Deux jeunes femmes assises sur des meules de foin dans la campagne
Société
26 mai 2025

Des jeunes ruraux en quête de formation et d’emploi

Longtemps qualifiés d’«invisibles », les jeunes ruraux attirent encore peu l’attention. Pourtant, leur choix de rester à la campagne ou de partir pour la ville est crucial pour leur présent, leur avenir et celui des territoires ruraux. Quels obstacles doivent-ils surmonter ? Qui leur vient en aide ? Comment peuvent-ils développer leur potentiel ? Éléments de réponse.

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Aujourd'hui encore les jeunes ruraux doivent choisir : rester à la campagne ou partir pour la ville étudier et espérer trouver un emploi. Comment peuvent-ils, dans ces conditions, développer leur potentiel, vivre le présent et envisager l'avenir ? Qui leur vient en aide ? Éléments de réponse.

Les jeunes ruraux – près de 3 millions des 15-29 ans (pour 9,6 millions de jeunes urbains) – souffrent d’un manque de services publics et d’équipements, de problèmes de mobilité, parfois d’isolement, pointe le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, Pauvreté et conditions de vie des jeunes dans le monde rural, publié en janvier 2025.

À ce rude constat s’ajoute le peu d’opportunités de formation à proximité (28 % de jeunes ruraux accèdent à l’enseignement supérieur, contre 37 % de jeunes urbains) et des difficultés d’accès à des emplois stables (37,8 % d’entre eux sont en CDD ou en intérim). Ces jeunes se retrouvent rapidement devant un dilemme : quitter leur territoire pour les centres urbains afin de se former et trouver un travail. Ou bien se satisfaire du premier emploi venu, même éloigné de leurs aspirations, pour pouvoir rester sur place.

Des formations ancrées dans le territoire

Pour éviter ce choix difficile, les Maisons familiales rurales (MFR) leur proposent des formations scolaires par alternance ou en apprentissage, de la 4e à bac+3, dans des domaines allant de l’agriculture au tourisme, en passant par les services aux personnes. Deux profils les rejoignent : des jeunes mus par leur passion d’un métier et des décrocheurs, « ceux qui sont restés au fond de la classe, explique Christophe Bernard, responsable communication à MFR. Notre but est qu’ils se côtoient et se forment dans leur milieu, à la campagne, dans des domaines qui correspondent à la réalité et aux besoins du terrain. Car ils aspirent à rester dans leur village, même si certains n’hésitent pas à faire le tour du monde pour ensuite revenir au pays. »
Ce savoir-faire ne date pas d’hier puisque la première MFR fut créée par des agriculteurs et des parents dans le Lot-et-Garonne en 1937. Aujourd’hui, le contexte est tout autre. « En Vendée, nous avons créé une formation en plasturgie pour la navigation de plaisance, en Haute-Savoie, une aux métiers de la montagne, etc., poursuit Christophe Bernard. Grâce aux formateurs, aux familles, à nos partenaires, les jeunes s’épanouissent dans la voie qu’ils ont choisie et se projettent dans l’avenir. » 

Là réside en effet la principale difficulté : nombre jeunes font des choix contraints de métier, faute de pouvoir s’y former à proximité et l’exercer dans leur territoire. « En milieu rural, le diplôme représente aujourd’hui encore la plus grande protection contre la précarité, souligne Clément Reversé, sociologue. Le CAP ne suffit plus, les jeunes doivent viser le bac, le BTS et plus. Le marché du travail s’est aussi profondément transformé. Il n’est plus centré sur l’agriculture, mais sur le secteur tertiaire. Avec environ 24 000 postes proposés hors des grandes villes et métropoles, Amazon est le plus gros recruteur en milieu rural. Cette course au diplôme, conjuguée à la transformation des métiers, handicape considérablement ces jeunes. »

Dans son étude Petits boulots et grandes galères – Être jeune sans diplôme en milieu rural publiée par le Cereq, le sociologue relève une difficulté commune à tous ces jeunes : la crainte d’être stigmatisés en raison de leur vulnérabilité. « Ils considèrent aussi le recours aux aides comme une atteinte à leur dignité et, de fait, ne cherchent pas à les percevoir », constate le chercheur.

Un pari sur le jeune rural et l’avenir

Accéder à la mobilité du quotidien et à la mobilité sociale (changer de catégorie sociale ou de profession) représente un double défi pour les jeunes ruraux. Pour les aider à le relever, 1 000 communautés de communes de l’association Intercommunalités de France mettent en œuvre des politiques jeunesse. Par exemple, des campus connectés dans le Lot-et-Garonne. Les jeunes peuvent suivre des formations universitaires en ligne dans des tiers-lieux ou chez eux. Ou, en Mayenne, des prêts de scooters et une aide pour trouver un logement, le temps d’un stage ou d’un apprentissage. Et encore, dans les Ardennes, des bourses pour aller se former en Europe, dans le cadre du programme Erasmus+. « Certains élus assument le fait que des jeunes ruraux quittent leur territoire pour continuer leurs études, trouver un emploi, découvrir d’autres cultures, d’autres horizons, avant de revenir, pour certains, forts d’une expérience aboutie, conclut Romain Briot, directeur général adjoint. Pour les communes rurales, c’est une façon de lutter contre le déterminisme social et territorial et pour les jeunes, d’avoir un avenir choisi en perspective. »

2 QUESTIONS À Clément Reversé, sociologue à l’université Toulouse-Jean-Jaurès et chercheur au Centre d’étude et de recherche travail, organisations, pouvoir de Toulouse

Dans votre étude, vous notez la grande employabilité des jeunes ruraux non diplômés et leur forte précarité. Pourquoi ?

Les jeunes ruraux souhaitent coûte que coûte entrer dans la vie active, acceptent des conditions de travail souvent dégradées et, en même temps, le marché du travail ne veut plus vraiment d’eux. Leur disponibilité, leur flexibilité deviennent des « compétences » et entretiennent leur précarité. Ils sont embauchés et débauchés en fonction du flux d’activité. Ils sont toujours un peu d’astreinte, ne prennent ni week-ends ni vacances, car une agence d’intérim ou un patron peut, on ne sait jamais, les appeler. Sans leur accorder aucune stabilité professionnelle.

Comment répondre à la fois aux aspirations de ces jeunes et aux besoins de leurs territoires ?

En veillant à la cohérence entre formation, emploi et territoire, et en proposant aux jeunes ruraux des formations professionnalisantes. Non pas parce qu’ils manquent d’ambition mais parce qu’ils ne veulent pas rester sur une chaise à ne rien faire. Ils veulent du concret. S’ils sont prêts à reprendre des études, c’est pour trouver du sens à leur vie. Inutile d’orienter un jeune vers un CAP cuisine s’il ne veut pas devenir cuisinier, sous peine de le mettre en situation de rupture totale vis-à-vis de l’école qu’il rejette, vis-à-vis de sa famille, souvent le seul capital dont il dispose, et vis-à-vis du marché de l’emploi où il pense être « bon à travailler », mais où il n’est plus vraiment désiré. Et ce, à une période de la vie où le jeune crée une image de soi et cherche à s’épanouir et à se projeter.

À APPRENTIS D’AUTEUIL

Sensible à ces questions de mobilité qui touchent particulièrement les jeunes les plus fragiles et les plus isolés en territoire rural, Apprentis d’Auteuil a consacré son Baromètre de l'éducation 2024 à ce thème. Avec les dispositifs Bus des possibles, dans le Var, et Boost mobile, dans les Pyrénées-Orientales, par exemple, la fondation vise l’insertion des 16-30 ans en situation de précarité dans les zones rurales isolées en allant à leur rencontre, là où ils sont. Il leur est proposé un programme global qui englobe projet professionnel, levée des freins liés à la mobilité, travail sur le numérique, la santé, la citoyenneté. 
La fondation dispose aussi d’établissements scolaires dotés d’Internats éducatifs et scolaires situés dans les territoires ruraux. Ces structures dispensent des formations liées aux activités économiques locales (services aux personnes, vente en espace rural, conduite et entretien de machines agricoles, etc.), un accueil personnalisé et un accompagnement vers l’indépendance et l’autonomie.

POUR ALLER PLUS LOIN

Loin de Paris,
Raconter les territoires
Salomé Berlioux et Félix Assouly
Éditions de L’aube

La Vie de cassos
Jeunes ruraux en survie
Clément Reversé
Éd. Le Bord de l’eau
(à paraître en septembre)