Témoignages

Lauryl Tulpin, agir en faveur des anciens enfants placés

Un temps accueillie dans une Maison d’enfants d'Apprentis d'Auteuil des Ardennes, Lauryl Tulpin, 21 ans, en reconversion professionnelle, vient de co-fonder l'antenne départementale d'une association de soutien aux sortants de l’ASE. Portrait.

"Crois en toi, en tes projets, ton avenir et ton destin. La réussite est entre tes mains !" Ces mots, Lauryl Tulpin, 21 ans, ancienne enfant placée par les services de l’Aide sociale à l’enfance (ASE), un temps accueillie à la Maison d’enfants Don-Bosco d’Apprentis d’Auteuil, ne cesse de les marteler aux jeunes gens et aux jeunes filles de l'association d'entraide des jeunes issus de l'Aide sociale à l'enfance qu’elle vient de co-fonder avec une ancienne jeune, placée, comme elle, dans le département des Ardennes. Histoire de changer le regard sur les jeunes des foyers... 

Changer le regard de la société

"Je n’ai pas choisi de vivre en maison d'enfants. Pourtant, je suis fière de mon parcours et je reconnais la chance que j’ai eue, lance la jeune femme  avec conviction. C’est important de faire évoluer le regard de la société sur nos situations. Être un enfant placé ne fait pas de nous un délinquants. Nous sommes des personnes comme les autres. Avec de la volonté et du soutien, nous pouvons sortir du cercle de la précarité."

Soutenue par le département qui désirait s’engager sur le sujet, Lauryl  facilite et accompagne l’intégration dans la société des jeunes qui sortent des foyers et familles d’accueil de l’ASE. Elle mène également un travail plus large de plaidoyer au sein de sa jeune association.

Aujourd'hui, les trajectoires de vie des personnes placées lorsqu'elles atteignent leur 18ème anniversaire sont intimement liées au bon vouloir de l'Aide Sociale à l'Enfance, qui décide (ou non), selon les départements, de la poursuite de leur accompagnement. Seulement 36 % d'entre elles sont aujourd'hui prises en charge au-delà de leur majorité et jusqu'à 21 ans en France.

ll est également à noter qu'un jeune pris en charge par la protection de l’enfance change en moyenne quatre ou cinq fois de foyer, de lieu de vie et de ville durant le temps de son placement.

Ambiance conviviale

Née en 1999 à Sedan, dans les Ardennes, Lauryl grandit dans un petit village de Picardie avec sa sœur jumelle, une petite sœur de huit ans sa cadette, sa mère et son beau-père. Elle a trois frères aînés. Fin décembre 2013, en dernière année de collège, l’adolescente perd brusquement sa maman.

"Je serais volontiers restée avec mon beau-père dans l’Oise, où j’avais mes repères, confie la jeune fille, mais ce n’était légalement pas possible."

Le temps de passer son Brevet, Lauryl est placée l’été suivant à la Maison départementale de l’enfance et de la famille des Ardennes, département où vit (toujours) son père. Un lieu qui accueille en urgence des enfants confiés au titre de la protection de l’enfance, avant de les mettre, selon les situations, entre les mains d' associations partenaires, comme Apprentis d'Auteuil.

En janvier 2015, Lauryl intègre la Maison d’enfants Don-Bosco. Sur  le plan scolaire, elle est inscrite depuis la rentrée précédente au lycée professionnel Charles de Gonzague de Charleville-Mézières en bac pro métiers de la mode, des études qui la passionnent. À Don-Bosco, Lauryl apprécie rapidement la force du collectif, qui lui permet de trouver sa place.

"Les premiers jours, j’étais tendue, raconte-t-elle. Au bout d’un mois, c’était fini !" La jeune fille est également curieuse, avec une grande soif de connaître les autres. Elle garde le souvenir d’une ambiance très conviviale entre jeunes et éducateurs et d’un réel soutien. Avec des voyages à l’étranger, des discussions sur des questions existentielles, des cours de danse, des soirées à thème..."Avec le recul, je peux dire que ce temps en maison d'enfants m’a beaucoup apporté, j’y ai acquis une grande force intérieure et le sens de l’autonomie."

Transcript

Un capital de résilience

Fière et reconnaissante, la jeune fille se souvient aussi avec émotion de la disponibilité du directeur d'alors, Patrice Lejeune, de la cheffe de service, de son éducatrice référente et des veilleurs de nuit " si présents quand on avait besoin de parler, tout comme les maîtresses de maison, qui nous apprenaient à cuisiner et à faire nos lessives…

Tous me faisaient confiance, à tel point qu’on m’a rapidement surnommée “la petite meneuse”. Si je m’en suis sortie, c’est aussi parce que ces personnes ont cru en moi ! " 

Forte de ce qu’elle a vécu en foyer, Lauryl consacre aujourd’hui l’essentiel de son temps libre à militer pour la cause des jeunes sortants de l’ASE. "Notre parti pris est simple. Avoir vécu en famille d’accueil ou en foyer durant son enfance ne représente ni un stigmate ni un statut dans lequel il faudrait s’enfermer ! Quelles que soient les difficultés rencontrées durant l’enfance – et cela ne concerne pas uniquement les enfants de l’ASE – l’adversité a nécessairement créé en nous un capital de résilience : combativité, capacité d’adaptation, empathie… Notre but, c’est de faire comprendre aux jeunes de notre association qu’ils ont à accepter leur histoire et leur passé. Et à en devenir fiers."

Réformer la Protection de l'enfance

L’association n’a pas (encore) de local, mais se déplace à la demande de structures et d’établissements pour des temps de partage avec les jeunes.

" Du fait de leurs situations familiales, Ils doivent accéder à l’indépendance bien plus tôt que la moyenne des jeunes, l’âge moyen du départ du foyer parental étant en France de 23,7 ans et de 26 ans en Europe, explique encore Lauryl. La force du collectif les aide à trouver des solutions ensemble et à sortir de la défiance à l’égard des autres."

De plus en plus de travailleurs sociaux sont également intéressés par la démarche de la jeune femme. Elle leur permet de mieux comprendre la situation des enfants et des adolescents qu'ils suivent.

"C'est l'occasion de leur faire passer des messages, détaille Lauryl. Lutte contre la stigmatisation, besoin d’être mieux écoutés, respect de la famille naturelle… Autant de sujets sur lesquels les professionnels apprécient de nous entendre afin d’améliorer leurs pratiques !"

Lauryl et son équipe participent enfin aux débats et consultations en cours, en lien avec l'antenne Repairs75 de Paris et LaTouline d'Apprentis d'Auteuil des Ardennes (qui accompagne des jeunes majeurs) pour réformer la Protection de l’enfance. "Le sujet n'est pas assez évoqué dans les média. Il est urgent d’agir pour les jeunes sortants. L'autonomie à 18 ans n'est pas acceptable. C’est un immense gâchis, avec des conséquences dramatiques : un quart des sans domicile fixe sont des anciens de l’ASE…"

Sur le plan professionnel, après une première expérience dans les métiers de la mode, la jeune femme vient  de se réorienter dans le secteur social. Et retourne pour cela bientôt en formation. Elle conclut, positive : "J’ai appris à m’assumer, me battre et à aller plus loin que je ne le pensais, à mon tour de redonner ce que j’ai reçu. "

BIO EXPRESS

  • 1999 : naissance à Sedan (Ardennes)
  • 2013 : décès de sa maman
  • 2015 : entre à Apprentis d’Auteuil
  • 2017 : bac pro métiers de la mode, mention AB
  • 2019 : création de l’association Repairs 08 ! à destination des jeunes sortants de la protection de l’enfance

LE PROJET NATIONAL REPAIRS!

  • Le projet national Repairs! a été créé en 2015 à Paris par des jeunes tous juste sortis de l’Aide Sociale à l’Enfance, d’une volonté de transformation des Adepape (Associations départementales d'entraide des personnes accueillies en protection de l'enfance).
  • L'association est convaincue que la qualité et la préservation des liens crées par les enfants tout au long de leur placement est un moteur déterminant pour leur permettre de se projeter sereinement vers l’avenir une fois devenus adultes.
  • Elle observe que le soutien pour l'accès à un logement et à des revenus de ses membres est une main tendue essentielle pour leur éviter de connaître la difficulté de la rue à 18 ans. 
  • Repairs est aujourd'hui présent dans 8 départements, dont celui des Ardennes.