélée d’une urgence absolue. Une force vitale qui te submerge... Tu te sens libre, le temps s’endort, ta pensée devient illimitée. J’ai rapidement compris que cet art me sauverait la vie. »

L’écriture, une urgence absolue 

Désormais plus serein, Falmarès d'ajouter : « Peu à peu, la nécessité de coucher des mots sur le papier s’est transformée en une délectation absolue. Aujourd’hui, j’écris avant tout pour créer des émotions, célébrer l’amour, les rencontres, les lieux et les personnes qui me touchent... »

Comme sa chère maman, des amis, son aïeule récemment décédée. Une femme généreuse qui l'a tellement marqué. Et l'a, d'évidence, influencé. « Je l'admire énormément et lui dois tant de choses. Très respectée, elle avait un profond sens de l'écoute. »

Ou son père, avec lequel le jeune homme s’est entretemps réconcilié. « Avec mon frère et ma sœur, nous avons beaucoup souffert de son abandon, mais j’ai grandi et je comprends mieux. Les histoires de couple peuvent être parfois très compliquées. Mon père, issu d'une famille de griots, est une bonne personne... »

Fils héritier des songes 

Falmarès mentionne encore son livre« J'ai tenté de trouver la beauté dans ce voyage infernal, résume-t-il pour le présenter.

Une fois les fêtes passées, le jeune homme, récemment diplômé, va se mettre à travailler. Sollicité par de plus en plus de festivals de littérature, il a choisi l'intérim, pour pouvoir continuer à écrire. « Je suis très ému des cadeaux que la vie m'offre actuellement, conclut-il humblement. Et de ce qu’on me renvoie depuis la publication de mon livre. C’est pour moi un honneur et une très grande joie. » 

Un immense poète est né.

À LIRE :

UNE HISTOIRE DE RENCONTRES

« Catalogue d’un exilé » est le cinquième recueil de poèmes de Falmarès, dans lequel il raconte son odyssée jusqu’en France, son pays, sa famille, ses rencontres et ses rêves.

Arrivé à Nantes, le jeune auteur hante la médiathèque. Et des ateliers d'écriture. Tout s’accélère grâce à des rencontres. D'abord celle du poète Michel L'Hostis et de sa compagne, avec leur revue  "Le pot à mots". Il participe à des rencontres littéraires avec ses amis et très vite, est publié dans trois revues et gagne un prix de poésie.

En 2018, lors de la fête de la musique, Falmarès est approché par Joëlle et Armal Mandart, des éditions Les Mandarines, qui le publient pour la première fois. Plusieurs recueils suivent chez le même éditeur. Il est sélectionné comme membre du jury du festival " Étonnants voyageurs."

Falmarès croise alors le chemin de Joseph Ponthus, la quarantaine, décédé des suites d'un cancer en 2021. Un homme de lettres de la région, un temps éducateur en banlieue, rendu célèbre pour "À la ligne, Feuillets d'usine", un hommage poétique - et autobiographique - bouleversant sur la condition ouvrière, qu'il expérimente en usine, faute de trouver du travail dans le secteur social...

Les deux hommes se lient rapidement d'amitié. Grâce aux liens tissés, Falmarès rencontre les éditions Flammarion. Le début d’une autre histoire…