Eric Debarbieux
Société
31 mars 2025

Éric Debarbieux : "La prévention de la violence à l'école doit être plus précoce."

Spécialiste reconnu des questions de violence à l’école, auxquelles il a consacré quarante années de sa vie professionnelle, Éric Debarbieux publie Zéro pointé ? Une histoire politique de la violence à l’école. Il y plaide pour des actions de prévention dès l'école primaire et pour une réforme profonde de la formation des enseignants. Propos recueillis par Félix Lavaux

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Eric Debarbieux est un spécialiste des questions de violences à l'école. Il préconise notamment de faire plus de prévention dès l'école primaire et de revoir la formation des enseignants.

Contrairement à ce que l’on peut penser, la violence en milieu scolaire est relativement stable.

Depuis que les violences en milieu scolaire sont mesurées, seulement depuis les années 90, les enquêtes des scientifiques ou du ministère de l’Education nationale font effectivement état d’une certaine stabilité. Néanmoins, ces enquêtes constatent aussi une augmentation récente des violences racistes ou xénophobes. Ce processus « d’ethnicisation de la violence », c’est-à-dire ce processus de désignation de l’autre comme bouc émissaire, s’est accéléré à l’école mais aussi dans la société française. Notamment, depuis les événements du 7 octobre 2023 en Israël et dans la bande de Gaza.  Comment peut-on croire que cette montée du rejet de l’autre n’ait pas d’impact dans les cours de récréation ? L’école est le reflet de la société dans laquelle elle évolue. 

Dans votre livre, vous rappelez que la majeure partie des violences se passent au sein même de l’école.

Il est important de rappeler que la violence est majoritairement le fait des élèves entre eux ou des enseignants. Les intrusions, comme on le voit aux Etats-Unis, ne représentent que 2 à 5% des faits de violence. L’essentiel des violences à l’école sont des « micro-violences » du quotidien :  bagarres, insultes, mises à l’écart, racket... Ces violences ne sont pas spectaculaires, mais elles peuvent avoir des conséquences terribles. Le harcèlement peut conduire à la dépression, au décrochage scolaire ou au suicide. C’est dans l’école elle-même, le travail en équipe, le travail pédagogique et dans la co-éducation avec les parents qu’il faut trouver des solutions.

Avez-vous le sentiment qu’on prévient néanmoins mieux le harcèlement à l’école aujourd’hui ?

Le fait de nommer ce type de violences, qui touchent entre 6 et 10% des élèves, a été un progrès. Cela permet aux victimes de savoir qu’elles ne sont pas seules. Aujourd’hui, c’est un sujet dont les CPE (Conseillers principaux d’éducation), les professeurs, les directeurs d’école s’emparent. Il existe des numéros verts, des concours contre le harcèlement auquel participent 1500 établissements. 

Mais l’école est aussi restée prisonnière de plusieurs difficultés : la formation des enseignants reste trop pensée par disciplines et pas assez pédagogique ou éducative. S’occuper du harcèlement, ce n’est pas aller contre la mission de transmission des connaissances. On sait par exemple que 25% des décrocheurs scolaires étaient des très bons élèves qui ont été harcelés parce qu’ils étaient des bons élèves justement. La deuxième difficulté est de croire au « programme miracle » qui réglerait tous les problèmes. Toutes les enquêtes montrent que ces programmes ne font baisser le harcèlement que de 15 à 20%. Ces programmes, comme le programme Phare (Programme de lutte contre le harcèlement à l’école de l’Education nationale), ne sont que des outils qui ne doivent pas empêcher une réflexion plus globale.

Le climat scolaire se dégrade plutôt du côté des adultes expliquez-vous dans votre livre.

Oui, c’est un phénomène inquiétant : 51% des personnels de collège et lycées se disent insatisfaits du climat entre les adultes et notamment de la relation avec les parents. Le premier facteur de risque d’augmentation de la violence, c’est l’instabilité des équipes éducatives. Pour faire face à la violence à l’école, il faut avoir des adultes cohérents capables de s’occuper des élèves. Car le harcèlement scolaire est provoqué par un collectif qui se soude contre une personne qui devient bouc émissaire : la personne handicapée, l’élève en surpoids, le bon élève… 

Nous avons donc besoin d’équipes d’adultes solides pour réagir. Or, l’institution fait face à des problèmes de recrutement, à un certain découragement des personnels : 51 % des enseignants disent vouloir quitter leur fonction ! Quand je vais dans un établissement confronté à un problème de violence, on me parle d’ailleurs beaucoup plus des conflits d’équipe que des problèmes des élèves. 

Votre livre s’intitule « Zéro pointé ? » avec un point d’interrogation. Pourquoi ?

Il y a eu incontestablement des progrès en matière de prévention du harcèlement, des équipes de sécurité ont été constituées, les liens entre les établissements scolaires et les commissariats de quartier ont été renforcés. Mais, je suis critique par rapport au sentiment d’improvisation des politiques publiques. Malheureusement, les hommes politiques réagissent d’abord aux faits divers. Lorsque survient un événement violent, ils dégainent leur « plan miracle » et leurs éléments de langage sans s’attaquer aux causes de la violence en profondeur. Et la tendance s’est encore accentuée avec Internet et les réseaux sociaux. 

Quelles solutions préconisez-vous pour mieux lutter contre la violence à l’école ?

Il faut sortir du court-termisme et envisager des solutions de long terme sans être en perpétuelle réaction à un fait divers, aussi dramatique soit-il. Il faut aussi repenser la formation initiale et continue des enseignants. Il ne faut plus former des « bêtes à concours » mais apprendre aux enseignants à travailler en équipe. La Belgique, par exemple, fait travailler des enseignants avec des éducateurs spécialisés, des assistantes sociales, des infirmières… Il faut aussi agir en prévention plus précocement dès l’école primaire.

L’enfance d’Eric Debarbieux

« Je suis né à Roubaix. Mon père était libraire dans un quartier populaire. Mes parents et leurs cinq enfants ont habité quarante-neuf ans dans la même HLM d’une ZUP en Bourgogne. Au lycée, j’ai étudié les lettres modernes, les lettres classiques, le latin, le grec… Les classes comptaient entre 38 et 40 élèves. Dans chaque établissement, deux ou trois enseignants étaient chahutés. Ça permettait de souder le groupe et de faire de l’entre-soi pour une certaine classe sociale. J’ai un peu honte aujourd’hui car en étant chahuteur, je me pensais très libre, mais j’étais en fait dans la reproduction sociale. Á 20 ans, je suis devenu père de famille. Puis, un peu par hasard, éducateur spécialisé dans un foyer de jeunes travailleurs avec qui je faisais de la spéléologie. »

Bio express

  • 9 février 1953 Naissance à Roubaix
  • 1973 Devient éducateur spécialisé
  • 1991 Maître de conférences à Bordeaux
  • 2011 Président des Assises nationales contre le harcèlement à l’école
  • 2012 Délégué ministériel chargé de la prévention et de la lutte contre les violences scolaires
  • 2025 Publie Zéro pointé ? Une histoire politique de la violence à l’école aux éditions Les Liens qui libèrent