
Sedou Koita, profession marin pêcheur
Sedou Koita, 19 ans, a accompli son rêve : devenir marin pêcheur et suivre l’exemple de son père trop tôt disparu. À force de détermination et de courage, le jeune ancien des établissements Notre-Dame, situé au château des Vaux près de Chartres, a franchi toutes les étapes pour se bâtir un avenir dans le pays auquel il aspirait, la France.
Ce matin, un ciel gris et bas couvre Le Havre. Le Jolie Brise, un trémailleur de douze mètres de long, est amarré au port de pêche. Bien emmitouflé dans son coupe-vent, Sedou Koita passe voir Hervé Poisson, son patron, qui lui a donné sa première chance professionnelle en le prenant en alternance, quand il débutait ses études au lycée maritime Anita-Conti de Fécamp. Le patron de pêche s’est spécialisé dans la sole, une espèce noble qui fait le bonheur des restaurateurs. Pêchée au Havre, elle est vendue le lendemain matin à la criée de Fécamp.
« J’étais bien content de l’avoir pris, reconnaît Hervé Poisson. Ses qualités humaines, sa gentillesse, son implication... Il savait déjà travailler et montrait un grand attrait pour le métier que d’autres jeunes n’ont pas forcément à son âge. C’est un très bon élément ! » Sedou sourit, un brin gêné. « J’étais si heureux d’avoir trouvé un patron pour mon alternance. Lors de mon premier stage qui débutait un lundi, M. Poisson m’a dit, « Rendez-vous dimanche soir à 23 heures ». J’ai découvert qu’on embarquait de nuit et qu’on rentrait au port vers 15 h ! »

Une enfance en Mauritanie
Aujourd’hui, Sedou est un jeune professionnel diplômé, embauché en CDI. Le benjamin, 19 ans, est parfaitement intégré à l’équipe de matelots du Jolie Brise. La mer, la pêche, les poissons, Sedou s’y connaît, et depuis longtemps. Il rêvait de marcher dans les pas de son père, lui-même pêcheur. Né au Mali, le jeune homme a grandi en Mauritanie. Dès l’âge de 7 ans, il embarque sur le bateau de son père et, petit à petit, apprend le métier. « Ce n’était ni les mêmes poissons, ni les mêmes techniques qu’en France », précise Sedou.
Cette vie paisible s’arrête brutalement au décès de son père. La mère de Sedou se remarie et la situation devient intenable pour le garçon dans ce nouveau foyer où il n’a pas sa place. « Je me sentais abandonné, balloté de droite à gauche, confiés à d’autres. J’ai décidé de partir en 2019, à 14 ans, et de rejoindre un cousin à Bamako qui lui aussi voulait rejoindre l’Europe, pour avoir un avenir meilleur », explique-t-il.
Suit un long périple de deux ans à travers l’Algérie et la Libye. L’emprisonnement, le racket, la violence des geôliers, les coups, l’exploitation humaine, la détresse et la mort... Sedou a déjà vécu beaucoup et a vu le pire. Calme, posé, il explique avec douceur toutes les étapes de ce parcours vers la liberté, vers la France et ses valeurs qui le faisaient rêver : « À chaque moment, j’essayais de survivre et de me dire, il ne faut pas que tu meures... Vous savez que c’est dur, que vous pouvez mourir, mais on n’a pas le choix, le départ s’impose à soi. »
À fond dans les études
En France, l’adolescent est pris en charge par la protection de l’enfance et confié aux établissements Notre-Dame, au château des Vaux, près de Chartres. « J’étais un peu rassuré et soulagé, et je me demandais ce que j’allais devenir. J’ai commencé les tests pour connaître mon niveau – je n’en avais aucun... – puis pris des cours de français, de maths. Je m’y suis mis à fond. Comme je n’avais jamais fait d’études, il faut faire des efforts, travailler le soir, pendant les vacances. »
Le jeune homme progresse vite. À la surprise de l’équipe qui lui demande quel métier il souhaite exercer, il répond invariablement : « La pêche. Les copains se moquaient pas mal de moi ! Mais lors d’une sortie aux Sables-d’Olonne, on est partis faire du canoé. Elsa, mon éducatrice référente, a vu que j’étais à l’aise sur l’eau, que je nageais très bien. Tout le monde était étonné. ». Elsa prend les choses en main. Grâce à ses relations familiales, l’éducatrice prend contact avec le lycée maritime de Fécamp, explique la situation. « Si tu es motivé, tu seras le bienvenu », répond-on à Sedou.

À la rentrée 2023, les espoirs de Sedou se concrétisent : il part préparer son CAP à Fécamp. « Il y avait douze élèves au début de l’année, et six mois après, nous n’étions plus que six, se souvient-il. Mon prof de techniques de pêche, M. Christophe Lacheray, m’a beaucoup aidé à préparer mes examens et m’a présenté à M. Poisson pour les stages. » Très sociable et avenant, le garçon se fait vite des amis parmi les étudiants, il suscite l’intérêt chez les professeurs qui l’épaulent et le guident dans ses études. Son assiduité, son envie d’apprendre, son travail acharné font le reste.
Éviter la solitude
Le logement en autonomie dans un studio, l’accompagnement, ont été prévus par Elsa : Sedou est présenté à la Touline d’Apprentis d’Auteuil du Havre, un dispositif pour les jeunes sortants de la protection de l’enfance, sans réseau familial pour les soutenir. Catherine Verger, la responsable, détaille : « La Touline est là pour répondre aux besoins du jeune - logement, mobilité, santé, démarches administratives, etc. –, mais aussi pour éviter les ruptures dans les parcours et la solitude. On les aide à créer ce réseau indispensable autour d’eux grâce aux clubs de sport, au bénévolat. L’insertion professionnelle ne suffit pas. L’insertion sociale et psychique est nécessaire aussi. En cela, Sedou est une belle preuve de résilience. »

Un autre défi se présente à Sedou. Au vu de son engagement, un de ses professeurs lui propose, ainsi qu’à deux autres élèves, de tenter le concours « Un des Meilleurs Apprentis de France » dans la catégorie marin-pêcheur. « Les profs m’ont fait confiance. Il fallait faire un filet aux mailles régulières. Je me suis dit que j’allais faire le maximum, je me suis lancé dedans. Il faut du courage, car ça demande du temps et de la motivation. Avec mon père, je faisais déjà des filets à l’âge de 8 ou 9 ans, même s’ils n’étaient pas tout à fait pareil. »
Médaille d'or national Meilleur Apprenti de France
Les résultats sont à la hauteur. Sedou remporte les médailles d’or départementale, régionale et nationale, avec une excellente note. Il est l’un des deux seuls à avoir décroché l’or national en France en 2024. « Ça m’a fait un grand plaisir. J’ai pensé à ma mère, à ma sœur. Ma mère est fière de moi, elle voit que je suis sur le bon chemin, résume Sedou. Il faut provoquer sa chance, cela ne se fait pas tout seul. »
Aujourd’hui, le jeune homme poursuit son chemin plus sereinement. Il se projette dans l’avenir, un logement au Havre, se mettre à fond dans la pêche pour avoir son propre bateau un jour. Il se sent entouré par son patron, qui lui prodigue des conseils comme un père à son fils, et par sa femme, qui avait veillé à ce qu’il soit chaudement vêtu lors de sa première sortie en mer et l’invite à passer Noël en famille. « Médaille d’or ou pas, je l’aurais pris de toutes façons ! » conclut Hervé Poisson.
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