
Raconter son histoire de parent
REPORTAGE. À la Maison des Familles de Grenoble, des parents venus d'ailleurs transmettent leurs histoires de vie à leurs enfants, au moyen de petits livres brochés. Agnès Perrot.

Maison des Familles de Grenoble, un mercredi de début de printemps, jour des enfants. Et des groupes de parents. Pendant que les pères et les mères bavardent, leurs petits jouent dans une salle attenante, encadrés par des bénévoles.
Un peu plus loin, dans un bureau transformé en atelier, une femme se confie, le visage plein d'émotion, installée dans un fauteuil qui prête aux confidences.
En face d'elle, stylo à la main, Béatrice Ménétrier, écrivain, éditorialiste. L'accoucheuse de mots écoute attentivement, pose des question et prend des notes...
Mission de la femme de lettres ? Recueillir les récits de vie de parents venus d'ailleurs, destinés, une fois rédigés, à être consignés dans des jolis petits livres à tirage limité, mis en page avec l'aide d'un maquettiste.
Une expérience à vivre

Une idée de la directrice des lieux, Elisabeth Michel, sensibilisée à la question de la transmission et de l’exil par les travaux de la psychanalyste Marie Rose Moro, pionnière de la consultation transculturelle en France (1).
"Je n’avais encore jamais écrit de récits de vie, s’enthousiasme Béatrice Ménétrier. J’étais d’autant plus heureuse de démarrer cette aventure".
"Avec l’accent mis sur les forces déployées pour avancer et la prise de conscience que c’est la foi en la vie qui permet la résilience, il y avait matière à se mobiliser et à concevoir de beaux ouvrages, continue-t-elle. L’enjeu de ce projet réside, pour moi, dans l’art de trouver les mots et le ton justes et d’arrondir parfois les angles, pour relater certains épisodes plus douloureux de la vie de ces pères et de ces mères."
Les migrants avec lesquels l'écrivain travaille sont arrivés en France dans des conditions difficiles, parfois pour sauver leur vie.
"Tout au long de l’année dernière, précise Elisabeth Michel, nous avons travaillé en équipe et avec les parents le thème de la transmission. Raconter son histoire de déracinement sous la forme d’un livre écrit par un professionnel me semblait une expérience pertinente à vivre. Les parents partie prenante pourraient ainsi mieux comprendre certains aspects de leur parcours, pour les mettre à distance et surtout laisser une trace à leurs enfants, aujourd’hui trop jeunes pour comprendre."
Les mots pour le dire

Safa, une des premières bénéficiaires du projet, raconte : "L’idée du livre à transmettre à mes enfants m’a tout de suite plu. J’ai vécu quelque chose de formidable avec Béatrice. En participant à ce défi, j’ai souhaité raconter pourquoi j’ai quitté mon pays, la Tunisie, d’abord seule avec mes deux petites filles, avant que mon mari ne nous rejoigne, en laissant les miens derrière moi. J’ai failli plus d’une fois tout abandonner. Mais je suis en même temps tellement fière de ce que j’ai réussi à construire !"
"Je ne supportais plus cette vie où l'on a peur de tout, poursuit la jeune femme, à cause des traditions et du qu’en dira-t-on, et où il y a toujours un homme plus âgé, un oncle ou un beau-père, qui vous dicte ce que vous devez faire. J’allais de plus en plus mal. Le travail mené avec Béatrice m'a permis de trouver les mots pour dire cette réalité."
Écho similaire chez Wahiba, dont le témoignage est en cours de rédaction. "Le travail que je mène avec Béatrice m'a transformée, souligne-t-elle avec émotion. Pleine de tristesse, je gardais à l'intérieur de moi la souffrance d’avoir eu un bébé mort-né à la naissance. J'étais abattue. À chaque rencontre, je vide mon sac. Depuis, je me sens de plus en plus légère et je mesure la chance que j’ai de pouvoir me libérer ainsi. Ce projet me donne beaucoup de force et une plus grande confiance en moi."
changer son regard sur le monde

C'est au tour de Léonard de s'exprimer. Originaire de la République du Congo et contraint de quitter son pays en 2004, le père de famille a décidé, quant à lui, de centrer son récit sur son enfant de 9 ans, né en France.
"Écrire, explique-t-il plein de fierté, c’est un projet que j’avais après la séparation d’avec la maman de mon fils. La proposition d’Elisabeth est arrivée à point nommé. Je voulais que mon enfant ait ma version de l’histoire et surtout qu’il sache que, malgré la situation actuelle, il est vraiment le fruit de l’amour. Grâce à ce travail, j’ai le sentiment d’avoir tourné une page. Un vide s’est comblé. Je suis dans la sérénité."
Emanuela conclut : "Originaire d’Albanie, je n’ai pas encore commencé mon travail d’écriture, mais je suis prête. J’ai un garçon de 16 ans, aujourd’hui au lycée, avec lequel je vis seule. Je veux raconter mon histoire, les raisons qui m’ont fait quitter ma patrie et venir en France avec lui. J’ai perdu mon mari quand il était tout petit. Ce n’est pas facile d’élever un enfant seule, encore plus dans un pays étranger. Grâce à ce récit, mon fils comprendra plus tard que j’ai essayé de lui donner le meilleur !"
L’exil peut engendrer angoisse et regret, mais aussi changer son regard sur le monde. Chacune à leur manière, ces histoires de vie transmettent un message poignant de vérité, de confiance et d'espérance.
(1) Et auteure (notamment) des ouvrages "Aimer ses enfants ici et ailleurs - Histoires transculturelles" et "Nos enfants demain - Pour une société multiculturelle"
La consultation de psychiatrie transculturelle de l'hôpital Avicenne (Bobigny, 95)
- Intégrée au service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, la consultation de psychiatrie transculturelle ouverte par Tobie Nathan en 1980, puis reprise, développée et complexifiée par Marie Rose Moro depuis 1989, se fait à la demande des professionnels de santé.
- Elle permet de surmonter les problématiques rencontrées lors de la prise en charge de familles migrantes. Après évaluation du besoin par un psychologue, des entretiens peuvent être proposés. Ils associent la famille, un interprète et l’équipe en charge du patient migrant.
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