Quand la mobilité devient un enjeu majeur pour l'insertion des jeunes
Se rendre à son lieu de stage ou d'alternance, à la mission locale ou à la maison des jeunes. Aller à une formation, à un entretien d'embauche, accepter un premier emploi.... Tous ces actes de la vie courante peuvent devenir très compliqués. Pour lever les freins à la mobilité liés à l'éloignement, au manque de transports ou à leur coût, aux blocages psychologiques, Apprentis d'Auteuil a créé des dispositifs. Et se mobilise pour faire mieux connaître cet obstacle à une insertion réussie avec le baromètre de l'éducation 2024 consacré à la mobilité.
Rémy, 23 ans, habite Somain, une petite ville du Nord. Étudiant en informatique, il doit déployer des trésors de patience pour aller à Douai, situé à 20 kilomètres de là, pour suivre ses études. Une heure trente de bus, avec parfois trois changements... " Dans mon parcours, il y a rapidement eu la question des transports. Ici à Somain, on n'est pas directement connectés à Douai par le bus. Quand je dois faire trois changements, il faut se lever tôt ! " Pour lui et les jeunes en besoin d'accompagnement social et professionnel, Apprentis d’Auteuil a mis en place un dispositif de remobilisation sur tout le territoire français.
Objectif : remobiliser les jeunes
Dans le Douaisis, le dispositif intervient sur un secteur mal desservi en transports en commun. Réel atout cependant, leur gratuité. L'équipe remarque les effets néfastes de ce manque de mobilité : les jeunes, habitués à rester chez eux, ont de la peine à changer leurs habitudes et à sortir de leur ville. Faute de mobilité, ils n'ont pas la possibilité du choix de leurs études, de leur emploi, de leurs loisirs.
Le dispositif remobilise ces jeunes en rupture, pour lesquels un accompagnement traditionnel n'est pas adapté. Il leur faut du soutien, de la proximité, de la bienveillance, du temps... Ainsi, ils reprendront la main sur leur parcours et pourront suivre leurs envies.
L'équipe s'est dotée d'outils tous azimuts pour résoudre ce problème : un carnet d'adresses fourni pour travailler en partenariat avec le tissu local, des visites pour connaître leur environnement, des rencontres avec des entrepreneurs, des associations, du sport pour avoir une meilleure santé et améliorer son image de soi des jeux pour créer un esprit d'équipe et d'entraide, des entretiens individuels très réguliers.
Anaïs Decobecq, chargée d'insertion socio-professionnelle, explique ce qui est mis en place pour renforcer la capacité des jeunes à se déplacer tous seuls, en autonomie : " Nous leur demandons de gérer des projets de A à Z : la visite du Centre historique minier de Lewarde (pour connaître l’histoire de leurs ancêtres), une journée dans un club équestre, une journée à Paris (pour aider les jeunes à surmonter la peur de l’inconnu). Ils doivent contacter les structures pour connaître les moyens de transports en commun, le prix d’entrée, les jours et heures d’ouverture… Au début, ils sont réticents. À la fin, passionnés : ils ont eu le courage de se lancer, ont repris confiance en eux et ont découvert tout un tas de choses."
Le permis est un objectif à court terme pour Rémy. Le dispositif l'a aidé à accomplir les démarches administratives pour obtenir des aides financières. Aujourd'hui, le jeune homme a gagné en confiance. Il est plus sûr de lui et se projette dans l'avenir après l'obtention d'une licence pro Développement durable des territoires par le e-commerce et l'e-tourisme : "Je pars désormais du principe que je peux y arriver !"
Des transports aux horaires inadaptés
Des transports en commun trop peu fréquents et au maillage trop lâche, c'est un constat que partage Nathalie Soares, chargée d’insertion à la Maison d’enfants Saint-Joseph de Blanquefort, à onze kilomètres de Bordeaux. « Nous travaillons sur cette question tous les jours ! Nous avons de belles opportunités de stage ou de signature de contrat d’apprentissage dans des entreprises partenaires, mais les jeunes ne peuvent y répondre, pour ces mêmes raisons. »
L'unité Mamina met à disposition des jeunes scooters, trottinettes et vélos électriques, moyennant un contrat de prêt. Ils sont encouragés à passer le brevet de sécurité routière, qui leur permet de conduire un scooter de plus de 50 cm3 ou une voiture sans permis. Et le permis de conduire. « Pour ces jeunes en difficulté, ça n’est pas toujours facile. Ils ont peur de l’échec. Le permis est vu comme un examen supplémentaire à passer. Les équipes éducatives organisent des sessions de révision du code en groupe. Nous devons les accompagner étape par étape. »
Lever les freins psychologiques
Ces freins psychologiques, l’équipe de la Maison des familles de Montdidier, dans la Somme, les a bien identifiés. Située en milieu rural, dans une région qui a subi de plein fouet la désindustrialisation, la Maison des familles joue un rôle social de premier plan. L'équipe a mis en place un système de navette avec l’utilitaire de l’établissement pour aller chercher les personnes qui, autrement, ne pourrait s’y rendre.
La Maison des familles a récemment déménagé dans un quartier plus accessible de Montdidier. Avec son grand jardin, elle est idéale pour les nombreuses activités proposées. « Je fréquente la Maison des familles de Montdidier depuis le début, j'ai été une des premières ! souligne Magali. Depuis que nous habitons à Aubvillers, à une douzaine de kilomètres, j'ai de gros soucis de mobilité, car la gare n'est pas facile d'accès. Y aller à pied à travers champs, c'est dangereux. J'avais arrêté de venir. Heureusement, grâce aux navettes, je peux à nouveau y aller. J'ai été soulagée. La Maison des familles, c'est mon pilier, je tiens grâce à elle. Je participe à de nombreux ateliers. »
« Beaucoup de familles ne peuvent se déplacer, confirme Lucile Sessou, la directrice. Un aller-retour jusqu’à Amiens, c’est 15€ et c’est déjà trop. Mais au-delà du coût, certaines personnes n’osent pas prendre le train. Des jeunes s’interdisent des choix professionnels ou d’études qui impliqueraient de quitter leur ville. Derrière ces craintes, il y a des questions d’éducation, des peurs transmises de génération en génération. On observe une reproduction de difficultés et de destins. Nous les accompagnons, le temps nécessaire, pour qu'ils apprivoisent les transports et puissent les prendre tout seuls. »
La Maison des familles multiplie les initiatives pour rompre cet enfermement, susciter l’envie et l’ouverture aux autres. Sortie à la mer ou à Amiens, en prenant le train en groupe à partir de Montdidier, ateliers découverte des métiers, pour montrer aux ados qu’il y a d’autres possibles et d’autres ailleurs. Un travail de longue haleine.
Le permis de conduire, sésame pour l'emploi
A Grenoble comme à Villeurbanne, le permis de conduire, clé de l’autonomie, est le cheval de bataille de Mob’ and Go. Cette auto-école sociale accompagne des personnes en difficulté vers l’obtention du permis pour un coût modique. Orientés par Pôle emploi, la mission locale ou d’autres organismes, les candidats sont d’abord testés sur la lecture, l’écriture, l’orientation dans l’espace pour évaluer le nombre d’heures nécessaires pour le code et la conduite.
« Ces personnes sont déjà dans une dynamique d’insertion professionnelle, souligne Adriane Boyadjian, cheffe de projet. Le permis représente pour elle le dernier pas vers l’emploi. L’avantage que nous offrons, outre le coût modeste, est d’adapter la formation aux compétences, au rythme et à la situation personnelle de chacun. Cela se traduit par des cours non magistraux, les plus pratiques et ludiques possibles. Notre but est que personne ne soit laissé de côté. »
Un rêve enfin accessible
L’accompagnement correspond bien aux besoins de Sekou, 23 ans, employé aux transports en commun de Lyon : « Je rêve de devenir cariste, de conduire des engins pour déplacer des marchandises dans une entreprise. Je dois donc avoir le permis ! Les formateurs me donnent la force de continuer. »
Pour Khadène, maman isolée de 35 ans, le constat est le même : « Je n’aurais jamais pu passer le permis de conduire, c’était beaucoup trop cher pour moi. Mais sans permis et sans voiture, c’est très compliqué de trouver un travail quand on est seule à s’occuper de ses enfants. J’ai déjà obtenu le code du premier coup. Sans les formateurs leur aide, leur patience, je ne l’aurais jamais eu. Mon rêve est d’avoir le permis, j’y mets toute mon énergie. »
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