Fillette lisant dans sa chambre
Société

En 2022, les jeunes lisent, mais différemment

GRAND ANGLE. Les jeunes n’ont pas abandonné la lecture, montre l'étude 2022 du Centre national du livre. Mais leurs pratiques et leurs goûts littéraires évoluent. État des lieux alors que s'ouvre le 38e Salon du livre et de la presse jeunesse. Par Agnès Perrot.

C’est la dernière étude d’ampleur menée pour mesurer l’appétence des jeunes de 7 à 25 ans pour la lecture. Les résultats de l’enquête 2022 du Centre national du livre (CNL) confirment qu’ils sont encore nombreux à lire : 81 % des 7-25 ans lisent pour leurs loisirs, « par goût personnel ». Concernant leurs choix, les 7-19 ans « lisent plus qu’avant des BD, mangas, comics (73%), quand les 20-25 ans privilégient encore les romans (58%) ». 

En crèche, une éducatrice fait la lecture à des petits
Moments de plaisir et de douceur partagés autour d'un livre dans une crèche d'Auteuil Petite Enfance (APE).
(c) Besnard/Apprentis d'Auteuil

Ce que lire veut dire 

« Si on définit la lecture par la capacité de déchiffrer du texte, jamais les jeunes n’ont autant lu, mais sur leurs téléphones, commente, avec une pointe d’ironie, Claude Poissenot, enseignant et chercheur en sociologie à l'IUT métiers du livre de Nancy, à l’aune de ces résultats. Dans la tranche d’âge collège, ils ne lisent quasiment plus de romans, mais des mangas, ces ouvrages dont parents et professeurs ne savent pas très bien ce qu’ils sont... » Le chercheur définit d’ailleurs ces bandes dessinées venues du Japon comme « un vrai marqueur, pour une génération essentiellement attirée par les littératures de l’imaginaire »

Une tendance confirmée par David Piovesan, enseignant en master métiers du livre à l’université de Grenoble, qui a analysé début 2021 les pratiques de lecture des jeunes à la lumière du Pass Culture, ce dispositif d'accès à des biens et services culturels mis en place par le gouvernement pour les 15-18 ans depuis juin 2019. « Parmi les ouvrages les plus vendus via le Pass, plus de la moitié sont des mangas », souligne-t-il. 

La question n’est pas que les jeunes rechignent à lire ou qu’il faille absolument les faire lire ... Ils lisent parce qu’ils ont besoin de savoir où ils vont. Dans le silence de leurs chambres, ils pourront alors trouver des réponses aux grandes questions de la vie.
Marie-Aude Murail

Un sujet personnel

Jeune adolescent dans un internat, déguisé, lisant sur son lit
Se plonger dans un bon livre, ce n’est pas seulement un plaisir. C’est aussi bon pour la santé physique et mentale !
(c) Besnard/Apprentis d'Auteuil

Creusant son analyse, Claude Poissenot poursuit : « À l’image de leur âge, les lectures des jeunes traduisent une volonté d’émancipation et de liberté. Plus on leur fait lire des auteurs classiques obligatoires pour avoir leur bac, moins ils ont envie de lire. Ils font leurs propres choix, notamment au lycée, différents de ceux de leurs parents, occupés qu’ils sont à construire leur identité. »

Une vision partagée par Marie-Aude Murail. Pour l’auteure de jeunesse à succès, particulièrement attentive aux souffrances des jeunes qu’elle décrit dans l’ensemble de ses romans, lire relève bien de l’intime : « La lecture est un sujet tellement personnel. Encore plus, d’évidence, à l’adolescence », souligne la femme de lettres.

Illustration humoristique du conte "le petit chaperon rouge"
Le plaisir de lire naît souvent avec les contes lus à haute voix, en famille, pendant la petite enfance.
(c) école des loisirs
3h 14
C'est le nombre d'heures que les jeunes passent à lire par semaine, contre 3h 50 devant un écran chaque jour. Source : enquête CNL/IPSOS de mars 2022

À l'heure des réseaux sociaux

Adolescente en internat lisant
De nombreux moyens existent pour accompagner tous les enfants dans la lecture. (c) Besnard/Apprentis d'Auteuil

Que faire alors pour donner envie aux jeunes de lire ou pour les inciter à continuer ? S'adapter à leur univers, répondent les éditeurs de littérature jeunesse qui ont remarqué que nombre d'adolescents basculent dans la lecture après avoir entendu parler d'un manga ou d'un roman sur les réseaux sociaux, dont désormais BookTok, l'espace de TikTok qui regroupe les jeunes amateurs de littérature.

« Notre raison d’être reste bien de cultiver le plaisir de la lecture, et ce même chez les tout-petits, explique Agathe Jacon, responsable de la promotion et des développements à L’école des loisirs. Mais nous allons chercher les jeunes là où ils sont. Ce qui nous a menés à mettre en place une proposition à destination des ados sur Instagram, EDL romans, en collaboration avec des influenceurs. Sans oublier des podcasts sur notre site. »   

Quand on lit, on part à la découverte de la profondeur de l’âme humaine, on voit l’indicible en mots, on rejoint des univers mystérieux.
Hanael Parks, auteur fantasy
Enfant de classe primaire devant une bibliothèque de livres
Comme en 2021, la lecture a été déclarée grande cause nationale en France en 2022. (c) Lucile Barbery/Apprentis d'Auteuil

S'échapper vers d'autres mondes

Car au juste pourquoi lit-on ? « Pour changer sa vision du monde » souligne avec enthousiasme Hanael Parks, jeune auteur fantasy à l’univers mental très peuplé et grande consommatrice de livres depuis sa petite enfance. « Quand on lit, on part à la découverte de la profondeur de l’âme humaine, on voit l’indicible en mots, on rejoint des univers mystérieux. C’est cela qui m'intéresse ! »

Une vision partagée par Victor Chabrol, étudiant en deuxième année de licence éco gestion, fan de livres d’économie, mais aussi, depuis l'adolescence, de mangas et de romans. « Je lis pour deux raisons essentielles. Approfondir les matières que j’aime et me détendre. La lecture m’apaise, je rentre dans un autre univers, j’oublie mes soucis ».

Les grandes questions de la vie

Jeune adolescent dans un internat, lisant sur son lit
La bande dessinée remporte toujours un franc succès chez les 7-19 ans ! (c) Geoffroy Lasne/Apprentis d'Auteuil

On l’a vu, les jeunes Français lisent. Des zones d’ombre demeurent cependant. Le décrochage à l’adolescence et le temps consacré à la lecture, nettement inférieur à celui passé sur écran. « On mesure la nature du travail encore à accomplir, souligne David Piovesan. Notamment pour favoriser l’accès à la lecture à tous ». Tout l’enjeu des politiques publiques et du travail des professionnels du livre est là.

Un constat global tempéré par Marie-Aude Murail, qui conclut, philosophe : « La question n’est pas que les jeunes rechignent à lire ou qu’il faille absolument les faire lire, notamment des classiques. Mes jeunes lecteurs me le disent, ils lisent parce qu’ils ont besoin de savoir où ils vont. Dans le silence de leurs chambres, ils pourront alors trouver des réponses aux grandes questions de la vie. »

Trois questions à Nathanaël Mion, directeur scientifique de Vers le Haut et auteur du rapport La lecture B.A-BA de la relation 

Pourquoi ce rapport ?

La lecture entraîne à la découverte de soi et des autres, elle tient un rôle important dans nos vies et dans la vie des enfants et indique leur capacité à réussir leur parcours scolaire et à s’insérer dans la société. C’est un sujet incontournable pour qui s’intéresse à l’éducation. 

Notre étude fait le point sur les idées reçues autour de la lecture, propose une analyse approfondie de ce qu'elle est (apprentissage, enjeu social, bienfaits, différentes formes de lecture, politique du livre…) et fait des recommandations pour développer le plaisir de lire et faciliter son acquisition. Nous avons, pour ce faire, sollicité une cinquantaine d'acteurs du monde de la lecture. 

Quelles initiatives découvertes à l'occasion de votre enquête vous ont le plus marqué ?

Je plébisciterais volontiers Dulala, une association qui se propose de mettre en valeur l'amour des mots dès le plus jeune âge en s’appuyant sur les langues présentes au sein des foyers. Un enfant sur quatre en France est élevé dans une famille où l'on parle plusieurs langues. En invitant les parents allophones à raconter des histoires à leurs enfants dans leur langue maternelle, Dulala permet aux tout-petits non seulement de faire grandir leur imaginaire, mais aussi d'accéder plus facilement aux structures grammaticales et au vocabulaire de la langue française. 

Vos mesures phare ?

Généraliser les pratiques de lecture à voix haute en classe pour tous les élèves dès le primaire, communiquer et accompagner le plus possible pour favoriser la lecture et le récit en famille dès le plus jeune âge, faire entrer tous les enfants dans la lecture !

À APPRENTIS D’AUTEUIL 

  • Inciter les élèves à lire fait partie des missions prioritaires des établissements scolaires d’Apprentis d’Auteuil, qui accueillent un public souvent très éloigné du monde des livres et de la culture.
  • Sur le terrain, les équipes enseignantes redoublent de créativité pour intéresser les élèves. En plus de la lecture des œuvres étudiées en classe, plusieurs collèges de la fondation participent aux Nuits de la lecture ou au défi Silence on lit, un temps de lecture personnelle partagé collectivement tous les jours de la semaine à la même heure, comme au collège Saint-Jean (81).
  • Pour intéresser les adolescents, d’autres établissements lancent des projets qui utilisent le livre comme outil (notamment pour des ateliers théâtre) et pratiquent la lecture à voix haute dans les classes.
  • Enfin, les centres d’information et de documentation (CDI) sont régulièrement investis pour des animations ou réaménagés pour aider les « petits lecteurs » débutants à se familiariser avec les livres, comme au groupe scolaire Notre-Dame-de-Lourdes (69).