Education et scolarité

Crise Covid : un an après, jeunes et familles témoignent

Le 17 mars 2020, la France connaissait son premier confinement lié à la pandémie du Covid-19. Un an après, comment jeunes et familles accompagnés par Apprentis d'Auteuil ont-ils vécu cette année si particulière ? Quel a été l'impact de la crise sanitaire sur leur vie ? Quels sont leurs espoirs ? Voici leurs réponses.

Protection de l'enfance : vivement des jours meilleurs

Pauline Kosman, directrice d'une Maison d'enfants : "Les enfants sont résignés"

« Aujourd’hui, les enfants et les ados que nous accueillons dans notre Maison d’enfants Saint-François d'Assise (81 enfants âgés de 4 à 18 ans) à Strasbourg sont résignés. Cela fait un an qu’ils vivent les restrictions, les classes fermées, les activités sportives suspendues… Un an après, la situation ne s’est pas vraiment améliorée.

Lors du premier confinement qui était plus strict, paradoxalement il y avait moins d’angoisses et d’incertitudes. Les écoles étaient fermées, il n’y avait plus de visites en familles. Nous sommes entrés dans un tunnel en attendant des jours meilleurs.

Le deuxième confinement du mois d’octobre a été moins strict. Les écoles ont continué à fonctionner mais le quotidien était perturbé. Les ados en apprentissage ou en CAP en restauration ont eu beaucoup de mal à trouver des stages. Et il y avait toujours ce risque élevé de contamination via les clusters. Les repères étaient moins visibles pour tout le monde.

Aujourd’hui, la vie continue. Les jeunes pensent à leur avenir, ils font des choix d’orientation, ont des projets...qu’il faudra peut-être adapter. Mais la vie prend le dessus. Ce qu’ils ont besoin de retrouver au plus vite se sont tous les rites de passage qui rythment habituellement leur vie d’enfant : les anniversaires, les camps d’été, une véritable rentrée scolaire, les activités sportives, etc. J’espère qu’une fois la population vaccinée, la vie va pouvoir reprendre normalement. Et que tout ce qui fait la fraternité et le vivre ensemble va reprendre encore plus fort ! »

Une jeune accueillie à la MECS de Strasbourg. Photo : © Besnard/Apprentis d'Auteuil

Scolarité : cap maintenu

Amandine Sampol, directrice d'un collège à Marseille :"Des élèves fatigués et anxieux".

« Durant le premier confinement, nous avions exceptionnellement ouvert le collège Vitagliano aux élèves les plus fragiles dans leurs apprentissages et en grand risque de décrochage. Ils ont évolué de façon très positive. Nous avons également un partenariat avec une école de commerce de Marseille, Kedge Business School, dont les étudiants font du soutien scolaire auprès des jeunes. Maintenant, nous avons retrouvé une bonne dynamique.

Il y a un an, un des points délicats était le manque de matériel informatique ou de connexion Internet des familles. Le Conseil départemental des Bouches-du-Rhône a fourni une tablette par enfant, tablette qu’ils pourront garder après leur départ du collège en 3e. Nous communiquons avec les jeunes et les familles via la plateforme École directe. Cela a impliqué beaucoup d’accompagnement et de maintenance pour nous. Cette pandémie nous a fait faire un bond en avant du point de vue technologique.

Aujourd'hui, nous remarquons beaucoup de fatigue et d’anxiété chez les jeunes, qui craignent de ramener le Covid à la maison sans le savoir. Nous faisons un gros travail pour les rassurer. Point positif, nous avons eu moins de problèmes de comportement et sentons un vrai engouement pour l’école. Les enfants ont compris l’intérêt d’y aller. Quant aux familles, les liens se sont vraiment resserrés. Pour la première fois à l’internat, nous avons pu réunir chaque famille autour de son enfant et des professionnels pour construire ensemble le Parcours personnalisé du jeune. Cela n’était jamais arrivé jusqu’à maintenant.

Les familles subissent les effets collatéraux de la crise sanitaire et économique. De nombreux parents avaient un travail informel dans le secteur du ménage, de la restauration ou du bâtiment. Beaucoup ont perdu leur emploi et se trouvent dans une situation terrible, financièrement et moralement. Nous restons en contact régulier avec elles et poursuivons l’accompagnement psychologique, grâce à notre psychologue. C’est une période très délicate. »

Accompagnés par les équipes pédagogiques et éducatives, aucun élève du collège Vitagliano n'a décroché depuis le début de la pandémie. (c) Benjamin Béchet/Apprentis d'Auteuil

Décrochage scolaire : des moments de découragement

Ilyes, 17 ans, ancien décrocheur : "J'ai longtemps été en perte de motivation."

« Les débuts du confinement ont correspondu pour moi à une période assez difficile, puisque je venais de décider d’arrêter ma formation en bac pro cuisine, qui ne me plaisait pas vraiment. Le conseiller d’orientation de mon lycée que je suis allé trouver m’a alors orienté vers le dispositif du Fil d’Ariane : il aide les décrocheurs à se réorienter.

Avec eux, j’ai été assez bien encadré au départ, avec une remise à niveau en petits groupes dans les matières principales, mais tout se faisait à distance... Et côté stages, impossible de trouver quoi que ce soit à cause de la crise sanitaire ! Bref, aucune perspective concrète de réorientation ne se dessinait pour la rentrée suivante qui approchait... C’était assez décourageant. L'été est vite arrivé. Toujours du sur place, sans pouvoir sortir comme je l'aurais aimé pour me changer les idées…

À la rentrée, n’ayant encore rien trouvé, j’ai repris une nouvelle session avec le Fil d’Ariane, quand même un peu dépité, voyant le temps passer et aucune solution émerger... Ma chance, ça a été l’intervention dans notre classe d’une personne venue nous parler du service civique. Je ne connaissais pas trop le principe, mais l'idée  m’a immédiatement plu. J'ai été retenu après un entretien et j'ai rapidement démarré une mission avec Unis-Cité sur Lyon. Une belle expérience qui m’a redynamisé !

Entre temps, j'ai dû déménager pour suivre ma famille à Montpellier... Fort de ce petit temps de service civique même s'il a été écourté, je viens de prendre contact avec une association qui prépare au BAFA (Brevet d’aptitude à la fonction d’animateur). Je suis inscrit au stage de base et compte suivre les deux autres nécessaires à l’obtention du diplôme d’ici cet été, pour pouvoir travailler en juillet. Je recherche par ailleurs activement un lycée pour me lancer dans un bac pro commerce à la prochaine rentrée, qui correspond davantage à mes goûts personnels et à mon épanouissement. Cette crise est longue et j'ai longtemps été en perte de motivation, mais je suis ravi d’avoir pu rebondir, même si cela a pris du temps. »

Insertion : une période compliquée

Manon, 25 ans : "Je me concentre sur mon avenir"

« Au mois de mars,  j’ai très mal vécu le premier confinement. Je ne travaillais pas, j’étais enfermée chez moi. Même si j’avais un jardin, ça été une période compliquée à vivre !

Au mois de septembre, je suis entrée dans le dispositif Boost insertion d’Apprentis d’Auteuil à Sarre-Union (67). C’est une formation de cinq mois pour des jeunes éloignés de l’emploi. Nous avions des activités socio-culturelles, des ateliers pour la recherche d’emploi et la rédaction de CV. Mais aussi des temps pour travailler la confiance en soi.

Aujourd’hui, j’ai quitté cette formation parce que j’ai trouvé un emploi d’animatrice péri-scolaire dans un centre socio-culturel. Dans les mois qui viennent, j’envisage de faire une formation pour devenir fleuriste en CAP ou en apprentissage. Mais la crise sanitaire complique beaucoup les choses pour obtenir des stages ou un contrat en entreprise.

Je ne vis pas très bien la grande incertitude qui règne actuellement. Tous les jours les règles changent, on ne sait pas où l’on va, si le vaccin sera efficace ou pas... Et je suis isolée. Le cinéma, les sorties me manquent. Malgré tout, j’essaye de faire abstraction du Covid, et je me concentre sur mon avenir en espérant que dans un an je serai devenue fleuriste. »

Emploi : des difficultés au quotidien

Niamkey Aboua, à la tête d'un restaurant à Bouguenais, subit les contrecoups de la crise sanitaire et économique. (c) Apprentis d'Auteuil
Niamkey Aboua, patron du restaurant Timebox à Bouguenais, subit les contrecoups de la crise sanitaire et économique. (c) Apprentis d'Auteuil

Niamkey Aboua, 35 ans, ancien d'Apprentis d'Auteuil : "L'avenir est incertain"

« La pandémie, c'est très dur psychologiquement, explique Niamkey Aboua, à la tête du restaurant Timebox à Bouguenais, aux portes de Nantes. Le restaurant est fermé depuis le 17 mars 2020. Je viens tout juste de me lancer dans la vente à emporter. Je me débats pour le moment dans les démarches administratives, auprès des impôts, de la banque. Ça avance très lentement.»

Placé à la Maison d'enfants Daniel Brottier en 2003, du fait d'une situation familiale compliquée, le jeune homme d'origine ivoirienne a appris la cuisine au lycée professionnel Daniel-Brottier. Puis s'est lancé dans cette profession, en accumulant beaucoup d'expérience en saison dans les stations de sports d'hiver et dans divers restaurants. Petit à petit, il investit dans du matériel de cuisine, l'idée de devenir son propre patron faisant son chemin. Revenu à Bouguenais, il décide de créer son restaurant dans cette ville chère à son cœur qui l'a vu grandir et évoluer positivement. Il fait de belles rencontres qui lui permettent d'avancer sur son projet.

Son restaurant ouvre en 2017. Il y propose une cuisine aux saveurs africaines mâtinées d'Asie et d'Europe. Et surtout, son fameux burger, d'après une recette concoctée avec son amie cheffe."Au début c'était dur, confie-t-il, je faisais la cuisine et le service. Et des mariages aussi, comme traiteur. Je suis un lion affamé !"...

Un dernier message qu'il tient à partager : la situation des jeunes sortant des dispositifs de la Protection de l'enfance : "C'est là qu'il faut faire porter tous les efforts, souligne-t-il. Tellement de dangers les guettent, la rue, la prostitution, les trafics en tous genres, en l'absence d'aide pour s'insérer, de contacts et de  revenus.

L'accompagnement à la sortie des établissements, ça doit être une priorité !" Il reste très attaché à la fondation, à tous les éducateurs qui l'ont soutenu et aidé à devenir autonome et responsable. Il le résume dans une formule qui lui ressemble : "Auteuil un jour, Auteuil pour la vie !"

Famille : de la patience et du courage

Arbana, une mère de famille vivant dans les quartiers nord de Marseille. Ici, avec ses deux filles. (c) Apprentis d'Auteuil

Arbana, mère de famille : "J'ai l'impression d'avoir vraiment mûri !"

« J'habite les quartiers Nord avec mon mari et mes deux filles et nous fréquentons la Maison des familles les Buissonnets depuis notre arrivée à Marseille il y a trois ans. Nous sommes d’origine albanaise.

Pour nous, cette période de crise sanitaire n’est pas du tout facile, d’autant plus que notre fille ainée, scolarisée en CE1, a des problèmes de santé. Nous vivons, en plus, dans un petit logement, sommes sans travail actuellement et en attente de régularisation de notre situation. Les délais sont longs. Il faut être patient et  très courageux. Heureusement, un lien très fort s’est créé avec la Maison des Familles et je me suis fait de réelles amies parmi les mamans rencontrées ici. J’ai beaucoup reçu. Du coup, maintenant, j’essaye de redonner…

Comme bénévole accueillante auprès des nouvelles familles, et en ce moment comme déléguée de l’exposition que nous avons justement consacrée au vécu de 20 parents des quartiers nord de Marseille depuis un an ! Un projet magnifique monté à partir de photos prises par nous-mêmes, les mamans fréquentant la Maison, et de textes les accompagnant. L'expo est officiellement inaugurée demain 17 mars 2021

Le but de ce projet artistique a été d’exprimer ce qu’on a vécu durant le confinement, une période inédite pour nous, pour la société française et pour le monde entier. En tentant de répondre à la question : « qu’est-ce que le confinement a changé dans mes relations familiales ? », nous avons souhaité que chacun puisse réfléchir et prendre conscience des liens qui nous lient, nous unissent et nous désunissent.

Nous avons avancé en nous appuyant sur la démarche de la Photovoice. Il s’agit d'une forme d'expression par la photo et le texte, dont les objectifs sont de développer le pouvoir d’agir des personnes, de leur donner la parole, de réfléchir ensemble et de se mettre en action. Ce projet, nous en sommes très fières. Une fois l’exposition inaugurée, elle va circuler…

Pour résumer, le confinement, c’est un temps de ma vie que je n’oublierai jamais. Une expérience forte, faite de moments très durs, mais aussi de beaucoup de solidarité et de créativité ! En plus, notre famille va s'agrandir. En l’espace de 12 mois, j’ai l’impression d’avoir vraiment mûri ! »

L'avis de Nicolas Truelle, directeur général d'Apprentis d'Auteuil

« L’année 2020 a été très éprouvante, elle a aussi été riche d’enseignements, de nouvelles pratiques et nous allons capitaliser sur ces réussites, souligne Nicolas Truelle, directeur général d'Apprentis d'Auteuil. Nous sommes plongés dans une crise sociale et économique profonde et longue. En 2020, pouvoirs publics et acteurs associatifs, comme Apprentis d’Auteuil, ont pallié à l’urgence d’une crise inédite, chacun à leur niveau et selon leurs moyens. Nous savons que 2021 sera une année difficile pour les jeunes éloignés de l’emploi et de l’école, les familles les plus vulnérables, celles et ceux qui devaient décrocher leur premier emploi. Mais nous devons voir plus loin. Nous pensons qu’il est indispensable que tous les acteurs se rejoignent sur l’idée que la jeunesse doit être pleinement intégrée dans l’après-crise, elle sera l’un des principaux moteurs du redressement du pays : il faut en faire la Grande Cause du prochain quinquennat. Les jeunes ne doivent plus être simplement objets de discours ou de débat : ils doivent être impliqués au cœur des décisions : l’avenir de la jeunesse, c’est notre avenir à tous. »