Espace lecture à la maternelle
Société

Michel Desmurget : « La lecture est un remède formidable contre l’échec scolaire »

Dans son dernier ouvrage « Faites-les lire ! Pour en finir avec le crétin digital », le chercheur en neurosciences Michel Desmurget, directeur de recherche à l’Inserm, démontre en quoi la lecture est essentielle au développement de l'enfant. Propos recueillis par Agnès Perrot.

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Dans un livre paru à la rentrée, Michel Desmurget, scientifique, démontre que la lecture est le meilleur rempart contre l'échec scolaire. Des informations qu'il destine aux parents pour les inciter à faire lire leurs enfants.

Michel Desmurget, pourquoi ce livre ?

Michel Desmurget
Michel Desmurget (c) Bénédicte Roscot

C’est la suite de mon précédent ouvrage, La fabrique du crétin digital, dans lequel je me penchais sur les effets délétères des écrans sur la santé des enfants, leur comportement et leurs capacités intellectuelles. Avec comme  conséquence, des temps de lecture de plus en plus réduits. Pour moi, (trop) laisser ses enfants et ses adolescents devant les écrants relève de la maltraitance.

Après la parution du livre, j’ai eu beaucoup de demandes sur les solutions que je voyais pour répondre à cet enjeu de société majeur.

J’en suis venu à la conclusion que, s’il existe beaucoup de pratiques bénéfiques au développement de l’enfant, comme la musique, l’art ou le sport, la lecture pour le loisir me semble être la réponse la plus appropriée pour apprendre à grandir et à penser. C'est une expérience intellectuelle, psychique et émotive qui peut participer à la construction de l'identité. Avec, au bout du compte, un impact majeur sur la réussite scolaire.

Du coup, j’ai eu envie d’écrire un livre pour expliquer cela aux parents, sans les culpabiliser.

En quoi la lecture est-elle, selon vous, essentielle au développement de l’enfant ?

La lecture augmente nos capacités cognitives, elle est donc d’abord une machine à faire de l’intelligence, avec des effets positifs sur notre concentration. Elle nous aide aussi à mieux construire nos pensées, mieux organiser nos idées, augmente notre QI... Ce qui joue également sur notre capacité à communiquer de manière claire et ordonnée.

Vous parlez aussi d’intelligence émotionnelle et sociale ?

Bien sûr, et c’est la force de la littérature, la lecture nous permet aussi de mieux nous comprendre, de mieux comprendre les autres et de mieux interagir avec eux. Les livres de fiction sont le seul support dans lequel nous pouvons entrer dans la tête des personnages et éprouver les mêmes sentiments qu’eux. La science le prouve - les chercheurs parlent de simulation sociale - les mêmes réseaux neuronaux s’activent lors d’une émotion réellement vécue ou vécue via la lecture d’un livre !

La lecture nous rend aussi plus empathiques, cette capacité à mieux comprendre les autres, elle jugule la violence… On n’a pas fini d’explorer tous ses bénéfices.

Adolescent lisant à la bibliothèque
Adolescent lisant dans la bibliothèque d'un collège (c) Thomas Baron/Apprentis d'Auteuil
Le bonheur de la lecture
Longtemps je me suis couché de bonheur, avec mes livres et ma lampe de poche. Dès que j'allumais ma lampe, les personnages sortaient d'entre les pages. En foule. Avec les voisins, les chevaux, les oiseaux, les Martiens ambidextres, les héros peureux, les maléfiques, les surpuissants, les traîtres, les anodins, les ensorcelés, les injustement condamnés, les invisibles, les souterrains, les faces d'anges, les princesses à délivrer. Personne ne saura jamais combien nous étions sous la couverture.
Claude Ponti, " Blaise et le château d'Anne Hiversaire", éd. L'École des Loisirs

Vous dites en même temps que le cerveau n’est pas fait pour lire ?

De fait, apprendre à lire n’est pas du tout évident pour le cerveau. Ce dernier s’est formé, petit à petit, sans la lecture, car, contrairement au langage, la lecture est apparue très tard dans l’histoire de l’humanité. Il faut énormément d’informations au cerveau pour faire correctement son boulot premier de décodage, ce déchiffrage qui permet de convertir des signes alphabétiques en un langage compréhensible. Ce travail de passage du signe au son prend beaucoup d’énergie à l’enfant qui apprend !

Qu'en est-il du niveau de lecture des enfants et des adolescents aujourd'hui en France ?

Dans notre pays, la pratique de la lecture s'est effondrée au cours des cinquante dernières années. En compréhension de l’écrit, la France se classe « entre le 11e et le 29e rang », parmi les pays de l’OCDE, selon le dernier classement Pisa et en bout de parcours scolaire, les lycéens lisent 20% moins vite que ceux de 1960. Or la fluidité de lecture est un marqueur global de réussite scolaire et de niveau d’éducation.

Les enfants lisent également de moins en moins, happés qu'ils sont par les réseaux sociaux... Cela fait des années que de plus en plus d'enseignants tirent le signal d'alarme à l'arrivée des jeunes à l'université. Car lire, c'est décoder mais aussi comprendre... 

Que faire pour changer la donne ?

Lire, lire et encore lire avec nos enfants, et même relire plusieurs fois le même livre avec eux ! Un enfant ne vient pas à la lecture personnelle spontanément, les parents ne le savent pas assez. Il a besoin d’être accompagné pendant de nombreuses années par ses parents, en plus de tout le travail de déchiffrage – que je salue au passage - fait par l’école. Ce qui s’appelle la lecture partagée. J’invite les parents à continuer cette activité le plus longtemps possible, et même pourquoi pas, au collège. Et bien entendu à oublier les tablettes et autres écrans récréatifs...

Vers quel âge commencer la lecture partagée ?

Le plus tôt possible. Les études indiquent que le bébé commence à comprendre ses premiers mots dès l’âge de six mois. Certes à cet âge, il ne parle pas encore, mais il engrange ! Si on lit des histoires aux tout-petits, même s’ils ne comprennent pas tout, ils auront un vocabulaire et des compétences langagières beaucoup plus importantes. Bref, un développement à long terme différent.

S’enrichir régulièrement de mots nouveaux, dès cet âge, aide l’enfant à devenir le moment venu un lecteur plus efficace, qui décode certes, mais comprend également. Il faut faire de ce temps un moment de plaisir partagé, laisser les enfants poser des questions, etc. C'est à ce prix que la lecture personnelle viendra plus tard, permettant à l'enfant de se lancer seul et avec envie dans l'exercice.

Lecture en famille
Lecture en famille (c) Margaux Vié/Apprentis d'Auteuil

Vous évoquez également l’importance des échanges verbaux ?

Oui, ils contribuent énormément à l’apprentissage de la lecture. Il faut parler avec nos enfants et dès leur plus jeune âge. Plus l’environnement familial remplit l’enfant d’échanges conversationnels, mieux le cerveau se construit. Saviez-vous que lorsqu’ils arrivent en maternelle, certains enfants ont 1 200 mots de vocabulaire, quand d’autres, qui parlent moins en famille, n’en n’ont que  400 ?

À l’arrivée au collège, vous plébiscitez la lecture de livres de fiction, alors que les ados s’intéressent plutôt aux mangas et aux BD. Pourquoi ?

En matière de développement du langage, de capacité de lecture et de réussite scolaire, de nombreuses études montrent que les livres de fiction ont des impacts que la bande dessinée et les mangas n’ont pas. Je ne renie pas pour autant ces derniers, qui peuvent être fascinants en termes d’imaginaire, mais moins performants côté acquisition de connaissances, culture générale ou vocabulaire. Quand on ignore 2 à 3 % des mots d'un texte, on ne le comprend pas...

Une fois encore, les adultes (parents, enseignants, éducateurs) ont un rôle à jouer dans ce domaine pour inciter leurs ados à lire, leur parler de leur rapport aux livres, de leurs goûts en matière littéraire, de ce que la lecture a changé dans leurs vies d'adolescents, etc.

Je les invite à continuer à pratiquer la lecture à voix haute avec eux. Cela peut vite devenir un exercice passionnant. Certaines professeurs le font d'ailleurs en classe...

Un papa et sa petite fille lisent ensemble
Un papa et sa petite fille lisent ensemble (iStockPhoto)

Comment donner leur chance aux enfants qui n’ont pas été entourés de livres (tout) petits?

J’invite à les faire lire en petits groupes à l'école, à embaucher si l'on peut des étudiants pour leur faire la lecture, à les soutenir, les encourager. Tout comme leurs parents, en expliquant à ces derniers l’intérêt majeur de parler à leurs bébés et de leur lire des histoires. Tous les parents sont capables de comprendre cette nécessité. En informant les adultes, ce sont les enfants qu’on aide !

Que voulez-vous dire ?

La majorité des enfants en difficulté avec la lecture ne souffre pas d’un manque d’intelligence, mais d’un défaut de pratique et d’incitation. Il faut les faire lire, et peut-être encore plus que les autres. Rien n’est perdu. L’enfant qui lit augmente notablement ses chances de connaître un parcours scolaire - et par la suite professionnel - favorable. La lecture est un formidable remède contre l’échec scolaire.

 

À LIRE : « Faites-les lire ! Pour en finir avec le crétin digital », éd. du Seuil