Le smartphone, ennemi de la conversation ?
Dans son livre La fin de la conversation ? David Le Breton, sociologue et anthropologue, interroge notre rapport au smartphone. Selon l’auteur, il change totalement notre vie, nos relations aux autres, notre vision du monde. Et aspire (les adolescents notamment), dans la communication numérique.
Pourquoi avez-vous écrit ce livre ?
J’avais le sentiment de devenir anachronique dans le monde qui m’entoure. Je voyais le lien social se désagréger, sous l’emprise de l’hyper-individualisation de nos sociétés contemporaines et du smartphone qui offre une espèce de monde portatif à chaque individu. Penché sur son petit écran, dans une attitude de soumission, l’individu ne perçoit plus que de manière accessoire son environnement physique et humain.
Internet a porté un coup sensible au vivre ensemble, mais plus encore, l’irruption du smartphone dans les années 2008-2010. Il a individualisé, isolé l’être humain. Dans le monde entier, les adolescents ont été aspirés par la communication numérique dans leur vie familiale, amicale, scolaire, citadine ou rurale. Ils vivent – nous vivons – dans un monde socialement autistique : ensemble mais séparés. Quelque peu inquiet, j’ai écrit ce livre dans un sentiment d’urgence.
Vous dissociez communication et conversation. Pourquoi ?
La communication et la conversation n’ont rien en commun. Smartphone en main, l’individu communique de plus en plus sans corps et presque sans visage, excepté la vignette qui apparaît sur l’écran. Ces échanges donnent-ils un sens à la vie, le goût de vivre ? Ces informations, qui ne prennent pas toujours en compte les ambivalences et la complexité du monde et sont parfois fausses, ouvrent-elles au monde ?
La conversation, elle, est une présence, un face-à-face, un corps-à-corps, les yeux dans les yeux. C’est une extrême attention à l’autre avec des pauses qui incitent à la réflexion, à la prise de parole. La conversation est riche du silence. Elle traduit l’intensité partagée d’un moment heureux ou douloureux, de la beauté d’un paysage qui laisse sans voix, mais n’entame en rien la qualité de la relation à l’autre. Alors que le moindre silence dans une communication signifie une panne !
La conversation est-elle en voie de disparition ?
Nous sommes heureusement nombreux à ne pas avoir perdu le goût de la conversation ! Dans une espèce de discipline, voire de résistance personnelle, nous refusons que le smartphone régisse notre emploi du temps. Nous sommes capables d’être uniquement avec l’autre, en présence, pendant une heure ou deux, sans la moindre interférence d’un smartphone... Pour ne pas mettre fin à la conversation.
La fin de la conversation ? La parole dans une société spectrale
David Le Breton
Éd. Métailié
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