Illustration - la santé mentale des jeunes
Société

Mal-être des jeunes, à la recherche de solutions

La crise sanitaire a affecté l'équilibre psychologique des jeunes de manière durable. Face aux enquêtes alarmistes qui se succèdent, professionnels, associations et parents analysent la situation et cherchent des solutions. État des lieux à l’occasion de la Journée mondiale de la santé mentale 2023. Par Agnès Perrot.

Depuis la fin du confinement, les médias ne cessent de signaler une augmentation des symptômes anxieux et dépressifs, des détresses psychologiques et des idées suicidaires chez les jeunes en France.

Dans son récent rapport1, la Cour des comptes note : « Si le manque de données concernant la situation française rend difficile l’estimation des effectifs concernés, on peut néanmoins estimer qu’environ 1,6 million d’enfants et d’adolescents souffrent d’un trouble psychique. Comme dans les autres pays de l’OCDE, l’épidémie de covid 19 a eu pour effet une augmentation importante des troubles psychiques chez les enfants à partir de 10 ans et chez les adolescents. ».

Illustration de la santé mentale des jeunes, en consultation
La consommation de psychotropes des 6-17 ans a doublé entre 2010 et 2021. (c) iStockPhoto

Un besoin de liens vital

Cela n’épargne pas les enfants de 6 à 11 ans : 13% d’entre eux présentent un trouble probable de santé mentale comme le précise Santé publique France2 dans un rapport d’enquête menée entre mai et juillet 2022. Un constat confirmé par un rapport du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge, qui indique que la consommation de psychotropes des 6-17 ans a doublé entre 2010 et 20213.

Dominique-Marie Dugasse, psychologue clinicienne dans l’ouest parisien explique : « À cause du confinement, les adolescents ont eu à vivre des interactions sociales réduites pendant une très longue période, alors qu’ils ont un besoin de liens vital à cette étape de leur vie. Les symptômes dépressifs et anxieux ont nettement augmenté, la phobie scolaire et le décrochage explosent et le temps passé sur les écrans inquiète de plus en plus les parents ! »

La pédopsychiatrie en crise

Illustration - la santé mentale des jeunes, un jeune sur des marches entouré par une foule, de dos
Aujourd'hui en France, les moyens manquent cruellement en pédopsychiatrie. (c) iStockPhoto

Comment en est-on arrivé là ? Pédopsychiatre à Reims, Thierry Delcourt précise que tous les jeunes ne vont pas mal. Les enfants et leurs familles viennent avant tout le trouver pour des questions de décrochage scolaire, un phénomène qu’il voit prendre de l’ampleur, les adolescents, pour des conduites à risque, des troubles du comportement alimentaire ou des questions liées au genre. Il s’insurge cependant : « On n’a pas fait suffisamment de travail de prévention. Les généralistes devraient être davantage formés à la détection et à la prescription. Et la pédopsychiatrie rendue plus attractive ».

Celle-ci est en effet en grave crise en France, avec une pénurie endémique. « Mes confrères à l’hôpital doivent en permanence bricoler pour faire face à la demande, renchérit le docteur Chambry, pédopsychiatre au Groupe hospitalo-universitaire Paris psychiatrie & neurosciences, la question des urgences pédiatriques n’étant que la face émergée de l’iceberg. Les moyens manquent cruellement, les consultations sont surchargées, les délais d’attente en centres médico-psycho-pédagogique gigantesques... »

Des parents se mobilisent

Face à cette situation explosive, nombre de professionnels, d’associations, voire de parents, n’ont pas attendu pour innover ou réagir. Comme Help and hope for teens, un lieu d’accueil ouvert par Vanessa Lafarge, une mère de famille personnellement touchée par le mal-être d’une de ses filles. Située à Saint-Germain-en-Laye, l'association propose des rendez-vous avec des professionnels, des ateliers de groupe pour les parents, les ados, et des conférences ouvertes à tous. Elle compte aujourd’hui une cinquantaine de bénévoles prêts à aider et informer. La prise en charge est gratuite.

Illustration de la santé mentale des jeunes, en consultation
Une personne sur cinq est touchée chaque année par un trouble psychique en France. (c) iStockPhoto

 Secouriste en santé mentale

Lancée fin 2019, l’association Premiers secours en santé mentale France propose à tous les citoyens une formation généraliste de sensibilisation et d'assistance en santé mentale. Elle vient de mettre en place un module pour les adultes vivant ou travaillant avec des adolescents et des jeunes majeurs (module Jeunes). 

« Ouvert aux professionnels exerçant avec des jeunes, mais aussi aux parents, souligne Barthélémy Schaar, instructeur, ce module de deux jours "spécial Jeunes" permet aux personnes formées de mieux repérer les troubles en santé mentale. Et plus spécifiquement, d'apporter un début de soutien adapté à des adolescents, parfois très agressifs, qui connaissent les (premiers) signes d’un problème de santé mentale, dans une approche respectueuse de la personne. Ceci jusqu'à ce qu'une aide professionnelle puisse être apportée ou que la crise soit résolue. Aider quelqu'un qui ne va pas bien, ça s'apprend. » 

La formation aborde des thèmes propres aux pathologies adolescentes, comme les addictions, la dépression, les tentatives de suicide, les troubles anxieux, grâce à des apports théoriques, des vidéos ou des jeux de rôle. Elle demande du temps : il n'est pas toujours facile d'aborder un adolescent en souffrance.

Les stagiaires en ressortent outillés des éléments nécessaires pour repérer les jeunes en danger, les indicateurs de mal-être (mauvaise notes, replis sur soi, ...). « Ils ont appris à écouter sans jugement, à avoir les réactions respectueuses et adaptées, à rassurer. »

Un vrai enjeu de société, puisqu’une personne sur cinq est touchée, chaque année, par un trouble de santé mentale en France et que, très souvent, elle tarde à consulter, par peur d'être jugée ou mise à l'écart. Or, la plupart des difficultés psychiques bénéficient de prises en charge efficaces à condition d'être mises en place au plus tôt. « Les secouristes formés contribuent à changer le regard trop souvent stigmatisant de la société sur ces troubles », complète Barthélémy Schaar. 

Un module Ados, destiné à des adolescents (11-14 ans et 15-18 ans) pour qu'ils interviennent auprès de leurs pairs, avant de les diriger vers les secouristes adultes formés de leur établissement, doit prochainement voir le jour. 

Les réseaux sociaux jouent aussi leur part

Les réseaux sociaux jouent aussi leur part. Ainsi en va-t-il de Delphine Py, psychologue à Clermont-Ferrand, et de ses vidéos accessibles sur Tik Tok et Instagram. « Les jeunes ont souvent peur de parler de leurs soucis à leurs parents, explique-t-elle. Il leur est plus facile de poster un message et ainsi de se sentir soutenus et écoutés que de prendre rendez-vous avec un psy. Mon but est de leur permettre de se sentir moins seuls et de dire ce qu’ils ressentent. Et par là-même de rendre ma discipline plus accessible, et si besoin, de rendre un suivi possible ».

À noter également, malgré ses limites pointées par les professionnels, le dispositif Santé psy étudiant et ses huit consultations gratuites, prolongées en 2023.

 

1. Enquête de la Cour des Comptes, mars 2023, "La Pédopsychiatrie Un accès et une offre de soins à réorganiser"

2. Santé publique France, "Premiers résultats de l’étude Enabee sur les enfants de 6 à 11 ans scolarisés du CP au CM2, juin 2023"

3. Étude du Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge, de mars 2023 , "Quand les enfants vont mal, comment les aider ?"

2 QUESTIONS À SACHA KASHANI, psychologue clinicienne, responsable de l’antenne de l'association Les Pâtes au beurre à Boulogne-Billancourt (92)

Quelle attitude tenir, en tant que parent, face à un jeune qui va mal ?

Nous les invitons, dans un premier temps, à maintenir la communication à tout prix, quitte à faire appel à un tiers en qui le jeune a confiance. Et à consulter un spécialiste en cabinet, s’ils le peuvent, tout en se rapprochant, d’associations ouvertes aux familles dans lesquelles ils pourront être entendus par des professionnels, si besoin à moyen ou long terme. Il est important de ne pas rester seul face à un enfant qui va mal, et utiliser des lieux d’accueil collectifs peut être pertinent pour libérer sa parole de parent. Cela permet de prendre du recul et d'apprendre de la situation des autres parents, qu'elle soit similaire ou non.  

Que leur dites-vous ?

Tout d’abord que c’est courageux d’avoir fait la démarche de venir nous trouver. Nous tâchons ensuite de les déculpabiliser et faisons tout pour leur redonner confiance dans leurs capacités à agir eux-mêmes auprès de leur enfant. C’est un métier compliqué que celui de parent et personne n’y a été formé. Nous les invitons aussi à revenir nous trouver, s’ils le souhaitent, avec leurs adolescents, pour leur apprendre à amorcer avec eux un travail de communication familiale. En cas de crise ou de souffrance soudainement très inquiétante, appeler, bien entendu, les urgences pédopsychiatriques.

POUR EN SAVOIR PLUS :
Santé Psy Jeunes
Psycom
Fil santé jeunes : au téléphone et sur Internet, de 9h à 23h au 0 800 235 236
- Numéro national de prévention du suicide : 3114 
- Maisons des adolescents : accueil et soin gratuit, dans chaque département

À lire :
- Je ne veux plus aller à l'école, de Thierry Delcourt, éd. Max Milo
- Le guide de ta santé mentale, de Delphine Py, éd. Marabout 

À écouter :
Le podcast "Jeunesse, le mal de vivre 1/4 " : Santé mentale : le cri d’alarme des professionnels, un documentaire de Johanna Bedeau (sur France Culture)

À APPRENTIS D'AUTEUIL

La question de la santé mentale des jeunes est de longue date au cœur des préoccupations des équipes d’Apprentis d’Auteuil. Que ce soit dans ses établissements scolaires ou dans ses structures de protection de l’enfance, en particulier concernant les jeunes « en situation complexe », ayant besoin d’un accompagnement pédopsychiatrique, médicosocial ou scolaire adapté. Sans oublier le public spécifique des mineurs non accompagnés accueillis par la fondation, qui portent les traumas de leur parcours migratoire.

De nombreuses initiatives sont menées à destination des jeunes, mais aussi directement auprès des professionnels : ateliers de bien-être (sophrologie, méditation, socio-esthétique, musicothérapie, art-thérapie, etc.), soins psychologiques ou psychiatriques adaptés via un réseau de professionnels, unité de vie spécialisée d'une maison d'enfants pour garçons souffrant de troubles psychiques, formation de travailleurs sociaux à un nouveau modèle d’accompagnement de jeunes ayant des difficultés comportementales, etc.