
Nicolas Duvoux, sociologue, dresse le portrait de la jeunesse française
Sociologue, président du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion, Nicolas Duvoux dresse le portrait de la jeunesse française d'aujourd'hui dans un ouvrage collectif. Propos recueillis par Félix Lavaux
Comment est né ce livre Jeunesses françaises contemporaines ?

Il répond à une demande des pouvoirs publics afin de mieux connaître les jeunesses en France aujourd’hui, notamment après les émeutes du printemps 2023 qui ont suivi la mort du jeune Nahel. L’objectif était de faire un état des lieux fidèle de la jeunesse contemporaine en recensant tous les travaux existants sur le sujet.
Le livre est donc une traduction scientifique (CNRS, INSHS et d’autres organismes de recherche) à une demande politique pour avoir une vision claire de la situation de la jeunesse dans la société française contemporaine.
Ce qui caractérise d’abord la jeunesse, est-ce sa diversité ?
Effectivement, le livre souligne la diversité de la jeunesse en termes de ressource, de chances de vie selon l’appartenance sociale, le lieu de résidence, le genre… Il n’existe pas une, mais des jeunesses. Nous avons eu à cœur de montrer la diversité et les inégalités des situations sociales qui sont recouvertes par le terme de « jeunesses » en France aujourd’hui.
Comment expliquer la « situation de désavantage global, structurel et systémique de la jeunesse dans la société française », que vous évoquez dans le livre ?
La jeunesse française est caractérisée par un chômage, qui depuis les années 80, n’a jamais été inférieur à 15 %. Même dans les périodes de boom économique, il est toujours trois fois supérieur au reste de la population active. Mais il ne touche pas tous les jeunes de la même manière selon leur diplôme. Une partie de la jeunesse ne s’en sort pas et connaît une précarité importante. La question du logement est un marqueur social particulièrement fort.
La restriction du parc locatif, l’augmentation du prix des loyers et des prix à l’achat ont créé un goulot d’étranglement pour les jeunes qui n’ont pas tous les mêmes ressources pour y faire face. Enfin, en termes de niveau de vie, il existe une surexposition de la jeunesse à la pauvreté qui fait l’objet d’une forme d’invisibilisation sociale et politique très frappante.
La pauvreté est aussi un trait marquant de la jeunesse aujourd’hui selon vous.
Jusque dans les années 70, la pauvreté touchait les personnes âgées. Aujourd’hui, elle touche principalement les jeunes et surtout les moins qualifiés d’entre eux. Evidemment, il faut ajouter la précarité de l’emploi qui affaiblit les ressources. Des dispositifs d’aides sociales pour les jeunes existent, mais la non inscription des moins de 25 ans dans le droit commun singularise la France, car elle exclut les jeunes des prestations sociales et notamment du RSA. Ce déficit de protection explique en partie et aggrave les effets de cette exposition à la pauvreté.
La forte dépendance de la jeunesse aux ressources de la famille est aussi un particularisme français. Pourquoi ?
La France compte beaucoup sur la solidarité familiale pour faire la transition entre l’enfance et l’âge adulte. Cette situation a des effets protecteurs pour une partie de la jeunesse, mais elle est aussi très pénalisante pour ceux qui ne peuvent pas bénéficier du soutien familial dans cette période de construction du jeune adulte. Les jeunes ne bénéficient pas tous du même capital culturel, éducatif, social ou économique. Ce choix de la solidarité familiale explique en large partie la non ouverture du RSA aux moins de 25 ans.
La dégradation de la santé mentale est-elle un autre marqueur de la jeunesse ?
Le Covid 19 a révélé la dégradation de la santé mentale des jeunes, mais elle existait avant la crise sanitaire. Nous sommes dans une société qui pose aux jeunes des difficultés objectives en termes de ressources, de précarité d’emploi, de conditions de logement. Elle engendre de très fortes incertitudes sur l’avenir que j’évoquais dans mon livre L’avenir confisqué. Les jeunes d’aujourd’hui doivent aussi se construire dans un monde en crise. Une profonde anxiété ainsi qu’une perte de repères s’est emparée de la société et frappe plus fortement les jeunes notamment les moins favorisés.
« La reproduction des inégalités est particulièrement forte en France et sape la motivation de beaucoup de jeunes », écrivez-vous. L’école a plutôt tendance à accentuer les inégalités qu’à les corriger. Pourquoi ?
En France, nous avons un système scolaire qui est d’abord fait pour classer. Il est très présent dans la structuration matérielle et mentale de la société française. Ce système sait très bien former une élite, mais cela engendre une forme de violence - brillamment décrite par Pierre Bourdieu quand il parlait de violences symboliques - contre celles et ceux qui ne réussissent pas à émerger dans ce système de classement. Quand on est perdant de la compétition scolaire, cela pèse énormément sur les chances de réussite des individus, sur la perception des autres, sur sa place dans la société.
En France, l’origine sociale pèse particulièrement sur les jeunes issus de l’Aide sociale à l’enfance. Pourquoi ?
Leur situation inégalitaire tient d’abord aux raisons qui ont conduit à leur prise en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Ce sont des enfants qui ont dû faire face à des difficultés familiales et qui ont été exposés à des dangers importants. De plus, les difficultés de l’Aide sociale à l’enfance sont de notoriété publique aujourd’hui. Elles tiennent à des questions de ressources humaines, de moyens et d’organisation...
Les jeunes sortants de l’ASE sont extrêmement pénalisés dans leur destin social. Beaucoup de sans-domicile sont passés par l’ASE. Leurs chances d’insertion sur le marché du travail sont réduites. L’État n’est pas vraiment en capacité de remplir ce rôle de solidarité familiale lorsqu’elle est défaillante.
Pour favoriser l’insertion des jeunes, des politiques publiques existent mais semblent insuffisantes.
Beaucoup de choses ont été développées : la Garantie jeunes et le Contrat engagement jeunes ont travaillé cette question de l’insertion avec des portes de promotion pour les jeunes les plus en difficulté. Mais la difficulté reste l’accès au droit commun pour les jeunes de moins de 25 ans et la question de la diminution des inégalités entre les différentes catégories de jeunes.
Que peut-on faire pour améliorer la situation des jeunes en France ?
Dès le début des années 2010, j’ai plaidé pour une prise en compte de la jeunesse beaucoup plus forte avec l’ouverture du RSA à 18 ans. Il existe un grand écart entre la gravité de la situation des jeunes et les ressources que les institutions leur donnent pour construire leur avenir. Pour autant, c’est un sujet complexe. Idéalement, il faudrait desserrer ces critères d’âge. Mais dans la période actuelle de restructurations budgétaires, il faudrait aussi entamer une réflexion beaucoup plus globale sur l’accompagnement des différents âges de la vie dans notre société. Et entamer une refonte de la protection sociale qui mettrait l’accent sur les moments les plus fragiles de la vie dont fait partie la jeunesse.
Bio express
- 30 janvier 1980 Naissance à Versailles
- 2015 Devient professeur de sociologie à l’université Paris 8
- 2023 Publie L’Avenir confisqué. Inégalités de temps vécu, classes sociales et patrimoine aux PUF
- 2023 Devient Président du CNLE (Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale)
- 2025 Publie Jeunesses françaises contemporaines (CNRS éditions)
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