
Lauryl Tulpin, soutenir les jeunes sortants de la Protection de l'enfance
PORTRAIT. Accueillie pendant deux ans dans une Maison d’enfants d'Apprentis d'Auteuil, Lauryl Tulpin, 21 ans, vient de co-fonder Repairs ! 08, l'antenne départementale d'un réseau d'entraide pour les jeunes sortants de la protection de l'enfance. Par Agnès Perrot.
« Crois en toi, ton avenir et ton destin. La réussite est entre tes mains ! » Ces mots, Lauryl Tulpin, 21 ans, ne cesse de les marteler. Cette ancienne enfant placée vient de co-fonder l'antenne ardennaise de Repair's, une association nationale d'entraide de jeunes issus de l'ASE (Aide sociale à l'enfance), née en 2015 à Paris.
Un réseau d'entraide
Son but ? Tisser un réseau d'entraide pour les sortants de la Protection de l'enfance, forcés, pour la plupart, à prendre leur autonomie à l'âge de 18 ans, alors que les jeunes ne quittent en moyenne le domicile familial qu'autour de 24 ans.
Aujourd'hui en France, seulement 36 % des jeunes relevant de la Protection de l'enfance sont pris en charge jusqu'à 21 ans (1) par l’État (tout dépend des départements). Le restant se retrouve sans ressources matérielles ou affectives, confronté au mal-logement et à de grandes difficultés sociales et éducatives. Et bien souvent sans diplôme, du fait d'une autonomie précoce et forcée.
Une injustice totale aux yeux de la jeune femme qui milite tout autant pour une poursuite de l'aide de l'État au-delà de 21 ans pour les jeunes sortants de l'ASE, dans le cadre des politiques départementales de lutte contre les exclusions.
Accident de vie
Née en 1999 à Sedan, dans les Ardennes, Lauryl grandit dans un petit village de Picardie avec sa sœur jumelle, une petite sœur de huit ans sa cadette, sa mère et son beau-père. Elle a trois frères aînés.
Fin décembre 2013, en dernière année de collège, l’adolescente, tout juste âgée de 14 ans, perd brusquement sa maman. « Je serais volontiers restée avec mon beau-père dans l’Oise, où j’avais mes repères, mais ce n’était légalement pas possible », explique la jeune fille.
Le temps de passer son Brevet, Lauryl est placée l’été suivant à la Maison départementale de l’enfance et de la famille des Ardennes, département où vit toujours son père. Un lieu qui accueille en urgence des enfants confiés au titre de la protection de l’enfance, avant de les mettre, selon les situations, entre les mains d'associations partenaires, comme Apprentis d'Auteuil.
Ambiance conviviale
En janvier 2015, Lauryl, inscrite depuis la rentrée précédente au lycée professionnel Charles de Gonzague de Charleville-Mézières en seconde bac pro métiers de la mode, intègre la Maison d’enfants Don-Bosco d'Apprentis d'Auteuil. La jeune fille trouve rapidement sa place. « Les premiers jours, j’étais tendue, raconte-t-elle. Au bout d’un mois, c’était fini ! »
Lauryl garde le souvenir d’une ambiance conviviale, avec des voyages à l’étranger, des cours de danse, des soirées à thème... « . On m’a rapidement appelée “la petite meneuse”. Avec le recul, je peux dire que ce temps m’a beaucoup apporté. J’y ai acquis de la force intérieure et le sens de l’autonomie..»
Reconnaissante, la jeune fille se souvient avec émotion de la disponibilité du directeur d'alors, Patrice Lejeune, de la cheffe de service, de son éducatrice référente, des veilleurs de nuit... « Tous me faisaient confiance. Ils étaient présents quand j'avais besoin de parler, tout comme les maîtresses de maison, qui nous apprenaient à cuisiner et à faire nos lessives. Si je m’en suis sortie, c’est parce qu'on a cru en moi » , insiste-t-elle.
À regarder ci-dessus TÉMOIGNAGE VIDÉO DE LAURYL (Production Conseil départemental des Ardennes)
Capital de résilience
Forte de son expérience de vie, Lauryl consacre aujourd'hui l’essentiel de son temps libre à militer, au sein de Repairs ! 08. Selon elle, avoir vécu en famille d’accueil ou en foyer durant son enfance n'est pas une fatalité. « Quelles que soient les difficultés rencontrées durant l’enfance, l’adversité a nécessairement créé en nous un capital de résilience. Notre but, c’est de faire comprendre aux jeunes que nous rencontrons qu’ils ont à accepter leur histoire et leur passé. Et à en devenir fiers. » clame-t-elle avec conviction.
Aux difficultés d’insertion et au manque de réseau familial et professionnel, Repairs !08 tente d'apporter une réponse humaine et bienveillante. Avec un objectif simple : fédérer toutes celles et ceux qui ont eu un jour à vivre une situation d’accueil en protection de l’enfance dans une logique d'entraide.
La force du collectif
Depuis sa création, l'association agit de manière très concrète. Pour cela, elle se déplace à la demande des structures et des établissements du département pour des temps de partage avec les jeunes. Beaucoup de futurs majeurs ne connaissent pas leurs droits.
« Nous ne sommes pas des travailleurs sociaux, mais nous faisons office de lien. Du fait de leurs situations familiales, les jeunes que nous rencontrons doivent accéder très vite à l’indépendance. Nous les aidons à trouver des solutions, la question la plus compliquée étant celle de l'accès au logement. » souligne encore Lauryl.
De plus en plus de travailleurs sociaux s'intéressent à la démarche menée par la jeune femme. « C'est l'occasion de leur faire passer des messages, détaille-t-elle. Comme le besoin que nous avons d’être mieux écoutés, le respect de nos familles naturelles, la lutte contre une certaine forme de stigmatisation… » Autant de sujets qui permettent aux professionnels d’améliorer leurs pratiques.
Réformer la Protection de l'enfance
Lauryl et son équipe participent également aux débats et consultations en cours pour réformer la Protection de l’enfance au niveau national, en lien avec l'antenne Repairs75 de Paris et LaTouline d'Apprentis d'Auteuil des Ardennes, qui accompagne des jeunes majeurs. « Nos questionnements ne sont pas assez évoqués dans les média, martèle-t-elle. Il est urgent d’agir. L'autonomie à 18 ans pour les jeunes sortants n'est plus acceptable. »
Sur le plan professionnel, après une première expérience dans les métiers de la mode, la jeune femme se réoriente dans le secteur social. Elle conclut, positive : « Je n’ai pas choisi de vivre en maison d'enfants. Pourtant, je suis fière de mon parcours. Durant toutes ces années, j'ai appris à m’assumer, à me battre et à aller plus loin que je ne le pensais. À mon tour de redonner ce que j’ai reçu. »
(1) Source :" Étude relative aux modalités d’accompagnement des jeunes de 16 à 21 ans mises en œuvre par les services de l’ASE." Pour la DGCS. 2019. Asdo Études
BIO EXPRESS
- 1999 : naissance à Sedan (Ardennes)
- 2013 : décès de sa maman
- 2015 : entrée à Apprentis d’Auteuil
- 2017 : bac pro métiers de la mode, mention AB
- 2019 : création de l’association Repairs 08 ! pour les jeunes sortants de la protection de l’enfance
LE PROJET NATIONAL REPAIRS!
- Le projet national Repairs! a été créé en 2015 à Paris par des jeunes tous juste sortis de l’Aide Sociale à l’Enfance, d’une volonté de transformation des Adepape (Associations départementales d'entraide des personnes accueillies en protection de l'enfance).
- L'association est convaincue que la qualité et la préservation des liens crées par les enfants tout au long de leur placement est un moteur déterminant pour leur permettre de se projeter sereinement vers l’avenir une fois devenus adultes.
- Elle observe que le soutien pour l'accès à un logement et à des revenus de ses membres est une main tendue essentielle pour leur éviter de connaître la difficulté de la rue à 18 ans.
- Repairs est aujourd'hui présent dans 8 départements, dont celui des Ardennes.
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