
Les adolescents et leur corps à l'heure des réseaux sociaux
À l’adolescence, le corps change et les jeunes ne se sentent pas toujours à l’aise, d’autant plus à l’heure des réseaux sociaux. Que se joue-t-il à ce moment de leur vie ? Comment les accompagner quand on est parent ou éducateur ? Éléments de réponse en cette veille de journée mondiale de la santé mentale. Par Agnès Perrot.
Aujourd’hui âgée de 24 ans, Isabelle, jeune femme active et souriante, se souvient de ses années de fin de collège. « Je me trouvais trop maigre, la mode étant associée à des formes plus généreuses. C’était l’horreur, notamment au moment des séances de piscine avec les garçons de ma classe. »
À l’instar d’Isabelle, l’adolescence est pour les jeunes, et plus particulièrement les filles, un temps de construction et de métamorphoses corporelles parfois délicat à vivre. « Pour la silhouette féminine, puberté signifie prise de formes, masses grasses qui apparaissent, seins qui se développent, etc. Tout ceci est forcément déroutant », note d’emblée le docteur Dominique-Adèle Cassuto, médecin endocrinologue et nutritionniste, auteur d’un ouvrage sur le corps des adolescents.
L'impact des réseaux sociaux
À cette réalité biologique de la transformation des corps s’ajoute celle des réseaux sociaux, qui font désormais partie intégrante de la vie des jeunes. Selon une étude BVA d’octobre 2023 pour la fondation Jean Jaurès, « Les jeunes et leur apparence à l’heure des réseaux sociaux, une obsession ? », l'usage des réseaux sociaux serait associé à la montée de complexes chez 17% d'entre eux et à la volonté de perdre du poids chez près d'un jeune sur deux, garçons comme filles.
De fait, sur Instagram et Tik Tok, de nombreux jeunes publient photos et vidéos mises en scène et retouchées les présentant sous leur meilleur jour, grâce, notamment, à l’utilisation de filtres, ces traitements appliqués aux images numériques qui transforment les visages.
S’ajoute à cela la vogue des selfies, parfois jusqu’à l’obsession, générant parfois des commentaires désobligeants ou virant au harcèlement. Autant de tendances incitant les adolescents à la comparaison, ce qui peut entraîner une réelle dégradation de leur confiance en soi.

Le besoin d’être écouté
Le docteur Cassuto, qui reçoit beaucoup de jeunes patients avec leurs parents à son cabinet, met également en garde les adolescents contre les injonctions au régime et à des restrictions alimentaires extrêmes promues par certains influenceurs fitness aux comptes non professionnels.
« Faire un régime sans aucune précaution ni contrôle médical quand on est adolescent peut être risqué, s’insurge-t-elle. Je conseille avant tout aux jeunes de prendre du recul en enlevant les notifications sur leur téléphone. »
Anne-Claire de Pracomtal, psychologue cofondatrice d’Iamstrong, plateforme dédiée à la santé mentale des jeunes, le constate : le mal-être lié à l’image corporelle a augmenté depuis la fin du confinement, avec des conséquences sur l’estime de soi et l’augmentation de troubles anxieux et dépressifs. « Nous écoutons davantage de jeunes préoccupés par leur apparence physique, avec un rapport assez compliqué à la nourriture. Chez certains, les épisodes d’angoisse sont aussi liés à une quête de sens », explique-t-elle.

Des solutions existent
La professionnelle reste cependant positive car des solutions existent. L’essentiel, selon elle, étant que les ados puissent être écoutés par des adultes formés, ce qui peut totalement - et rapidement - changer la donne.
De nombreuses consultations spécialisées existent, dans les Maisons des adolescents, certaines structures associatives, les cabinets privés ou, avec des délais d’attente, en centres médico-psycho-pédagogiques.
Quant aux parents, ils ont aussi besoin d’être entendus, voire recadrés, selon le docteur Cassuto. «Certains parents, obsédés par leur propre rapport au poids et à leur corps, peuvent blesser leurs enfants sans s’en rendre compte. Je les invite plutôt à contrôler davantage ce que leurs enfants regardent sur les réseaux. »
La majorité des jeunes en bonne santé
Reste que selon la dernière enquête EnCLASS, 85 % des jeunes s’estiment en bonne santé, et ce, malgré plusieurs études montrant une hausse des fragilités liées à la santé mentale.
Autre point positif, l’ampleur grandissante des initiatives grand public pour mieux accepter son corps, comme celle du mouvement « body positive », qui prône l’acceptation de soi au-delà d’un physique normé.
Majoritairement féminin, ce courant a pris de l’ampleur depuis sa naissance dans les années 1990. Comme un contre-pied à l’usage des filtres et des retouches photo. Il est surtout connu des jeunes femmes de 18 à 26 ans.
Deux questions à Gaëlle Simon-Mottet, intervenante théâtre en milieu scolaire et présidente de la compagnie Acamtare
Les injonctions à un corps parfait sont omniprésentes sur les réseaux sociaux consultés par les adolescents. En quoi la pratique théâtrale peut-elle leur permettre d’accepter leur corps ?
En montant sur scène, les jeunes apprennent à travailler leurs émotions à travers des gestes, des postures, des mouvements précis, accompagnés d’exercices de respiration. Ils se comprennent peu à peu autrement, acceptent mieux leur corps et prennent conscience de leurs capacités. De plus, en incarnant différents personnages, ils découvrent autant de manières de se tenir, de bouger et de parler.
La pratique théâtrale devient ainsi un espace où, en se jetant à l’eau et en communiquant, ils se libèrent de leurs inhibitions, gagnent en estime d’eux-mêmes et en aisance en public et apprennent à croire en eux. D’autant plus s’ils sont timides ou fâchés avec l’école...
Autre atout de la discipline, le travail d’équipe et de collaboration aide les jeunes à créer des relations plus saines avec leur pairs et renforce leurs capacités à se mettre à la place des autres et à prendre soin de la relation. Ils gagnent en empathie, une compétence de plus en plus plébiscitée dans la vie personnelle et professionnelle.
À quelles conditions est-ce réalisable ?
Jouer sur scène n’est pas anodin. On se met à nu, on devient plus vulnérable. Pour faire du bon travail auprès des adolescents, il est souhaitable que les cours proposés ne dépassent pas une douzaine de membres et qu’ils soient animés par des professionnels très à l’écoute, qui mettent en confiance et rassurent tous les participants, notamment les plus réservés.
Pour aller plus loin :
Ma silhouette, mon amie, mon ennemie
Docteur Dominique-Adèle Cassuto
Éd. La Martinière Jeunesse
RESSOURCES :
- Iamstrong
- moncorpsavivre.fr
- Anorexie Boulimie, Info écoute (de 16h à 18h, tous les jours sauf le mercredi)) : 09 69 325 900
À Apprentis d’Auteuil :
- Les questions autour de la place du corps à l’adolescence sont au cœur des préoccupations des équipes. Que ce soit dans les établissements scolaires ou de protection de l’enfance, des initiatives variées sont proposées, certaines en lien avec des intervenants extérieurs, pour favoriser le bien-être des jeunes et les réconcilier avec leur corps : musicothérapie, art-thérapie, sophrologie, socioesthétique, théâtre, danse, hip-hop, escalade, etc.
- De nombreux projets artistiques sont également montés sous l’égide de la Fondation Foujita dans les domaines du théâtre, de la musique, du chant, etc.
- Les équipes sont parallèlement sensibilisées à l’usage des réseaux sociaux chez les adolescents.
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