Les atouts éducatifs de l'internat

En cette fin d’après-midi hivernale, les jeunes internes du collège Vitagliano de Marseille prennent l’air dans le parc. Goûter à la main, ils discutent foot, mangas, séries, activités du soir, se taquinent, se chamaillent. Les devoirs sont faits, les leçons apprises durant l’heure d’étude encadrée.

Leurs éducateurs leur ont proposé d’enchaîner avec une séance au stade voisin pour faire du sport avant le dîner. Ceux qui le souhaitent peuvent rester au foyer, jouer au babyfoot, faire une activité manuelle, puis commencer à préparer leur valise car demain vendredi, tous rentrent chez eux pour le week-end. « Moi, confie Kylian, 14 ans, je suis ici depuis l’année dernière. J’avais du mal à travailler chez moi. Ma maman se prenait la tête avec mes devoirs. Mes parents ont décidé que j’irai en internat. Et c’est vrai, mes notes se sont améliorées. » Kylian est loin d’être un cas isolé. Il y a aussi Evan, qui se dit « un peu en décrochage. Avant, je me battais, je n’allais pas en cours ou j’arrivais en retard. J’ai choisi de venir ici et de me mettre à travailler. Je suis beaucoup plus calme depuis la rentrée. »

Des motivations variées

35 établissements d’Apprentis d’Auteuil - écoles primaires, collèges, lycées professionnels ou agricoles – sont dotés d’un internat éducatif et scolaire (IES). Terme spécifique à la fondation, l’appellation IES ne doit rien au hasard : le E d’éducatif y tient une place primordiale. « Ici, la porte d’entrée de l’IES, c’est la scolarité, souligne Éric Roman, responsable pédagogique de l’IES Vitagliano. Nous accueillons le plus souvent des jeunes en difficulté scolaire, voire en décrochage. Mais souvent, nous trouvons d’autres problématiques : un besoin de repères, de stabilité affective. »
Si le décrochage est une des raisons majeures du choix de l’internat au collège, les familles privilégient cette option pour d’autres raisons parfois, comme l’explique Virginie Pipaud, responsable de l’IES du collège Saint-Jean, à Saint-Sulpice, dans le Tarn : « Des familles font également ce choix, car elles habitent loin de l’établissement scolaire, ou pour préparer la transition avec le lycée et rendre leur enfant plus autonome. »

Apaiser les tensions familiales

Parfois, les difficultés familiales amènent à cette solution qui peut apaiser les tensions ou protéger l’enfant des conflits : « Ces dernières années nous accueillons de plus en plus de jeunes avec des fragilités, poursuit la responsable. Certains adolescents ont besoin de s’éloigner de leur famille pour sortir d’une relation conflictuelle. Des jeunes issus de familles recomposées n’y trouvent pas leur place et souhaitent l’internat. L’IES peut être un choix dans l’attente de la décision du juge en cas de divorce conflictuel. Le projet de l’internat, c’est « prendre soin ». Cela veut dire retrouver un bien-être et créer une relation positive avec les autres. Ce sont souvent des jeunes cabossés par la vie qui ont besoin de reprendre confiance en eux. » Le lien avec la famille est central, l’accompagnement de l’enfant étant basé sur la coéducation avec les parents, atout pour la réussite du jeune.

Un cadre bienveillant où grandir à son rythme

L’internat, en 2023, n’a rien à voir avec les images d’Épinal des siècles passés : les grands dortoirs froids, la discipline rigide, la tristesse et l’ennui. Temps d’études encadré, propositions d’activités ludiques, sportives ou citoyennes variées, redécouverte des jeux de société... Les internats offrent à chacun un cadre pour s’épanouir à son rythme, nouer des amitiés fortes, expérimenter le collectif dans sa version la plus positive. « C’est super de retrouver les personnes que tu apprécies une fois la journée terminée, s’enthousiasme Lola, 17 ans, ancienne interne, actuellement en bac pro marchandisage visuel au lycée professionnel Saint-Jean de Sannois (95). On fait tout ensemble. Vivre en collectif rend plus sociable et ouvert aux autres. J’y ai appris le sens du bien commun et l’esprit de service. »

Donner du cadre

Dans cet environnement bienveillant, les éducateurs sont là pour entourer, guider, animer, poser des limites, donner un cadre et du sens au cadre... « Nous proposons une vie en internat moderne et ouverte sur le monde, qui permet aux lycéens de trouver un cadre propice au travail, résume Samia Rahmane, coordinatrice de l’IES du lycée professionnel Saint-Jean de Sannois. C’est un véritable apprentissage de la vie, avec le partage de règles, de repères d’espace et de temps. Il est apprécié aussi pour son étude surveillée, avec vérification du travail effectué, et si besoin, accompagnement renforcé dans certaines matières. Résultat, de très bons taux de réussite aux examens ! »

Un accompagnement adapté à chaque âge

Accueillir des petits scolarisés en école primaire, des ados en collège ou bien des plus grands en lycée professionnel ou agricole suppose pour les éducateurs une grande capacité d’écoute et d’adaptation. Pour les plus petits, en maternelle ou en primaire, des horaires réguliers, des rituels du lever jusqu’au coucher, avec la petite histoire du soir, des visages connus à heures fixes, sont essentiels pour que l’enfant soit rassuré et prenne confiance.

Emmanuelle Barsot, directrice de l’école primaire Saint-Etienne, à Saint-Estèphe, près de Bordeaux, remarque : « On ne remplacera jamais une maison, mais on essaie de faire de l’IES un lieu rassurant, sécurisant, où l’on est bien et qui donne envie de travailler à l’école. Un lieu où l’on s’autorise à rêver, à être heureux, à avoir une vie et sa place d’enfant. » La plupart des enfants accueillis dans cet établissement sont en grande difficulté scolaire, tous originaires de Gironde.

Un accompagnement parental

Autre point commun, la grande précarité d’un bon nombre de parents qui vivent dans des logements exigus. Plus de 50 %, dans une famille monoparentale. « Beaucoup de mamans solos travaillent en horaires décalés. Grâce à l’internat, elles sont soulagées de la logistique compliquée à mettre en place en semaine et récupèrent les enfants le week-end, complète la directrice. Certains d’entre eux vivent dans des foyers en crise, l’enfant devient un enjeu dans la séparation. Certains parents ont besoin d’un accompagnement pour investir leur rôle d’éducateurs. Nous menons alors un travail autour du rôle de chacun. »

L’internat, souhaité par le jeune, appuyé par sa famille, peut être un passage fondateur dans la construction de sa personnalité. Un temps où prendre son envol. Habitué à ces adolescents parfois rebelles et bruyants, Eric Roman s’exclame : « Ils bousculent le cadre, encore heureux ! Cela veut dire que ces ados sont en bonne santé. Aux adultes d’être cohérents, d’adopter la bonne posture. Il nous faut également montrer la plus-value à devenir un adulte, à poursuivre le chemin qui mène vers soi, malgré les difficultés. Les cailloux qu’on a dans les chaussures, on en fait des murs, ou bien des ponts pour aller plus loin... »