
Hugues Chardonnet, guide : « En montagne, on retrouve dignité et confiance. »
ENTRETIEN. Guide de haute montagne et diacre, Hugues Chardonnet emmène les plus fragiles vers les sommets, chemin de confiance et de dignité. Parmi eux des jeunes d'Apprentis d'Auteuil. Une expérience de dépassement unique. Propos recueillis par Agnès Perrot.
UNE AVENTURE SOLIDAIRE VERS LES SOMMETS
Hugues Chardonnet, parlez-nous de votre association !

© Lionel Pascale
Pour moi, gravir un sommet est l'une des plus belles expériences de la vie. Après tant de beauté, on ne revient pas chez soi comme avant.
Pourtant, la montagne demeure trop souvent un privilège des plus aisés, tant sur le plan financier que culturel.
En 2012, après de nombreuses années passées en montagne, j'ai ressenti le profond besoin de partager l'aventure des sommets avec ceux qui n'en avaient pas accès, notamment les personnes en situation de précarité.
C'est ainsi qu'est née l'association 82-4000 Solidaires, qui initie à l'alpinisme des personnes défavorisées accompagnées par des structures sociales (jeunes déscolarisés, mères isolées, personnes sans domicile…), pour leur permettre d'expérimenter ensemble le dépassement de soi.
Nous militons pour les droits aux loisirs pour tous. Ce n’est pas parce que quelqu’un manque de moyens qu’il n’a pas aussi le droit de profiter de ces temps forts pour l’aider à se réaliser. C’est de l’ordre de la dignité de la personne.
UN RÊVE D'ENFANT DEVENU VOCATION
Pourquoi être devenu guide de haute montagne ?
C'est un rêve d'enfant... Je suis né à Paris et j’ai eu la chance de découvrir, adolescent, la montagne, grâce à des amis de mes parents qui nous prêtaient leur chalet à Chamonix, été comme hiver. La première fois que j’ai fait une ascension en haute montagne, j’avais 12 ans. Je me souviens d’un immense glacier, de couleurs magnifiques, d’un lever de soleil hors du commun…
C’est là qu’est née ma passion pour l’alpinisme. j'en rêvais la nuit et je me disais que j’allais retenter l’aventure et pourquoi pas, la poursuivre sur la durée.
J'ai ensuite choisi la médecine, un autre rêve né à l'adolescence. Devenu mari et père de deux enfants, je n'ai jamais arrêté de garder les sommets dans un coin de mon cœur : dès que possible, mon épouse et moi repartions en montagne.
L'APPEL DES ALPES
Puis vous avez déménagé ?
Oui, l'occasion que je guettais de descendre travailler du côté des Alpes m'a été donnée quelques années plus tard, en 1991. J'ai répondu à une annonce sur Briançon et nous avons déménagé en famille. Le temps passait, mais le rêve d'enfant demeurait. En 2004, à 45 ans – quand la plupart des candidats en ont 35 –, j'ai franchi le pas et présenté l'examen d'entrée de l'Ecole nationale de ski et d'alpinisme (ENSA) de Chamonix, encouragé par un ami. Reçu, j'ai été diplômé guide de haute montagne cinq ans plus tard (en 2009). Je suis par ailleurs diacre dans les paroisses du Briançonnais.
PRÉPARER CORPS ET ESPRIT
Comment accompagnez-vous les personnes ?

Avant les ascensions, nous rencontrons les participants. Deux week-ends de préparation, physique, technique et mentale, les invitent à découvrir ce milieu inconnu, à l'apprécier et à surmonter leurs premiers blocages. La haute altitude enseigne bien des choses : l'effort, la solidarité, le lâcher-prise.
Pour assurer la sécurité et permettre un apprentissage réel, nous fixons ensemble les règles essentielles liées à la montagne – horaires matinaux, équipement, cordée. Nous restons attentifs à chaque personne et adaptons notre encadrement à leurs besoins.
Quelles sont les règles à respecter ?
La découverte de la très haute altitude confronte chacun à l'effort, à la solidarité de la cordée et à la confiance envers le guide, dans un environnement totalement nouveau. Se laisser guider demande parfois de dépasser sa peur et d'oser faire confiance.
La démarche repose sur la mise en confiance progressive, via le partage de règles simples indispensables à la montagne. Beaucoup finissent par intégrer que ces repères, loin d'être une contrainte, permettent d'aller au bout de l'aventure en toute sécurité.
Ils nous confient souvent au retour que l’expérience vécue restera gravée dans leurs mémoires. Arriver au sommet peut bouleverser toute une vie...
UNE FORCE INTÉRIEURE ET UNE ÉCOLE DE VIE
Que représente la montagne pour vous ?

Pour moi, la montagne est comme une force intérieure, une nouvelle naissance, une occasion de trouver sa vraie place...
Sa beauté me fait rêver et me pousse inlassablement à me mettre en route et à croire en mes rêves.
Par le lien de la cordée, elle est aussi l’occasion d’expérimenter concrètement la confiance.
Un magnifique signe d’espérance et un souffle qui fait grandir, ouvrant souvent un nouveau désir, celui d’y revenir. En ce sens, la montagne est spirituelle. C'est une école de vie extraordinaire !
SIX JEUNES D'APPRENTIS D'AUTEUIL À L'ASSAUT DE L'AIGUILLE DU TOUR
Fin août dernier, six jeunes de la Maison d'enfants Jean-Marie Vianney se sont lancés dans l’ascension de l’Aiguille du Tour avec deux de leurs éducatrices, Hugues Chardonnet et trois guides de l'association 82-4 000 Solidaires.
L’Aiguille du Tour est le sommet du Massif du Mont Blanc le mieux adapté à une première expérience en alpinisme. Son ascension depuis le refuge Albert Ier est un condensé de ce que peut offrir une sortie en haute montagne : nuit en refuge d’altitude, paysages glaciaires, panoramas magnifiques.
Cette excursion est également l’occasion d’acquérir les techniques de base de l’alpinisme, avec l'utilisation des crampons et du piolet. Elle ne nécessite pas d'expérience préalable en alpinisme mais s'adresse néanmoins aux personnes habituées à la marche en montagne.
Préparée en amont les mois précédents, avec deux stages de trois jours à Briançon (raquettes) et Chamonix (initiation à l'escalade et à la via ferrata), l'ascension des jeunes fut périlleuse. Venus de lieux de vie différents, ils ne se connaissaient pas forcément tous et découvraient, pour la plupart, les hauts sommets, mais aussi le vide et la glace...
L'un d'entre eux s'est même arrêté au glacier, paralysé par la peur. N'ayant jamais vu la neige, il redoutait d'être emporté par les séracs. Mais grâce à la patience, au lâcher-prise et au professionnalisme des guides, il a surmonté sa peur et a pu continuer jusqu'au sommet.
Une aventure au final très intense, avec, pour tous, des découvertes inoubliables, de belles rencontres et de vraies prises de conscience.
BIO EXPRESS
1958 : naissance
1979 : mariage
1983-1991 : médecin dans un centre d’hygiène alimentaire et d’alcoologie (91)
1991 : s'installe avec sa famille à Briançon comme médecin du travail
1993-2003 : médecin de secours en montagne des Hautes-Alpes
2003 : ouvre un cabinet de médecine du sport
2004-2009 : formation de guide de haute montagne
2006 : ordonné diacre
2012 : fonde l’association 82-4 000 Solidaires
À LIRE :
Les sommets sont à tous !
Partager la montagne avec les plus pauvres
de Hugues Chardonnet et Laureline Dubuy
Editions Glénat, septembre 2022
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