Marc Crépon, philosophe
Société
31 juillet 2024, modifié le 24 octobre 2024

La société est-elle de plus en violente ? L'analyse de Marc Crépon, philosophe

Marc Crépon, philosophe, enseignant et directeur de recherche au CNRS, vient de publier un ouvrage où il analyse l’évolution de la violence dans la société d’aujourd’hui. Et plaide pour une nécessaire prévention pour les plus jeunes. Propos recueillis par Félix Lavaux

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Marc Crépon est philosophe. Dans son dernier livre, il explique pourquoi la société semble plus violente qu'avant.

Pourquoi avez-vous consacré votre dernier livre à la question de la violence ?

Nous entendons tellement parler de violence tous les jours dans les médias que nous pourrions croire que la violence se confond avec le réel. Par ailleurs, le terme de violence est utilisé par de nombreux gouvernements et régimes à travers le monde pour disqualifier systématiquement toutes formes d’opposition. Enfin, certains estiment qu’une petite dose de violence est nécessaire dans l’éducation ou pour gouverner. Pour distinguer toutes ces formes de violences, j’ai voulu écrire un livre très pédagogique sur la violence où je ne pars pas de ses causes, mais de ses effets sur le corps et l’esprit des individus.

Comment analyser la violence des derniers mois à l’école ou dans l’espace public ? 

Plusieurs choses me frappent dans les drames survenus ces derniers mois : d’abord, la rapidité du passage à l’acte. Pour une partie de nos concitoyens, il n’est plus possible aujourd’hui de régler les conflits autrement que par la violence. Les médiations, à commencer par celle du langage, ont disparu. Ce qui me frappe aussi, c’est la propension des personnes à se faire justice elle-même, alors que le propre de la vie en société, c’est de faire confiance aux institutions pour rendre la justice. D’autre part, le rapport de la société avec la violence évolue. Des formes de violences, jusqu’ici invisibilisées, ne le sont plus. C’est le cas des violences de l’intime. Après la publication du livre de Camille Kouchner et le rapport de la Ciivise (Commission indépendante sur l’inceste et les violences faites aux enfants), nous avons pris conscience de l’ampleur des agressions sexuelles sur mineurs au sein de notre société. Je pense aussi aux violences conjugales. Nous parlons désormais de « féminicides » et non plus de « crimes passionnels ». Cette expression était une manière d’édulcorer la réalité de cette violence, le plus souvent, masculine. 

Quel est le « triple mur du silence » dont vous parlez dans votre livre ?

Le propre des violences faites aux femmes et aux enfants est d’enfermer leurs victimes dans un mur du silence dans lequel elles s’enferment elles-mêmes par honte et par peur de révéler la vérité. Elles sont aussi enfermées dans ce silence par ceux qui auraient dû dénoncer ces violences mais qui ne l’ont pas fait pour sauver l’image de la famille ou de l’institution. Je pense à l’Église, aux associations sportives, etc. tous ces lieux où il existait des violences sexuelles sur mineurs et où l’on faisait le choix de les taire. C’est ainsi que des systèmes de prédation sexuelle se sont poursuivis pendant des décennies. Le troisième mur du silence, c’est celui de la société elle-même qui pensait que le temps effacerait les traumatismes. Or, nous savons aujourd’hui à travers le récit d’adultes que ce n’est pas le cas. Le seuil de tolérance à la violence d’une société recule quand celle-ci commence à reconnaître les victimes comme telles. On peut parler de consentement meurtrier lorsque la société est dans le déni du soin, du secours et de l’attention qu’appelle la vulnérabilité d’autrui.

Vous consacrez la fin de votre ouvrage à la nécessaire prévention. Pourquoi ?

La violence, il faut en parler avant qu’elle n’arrive et parler aux enfants, dès le plus jeune âge, des violences dont ils peuvent être victimes. Par exemple, en leur expliquant qu’ils ne doivent pas garder le secret lorsqu’ils en subissent. À l’école, il me semble impératif également d’avoir une éducation à la non-violence. Il faut que les enfants apprennent très tôt à régler leurs conflits autrement que par la violence. 
 

L’enfance de Marc Crépon

« J’ai passé une grande partie de mon enfance et de mon adolescence dans une petite ville de province dans la Nièvre, puis dans le Loir-et-Cher. J’ai su très tôt que je voulais faire des Lettres. Je suis arrivé à Paris lorsque j’avais 15 ans. Au lycée, j’ai découvert l’extraordinaire diversité culturelle qui existait à Paris à cette époque. Ça été une expérience fondatrice. Depuis, je suis très attaché à la pluralité, à la diversité, et opposé à toutes formes d’exclusion. Car ce refus de l’autre est souvent à la source de la violence. J’ai d’abord travaillé sur la notion de violence politique ou génocidaire. Puis je me suis tourné vers les violences "ordinaires" dont les personnes me faisaient le récit. »

Bio express

  • 1962 Naissance à Decize dans la Nièvre
  • 1997 Entre au CNRS comme chargé de recherche
  • 2011 Dirige le département de philosophie de l’École normale supérieure
  • 2012 Publie Le Consentement meurtrier aux éditions du Cerf
  • 2024 Publie Sept leçons sur la violence aux éditions Odile Jacob