Photo d'une bébé allongé regardant sa maman
Témoignages
26 décembre 2022, modifié le 25 décembre 2024

Une naissance, le soir de Noël

TÉMOIGNAGE. Il y a trois ans, le soir de Noël, Esther a mis au monde Félicité, une petite fille qu’elle et son compagnon élèvent dans la chambre d’un centre d’hébergement de la porte de la Chapelle, avec son jeune frère, Simon. Au fil des mois, avec le soutien d'une crèche d'Auteuil Petite Enfance, filiale d'Apprentis d'Auteuil, et de la Maison Bakhita du diocèse de Paris, Esther se reconstruit. Par Agnès Perrot.

Afficher le résumé facile à lire et à comprendre
Il y a trois ans, Esther a eu une petite fille le soir de Noël. Elle s’appelle Félicité. Esther et son compagnon vivent avec Félicité et son jeune frère Simon dans une chambre d’un centre d’hébergement de la porte de la Chapelle, à Paris. Avec l’aide d’une crèche d’Auteuil Petite Enfance et de la Maison Bakhita, Esther reprend confiance.

Il est 9h. Dans la salle de motricité de la crèche D’ici et d’ailleurs d'Auteuil Petite Enfance, une filiale d'Apprentis d'Auteuil, installée dans les locaux de la Maison Bakhita, un centre de ressources du diocèse de Paris, créé pour les personnes migrantes et les acteurs impliqués auprès d’eux, Esther (1) regarde son benjamin jouer, assise sur un banc installé à hauteur des enfants. Simon (1), qui aura deux ans en janvier, est le deuxième enfant de la fin d’un long voyage.

La puissance des mères

La confiance installée, la mère de famille s'ouvre sans réticences : « J’étais à bout. La crèche m’a tellement aidée ! Cela va faire bientôt un an que j’ai pu y inscrire mes deux enfants, Simon, bientôt deux ans, et Félicité (1), trois ans, sur les conseils de la PMI (Protection maternelle et infantile). Félicité y est restée pendant six mois. Depuis la rentrée, elle a intégré l’école voisine en petite section de maternelle. »

Originaire du Cameroun, Esther a 31 ans. Elle vit depuis deux ans avec son compagnon et ses enfants dans la chambre minuscule d'un centre d’hébergement voisin, rattaché au 115, le numéro d'urgence sociale pour les personnes sans abri.

« Je m’inquiète facilement car j’ai des soucis de santé, explique-t-elle. Je dois me rendre régulièrement à l’hôpital pour des contrôles, ma maladie, invisible, nécessitant d’être régulièrement suivie. Avec deux enfants en bas âge et un compagnon qui travaille toute la journée, c’est parfois bien compliqué. En même temps, je suis tellement heureuse d’accomplir ma maternité, même si parfois, je rêve de chez moi... Jamais je n’aurais imaginé tout ce qui m’est arrivé. »

Malgré les vicissitudes, Esther se sait puissante. « Mes enfants me portent tellement. Une mère est dotée d’une force incroyable. Elle peut même soulever des montagnes. »

L’espérance au cœur

Quand la jeune femme traverse une période difficile, elle écoute de la musique, médite et prie chez elle, apprenant à ses enfants à faire de même. Ou elle se rend dans une chapelle proche de chez elle.

« J’ai puisé dans ma foi l’espérance de me sortir de toutes les situations », précise-t-elle, aspirant à trouver au plus vite un autre logement. « Avec mon compagnon qui a trouvé du travail depuis plusieurs mois et ma fille désormais scolarisée, nous y croyons ! ».

Rendre grâce

Le matin de Noël, elle est allée à l’église et elle a célébré la naissance du Christ, mais aussi celle de sa fille, qui a vu le jour trois ans plus tôt à l’hôpital Trousseau, quatre semaines avant terme. Une grossesse très surveillée pour cause de pré-éclampsie, une maladie liée à des problèmes d'hypertension qui atteint les femmes enceintes.

« J’aurais été au pays, ma mère et mes tantes m’auraient aidée et j’aurais pu davantage me reposer. Là-bas, à Douala, sur l’embouchure du fleuve Wouri, c’est comme ça. Les jeunes accouchées sont très entourées et les enfants pris en charge par la communauté. »

Esther a rendu grâce aussi. Pour les professionnels qui la soutiennent, son compagnon, ses enfants et tous ceux qui lui ont tendu la main durant son odyssée jusqu’en France. Une incroyable traversée de deux ans, marquée par la prison, la faim, le froid et l’insécurité permanentes. Mais dont elle est sortie vivante.

Les routes de l'exil

La jeune femme raconte pudiquement. « Après la mort de mon père, tout a basculé. Devenu fou, mon oncle s’en est pris à moi. Il a tenté plusieurs fois de me violer et a voulu m’imposer un mariage forcé. Exploitée par les miens, j’ai dû fuir de chez moi et me réfugier dans mon village maternel, puis toujours traquée, dans une grande ville du pays. Sur place,  j’ai trouvé un travail comme ménagère chez une femme de confiance. Décidée à m’aider et à me protéger, cette dernière a mis de côté l’argent qu’elle me devait, pour que je puisse prendre un billet d'avion pour la Turquie. Je ne sortais quasi plus de chez elle, de peur d'être dénoncée ou rattrapée. »

Arrivée à Istanbul, seule et sans soutien, Esther est arrêtée, on la vole, elle manque plusieurs fois d’être agressée... Elle tient bon et finit par arriver à Paris. Épuisée mais en vie.

Choisir la vie

Aujourd’hui, la jeune femme se remet à sourire. L’accompagnement d'Auteuil Petite Enfance à son rôle de parent lui fait du bien. Celui proposé chaque semaine par une psychologue - formée aux traumatismes de l’exil - de la Maison Bakhita également. Sa plus grande joie ? Ses enfants, qu’elle voit grandir. Et qui l’aident à s’épanouir. Elle sent un chemin s'ouvrir.

« J’ai osé demander de l’aide. Et compris le bénéfice que j’aurais à confier mes enfants. Mon aînée s’est transformée. Elle parlait très peu. Aujourd’hui, elle est pleine d’énergie. Mon fils aussi. J’en suis tellement heureuse. Le sommeil revient, mes blessures s’apaisent, j’ai commencé à prendre des cours de français. Avec le projet de me lancer, le moment venu, dans le stylisme. Je suis couturière de formation. »

Une force inébranlable

Esther conclut, pleine de dignité. « Je suis partie pour vivre et j'ai décidé de témoigner de mon histoire, pour aider à faire comprendre le parcours qui a été le mien et qui continue d'être celui de trop de personnes. J'ai failli plusieurs fois sombrer, mais Dieu m'a accompagnée, et à chaque fois, Il m'a relevée. Si je pouvais donner un conseil  à ceux et celles qui traversent des épreuves semblables à la mienne, je leur dirais de ne pas renoncer. Il y a des moments dans la vie où l’on côtoie l'impensable. Mais nous avons tous, ancrée au fond de nous, une force inébranlable. Il faut prendre courage, faire confiance et rendre grâce. Puis, le moment venu, redonner, à sa mesure, ce que l'on a reçu. C’est cela être humain. »

(1) Les prénoms ont été changés

Photo d'illustration : (c) iStockPhoto

D'ici et d'ailleurs, une crèche d’Auteuil Petite Enfance

Ouvert en novembre 2021, D’ici et d’ailleurs est le dernier établissement multiaccueil d’Auteuil Petite Enfance (APE).

Fidèle aux principes de mixité sociale d’APE, la crèche (13 berceaux) reçoit en parité des enfants de parents migrants qui fréquentent la Maison Bakhita et des tout-petits du quartier, orientés par la mairie. 

Elle a à cœur de participer à la construction d’un nouvel équilibre au sein des familles touchées par la migration et de les soutenir dans leur rôle de parents. Ceci avant même de penser formation, travail ou insertion.