Illustration de la fatigue chez les jeunes, jeune fille dormant sur un canapé
Société

Grosse fatigue post crise sanitaire

La crise sanitaire a eu un impact majeur sur la vie des Français et en particulier sur celle des jeunes, qui vivent actuellement une période de grosse fatigue physique et psychologique. Les explications de Jérémie Peltier, directeur général de la Fondation Jean Jaurès qui a mené l’enquête avec Jérome Fourquet de l’institut de sondage IFOP.

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La crise sanitaire a eu un impact majeur sur la vie des Français et en particulier sur celle des jeunes, qui vivent actuellement une période de grosse fatigue physique et psychologique.

Quelle est l’ampleur de cette « grande fatigue » que vous avez pu mesurer ?

Depuis la crise sanitaire, entre 30 et 40 % des Français sont touchés par une plus grande fatigue, une baisse de motivation pour sortir de chez soi et une moindre capacité à réaliser un effort physique. Parmi eux, les jeunes sont plus touchés que la moyenne des Français : 40 % des 25-34 ans se disent moins motivés qu’avant la crise Covid et 20 % déclarent avoir diminué leur pratique sportive.

La crise sanitaire a également eu des impacts psychologiques.

Oui, elle a rendu la population, et les jeunes en particulier, plus vulnérables d’un point de vue psychologique et émotionnel. Dans l’enquête, j’ai été frappé de voir à quel point les jeunes se disent fragiles : 40 % des 25-34 ans estiment ne pas se sentir suffisamment solides mentalement pour faire face aux aléas de la vie quotidienne. Et 15 % des 18-24 ans et 20 % des 25-34 ans ont d’avantage envie de pleurer. Ces chiffres sont révélateurs de l’état de tension de la jeunesse. Ils corroborent les constatations des infirmières scolaires qui alertent depuis la rentrée scolaire sur l’anxiété grandissante d’une partie des élèves.

La fragilisation est-elle aussi physique ?

Lorsque l’on compare les résultats des tests sportifs des enfants dans les années 1990 avec ceux des enfants d’aujourd’hui, les résultats sont nettement moins bons. Les jeunes mettent 90 secondes de plus pour parcourir 1600 mètres en courant. Cela s’explique par une baisse de la capacité pulmonaire de l’ordre de 25 %. Les jeunes d’aujourd’hui ont un mode de vie beaucoup plus sédentaire. Ils sont plus touchés par le surpoids et l’obésité. La crise sanitaire a accéléré la baisse de la pratique sportive qui était déjà enclenchée avant. Ce mode de vie est accompagné par « l’économie de la flemme » qui multiplie les plateformes de livraison à domicile ou de streaming et n’incite pas les jeunes à sortir de chez eux.

Vous notez également un rapport au travail en pleine évolution.

Le travail a perdu la place centrale et statutaire qu’il avait dans la vie des Français. La crise sanitaire a été un moment de grande réinterrogation sur le sens de la vie, sur l’équilibre entre les temps de travail, de loisirs ou les temps en famille. Désormais, le travail a une place secondaire dans la vie des individus. Dans les années 1990, 60 % des actifs considéraient que le travail avait une place très importante dans leur vie. Aujourd’hui, nous sommes à 30 %. On assiste à un changement dans la hiérarchie des préoccupations des Français qui ont un rapport beaucoup moins sacrificiel au travail. Ils ne sont plus prêts à se donner corps et âme à leur travail. C’est une tendance qui touche toutes les couches de la population, et plus encore les jeunes qui sont au coeur de cette "révolution". Ils ne veulent plus « travailler plus pour gagner plus ». Mais « travailler moins, quitte à gagner un peu moins » pour avoir plus de temps libre.

C’est une tendance que l’on retrouve dans les phénomènes du « quiet quitting » (la démission silencieuse) (1) ou du « big quit » (la grande démission) (2) qui sont nés aux États-Unis pendant la crise sanitaire et se sont développés en France ensuite. Les jeunes se considèrent comme ambitieux et travailleurs, mais ils ne sont pas prêts à faire les sacrifices qu’ont faits leurs parents. La carrière et le travail ne font plus partie des critères de réussite des jeunes d’aujourd’hui.

Interview : Félix Lavaux Photo : IstockPhoto

(1) Le « quiet quitting » consiste à travailler le strict minimum pour ne pas se faire licencier et à le faire savoir sur les réseaux sociaux.

(2) En 2021, suite aux premières vagues de la crise Covid, le nombre de travailleurs quittant volontairement leur poste a nettement augmenté aux États-Unis, que ce soit pour changer de travail, chercher un autre emploi ou se retirer de la population active.