
Le dessinateur Riad Sattouf poursuit son exploration de l’enfance
Avec "Moi, Fadi, le frère volé", Riad Sattouf poursuit la saga familiale à succès de "l’Arabe du futur" en racontant en BD l’histoire de son petit frère, enlevé par son père à l’âge de 6 ans, qu’il ne reverra que vingt plus tard au début de la guerre en Syrie. Propos recueillis par Félix Lavaux
Comment est né ce nouveau volet de l’Arabe du futur consacré à votre frère ?
Ce livre est né en 2011 après mes retrouvailles avec ce frère que je n’avais pas vu depuis vingt ans. J’étais avide de connaître quelle avait été sa vie en Syrie pendant toutes ces années. Tout ce qu’il m’a raconté était tellement précis, imagé, que cela a déclenché mon envie de faire ce livre sur mon frère. Pour cela, je devais d’abord raconter notre histoire familiale avec les six tomes de l’Arabe du futur. Ce livre sur mon frère est le centre du trou noir autour duquel gravite toute notre histoire familiale.
Ce livre, est-ce un moyen de recréer, avec le dessin, ce chaînon manquant dans votre vie et celle de votre frère ?

Oui certainement, même si, lorsque je me lance dans un livre, je n’intellectualise pas autant les choses car je veux que cela reste spontané. J’ai d’abord voulu avoir des réponses aux questions que je me posais : qu’a fait mon frère pendant toutes ces années ? Qu’a-t-il expérimenté dans sa vie ?
Je voulais aussi retrouver le personnage de mon père que j’ai connu seulement au cours de mes quatorze premières années.
Dans ma famille, j’ai toujours eu le sentiment d’être entouré par des personnages très typés. Ce qui m’a simplifié les choses lorsque je me suis lancé dans la création d’une bande-dessinée racontant l’histoire de ma famille avec l’Arabe du futur.
Je suis très touché par tous ces lecteurs qui s’intéressent à cette archéologie familiale et que je rencontre en nombre lors de mes dédicaces.
Votre frère a vécu des choses difficiles en Syrie. L’humour est-il un moyen de mettre un peu de distance par rapport à ces événements douloureux ?
Oui, bien sûr. D’ailleurs les six premiers tomes de l’Arabe du futur racontaient aussi des choses difficiles. L’histoire de mon frère avait quelque chose d’encore plus douloureux car nous avons dû vivre avec cette blessure pendant vingt ans ! Parfois, l’humour permet même d’augmenter encore la portée dramatique de certaines situations. Moi, j’ai besoin d’humour dans mes récits et dans ma vie. J’aurais beaucoup de mal à faire un livre très sérieux, car j’aurais l’impression d’ennuyer les lecteurs. J’ai donc pris le parti de l’humour même si ce que je raconte est parfois assez terrible. À 46 ans, je m’en suis senti capable !
Vous utilisez toute une palette de couleurs dans ce livre. Pourquoi ?
Je voulais que les couleurs aient un sens et jouent un rôle pour influencer la psychologie des lecteurs. Dans la première série de l’Arabe du futur, j’ai utilisé des teintes dominantes pour chaque pays afin de susciter le déracinement et les changements incessants entre la France, la Syrie et la Libye. Dans ce livre, je voulais mettre en scène les changements qui surviennent dans la psychologie de mon frère sans que le lecteur ne s’en aperçoive. On commence donc le récit avec une couleur jaune très lumineuse, la couleur de l’enfance, puis, au fur et à mesure du récit, la couleur change. Comme la vie du héros.
Votre livre est aussi un signe d’espoir car il montre la capacité d’adaptation de votre frère, et des enfants en général, à survivre à des événements traumatiques.
Pour nous qui sommes restés en France, cet enlèvement a été un drame absolu. Mais, finalement mon frère a réussi à s’adapter à une nouvelle langue, une nouvelle culture, un nouveau pays. Les êtres humains ont une capacité d’adaptation exceptionnelle.
"Les Cahiers d’Esther", "Le jeune acteur", "L’Arabe du futur"..., tous vos récits gravitent dans le monde de l’enfance. Pourquoi ?
Parce que j’ai beaucoup de souvenirs de ces années-là : les livres, les films qui m’ont le plus marqué, je les ai vus au cours de mon enfance ou de mon adolescence. Les premières fois et la découverte de la vie sont des moments clés. Montrer le monde à hauteur d’enfant, c’est une manière de le dédramatiser et de le rendre un peu plus acceptable. La façon dont les enfants sont considérés en dit aussi beaucoup sur notre société.
Vous poursuivez le récit de votre histoire familiale en racontant cette fois l’histoire de votre mère, Clémentine.
C’est une autre pièce du "puzzle" que je souhaitais dévoiler en racontant le côté breton de l’histoire familiale. Quatre pages sont publiées chaque mois dans le magazine Notre temps depuis le mois d’octobre. J’ai choisi Notre temps parce que c’était le magazine préféré de mes grands-parents. Ma grand-mère aurait été très fière de retrouver mes histoires dans son magazine. Les planches seront ensuite éditées en livre.
Vos livres sont désormais édités dans votre propre maison d’édition « Les livres du futur ». Est-ce un moyen de maîtriser l’ensemble de la chaîne de fabrication de vos livres ?
J’ai la chance d’avoir eu du succès ces dernières années (la série l’Arabe du futur s’est vendue à plus de 3 millions d’exemplaires, et est traduite dans plus de vingt langues, ndlr). Ce qui m’a donné une grande liberté. J’ai une passion pour le livre que je considère comme un objet "magique". Les livres sont capables de faire vivre à des êtres humains des expériences incroyables juste à travers des signes et des dessins sur une page imprimée ! Je suis aussi un collectionneur de livres.
J’avais donc en tête depuis très longtemps de créer une maison d’édition. Pendant le confinement, je me suis dit que c’était le bon moment. J’ai donc lancé ma première publication avec Le jeune acteur qui raconte la vie de Vincent Lacoste qui a joué dans mon premier film, Les Beaux Gosses. Je souhaite aussi donner leur chance à de jeunes auteurs et autrices de pouvoir être édités. Un peu comme j’aurais pu en bénéficier lorsque j’ai commencé ce métier.
Quels sont vos projets ?
Je prépare un nouveau tome du Jeune acteur qui devrait sortir au mois de juin. Je travaille aussi sur un scénario avec Les inconnus. Et l’année prochaine, je devrais sortir la suite de Moi, Fadi, le frère volé. Je vais essayer de mener tous ces projets de front.
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