Société
21 mars 2017, modifié le 15 février 2025

Marie-Aude Murail, « Écrire, c'est sauver le monde. »

ENTRETIEN. Avec Sauveur & fils, son dernier roman en plusieurs tomes, Marie-Aude Murail, un de nos plus grands écrivains jeunesse, aborde une fois encore les questions des enfants d'aujourd’hui et du monde dans lequel ils vivent. Conversation. Propos recueillis par Agnès Perrot.

Comment est née l'idée de votre dernier roman ?

En 2017, les bandes dessinées passionnent toujours autant les jeunes lecteurs ! © Besnard/Apprentis d'Auteuil
En 2017, les bandes dessinées passionnent toujours autant les jeunes lecteurs ! © Besnard/Apprentis d'Auteuil

Je cherchais un lieu d'où observer la société dans sa diversité, pour pouvoir parler de la réalité de notre monde d’aujourd’hui, enfants et adultes compris. J’avais déjà mis en scène des écoles, des maisons, des salles de sport, un salon de coiffure et j'en passe.

 L’idée du cabinet d’un psy m’est alors venue. Il se trouve que je vois en ce moment pas mal de jeunes qui ne vont pas bien. La matière première d'un roman avec comme personnage principal un thérapeute était toute trouvée !

Après la saison 1 de "Sauveur & fils", une deuxième et une troisième saison ont suivi, tellement il y avait à dire. Je suis en train d'écrire la saison 4...

Votre personnage principal s'appelle Sauveur ?

Oui, et c'est un psy. Un psy se doit de sauver le monde, non ?! Tout comme un écrivain peut-être... J’ai une complicité particulière avec ce psy là ! Sauveur est un thérapeute attachant, avec ses failles, ses blessures, une vie pas toujours facile. Et comme ses patients, il a un peu de mal dans l'existence... Et il est antillais. Un bel antillais de 40 ans, 1,90 m, la peau bronzée...

Pourquoi antillais ?

Au début de mon mariage, j’ai vécu dix-huit mois aux Antilles, pour accompagner mon mari, volontaire à l’aide technique, un genre de service civique avant l’heure. De là-bas, j’ai envoyé toute une série de lettres à ma mère que j'ai gardées. Et relues comme un trésor quand j'ai songé à ce livre. J’étais tellement heureuse de redonner vie aux paysages, aux odeurs et aux bruits de cette île chère à mon cœur. 

Pouvez-vous nous présenter vos autres personnages ?

 Il y a Louise, maman de Paul et d'Alice, l’amoureuse de Sauveur. J’ai un petit faible pour elle Et Blandine, une demoiselle de 12 ans hyperactive et un peu dépressive. Une grande créative !

Je pourrais également vous parler de Gabin, 16 ans, qui habite chez Sauveur mais n’est pas son fils, joue toute les nuis à World of Warcraft et ne va plus en cours. Sous ses airs nonchalants, c'est un grand angoissé habité par une peur immense : celle d’être diagnostiqué schizophrène, comme sa mère. J'aime aussi beaucoup  Lazare, 9 ans, le fils de Sauveur, un enfant résiliant dont la maman est morte et qui vit une amitié très forte avec Paul, le fis de Louise.

Et qui encore ?

Sauveur a aussi d'autres jeunes patients comme comme  Margaux, 15 ans, qui se taillade les bras et en est à sa deuxième tentative de suicide, Ella 13 ans, phobique scolaire harcelée par ses camarades, ou encore Maïlys, 4 ans, qui se tape la tête contre les murs pour attirer l'attention de ses parents. Sans oublier les sœurs Augagneur, 5, 14 et 16 ans, dont la mère vient de se remettre en ménage avec une jeune femme...

Une belle galerie de portraits !

Oui, ils sont très touchants et ils souffrent par moments énormément, comme nous dans la vraie vie. Je tiens cependant à ne pas faire d'eux des désespérés, pour que leur tempérament donne à mes (jeunes) lecteurs l’énergie pour repartir.

Vous les inventez comment ?

La lecture du soir, un incontournable avant de s'endormir !  © Besnard/Apprentis d'Auteuil
La lecture du soir, un incontournable avant de s'endormir !
© Besnard/Apprentis d'Auteuil

J’ai moi-même été enfant et j’en ai élevé trois. Il se trouve aussi que depuis trente ans, je vais à la rencontre d’écoliers, collégiens ou lycéens pour leur parler de mon métier

Ma famille m’inspire également, mes voisins, mes amis et leurs enfants... Et je me tiens le plus possible informée des dernières tendances en matière de mode ado et autres séries à ne pas manquer.

Que pensez-vous de la vie des jeunes d'aujourd'hui ?

Elle m'interroge... Et le monde des écrans dans lequel ils sont baignés dès l’âge de 8 ans, m'interpelle particulièrement. Les jeunes d'aujourd'hui prennent ce monde frontalement. Je trouve qu'il vient très tôt fracturer leur intimité. Et leurs parents n’ont ni le temps ni ce filtre que nous avions à leur âge.

Je suis, de ce fait, particulièrement attentive à leurs univers culturels, aux questions qu'ils se posent et aux sujets, parfois très délicats, qu'ils vivent et qu'ils me donnent envie d'aborder. En somme, les personnages de mes romans avancent en écho à ces vrais ados d'aujourd'hui que je rencontre et qui se questionnent tellement.

Pourquoi écrire pour les adolescents ? 

Difficile à expliquer, mais quand je cherche l’émotion pour écrire, automatiquement, un jeune vient sous ma plume. Depuis que j’écris, je garde en moi ce lecteur, enfant, puis adolescent, que j’ai été. Il y a quelque chose d’universel et de tellement touchant dans l’adolescence. 

Vous les décrivez avec humour ?

L'humour peut soulager le tragique qu’a parfois l’existence. Il éduque aussi et permet d’avoir envie de croire au monde dans lequel nous vivons et d’y participer, même si cela relève parfois du combat. Du coup, je ris avec mes personnages, je m’amuse, je joue avec les mots.

Pour en revenir à Sauveur, sa maison est pleine d'hommes ?

Oui, j’ai imaginé une maison pleine d’hommes, à différents âges de la vie, avec des femmes qui tournent autour et qui ont des difficultés à y rentrer. De fait, c’est une vraie question, les hommes d'aujourd'hui sont souvent manquants et les jeunes garçons n'ont plus trop de modèles masculins… I

Vous les comprenez, tous ces jeunes de votre roman ?

Découvrir le monde en feuilletant les pages d'un album jeunesse... ©JP Pouteau/Apprentisd'Auteuil

Oui, me semble-t-il, parce que je m’intéresse sincèrement à eux. D'une manière générale, je crée les personnages de mes romans pour les aimer. Je les regarde, je les observe. Parfois, ils m’énervent, me blessent même. Ou j’ai du mal à les comprendre. Puis ma colère passe. 

Ne sommes-nous pas tous, quelque part, des êtres partagés et ambivalents, à la fois gentils et parfois très énervants ? Écrire, finalement, c’est peut-être apprendre à voir la vie ou les gens autrement. Ce que je ne fais pas forcément spontanément !

Vous étiez quel genre d’enfant ?

Une petite fille assez solitaire, sans télévision ni écran. J'avais un clan, ma famille, composée de trois frères, d'un père poète et d'une mère journaliste. Et comme Lazare, une seule amie. Je me suis ouverte plus tard. Du coup j'étais beaucoup dans l'imaginaire, avec mes peluches et mes îles au trésor. Comme Ella, dans mon roman. 

À quand remonte votre première publication ?

À l'âge de 25 ans. Des textes pour la presse sentimentale, Intimité et Nous deux. Les épisodes devaient toujours se terminer sur une note optimiste.. Mais j'ai commencé à écrire, pour moi, vers l'âge de 12-13 ans.

Pourquoi écrire, en fait ?

Pour sauver le monde, à ma manière. Ou permettre à mes lecteurs de changer le regard qu’ils portent dessus. Comme le fait Sauveur. C’est plus fort que moi, ma mission, en tant qu'écrivain, c’est d'accompagner mes lecteurs, d’être à leurs côtés, de poser un message d’espérance sur le monde.

Vos projets ? 

Finir le tome 4 de Sauveur pour le début de l’année prochain. Et passer à autre chose. Ou pas. En fait, je n’en sais rien ! C’est comme dans une thérapie, j’avance sans trop savoir… 

 

À lire : Sauveur & fils, saison 1
Tout savoir sur les tomes parus de "Sauveur & fils"