Les Sentinelles au collège Saint-Paul - Illustration du harcèlement scolaire
Education et scolarité

Au collège Saint-Paul, jeunes et adultes luttent ensemble contre le harcèlement scolaire

REPORTAGE. Au collège Saint-Paul d'Apprentis d'Auteuil, situé à dix minutes d’Albertville, jeunes et adultes volontaires se forment chaque année ensemble, à la rentrée, au programme de lutte contre le harcèlement Sentinelles et référents. Une méthode qui change le climat scolaire. 

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Au collège Saint-Paul, en Savoie, un éducateur forme chaque année élèves et enseignants à se faire respecter et à faire attention aux autres, que ce soit dans la cour, les toilettes, à la cantine ou sur le chemin de l'école. Et éviter ainsi le harcèlement scolaire.

Dans la salle de théâtre du collège Saint-Paul, ce matin de fin septembre, c’est le deuxième jour de la formation Sentinelles et référents. Un programme national financé par l'Agence régionale de Santé, qui permet à des volontaires formés de repérer des situations de harcèlement. Et d’agir en conséquence.

Bâtie sur quatre jours (deux modules de deux jours), le temps que des liens se créent, la formation repose sur le principe d’un apprentissage commun jeunes-adultes. Avec au programme, l'explication du phénomène du "bouc-émissaire", des violences et des discriminations, une aide au repérage des situations à risque et le mode d'emploi pour intervenir. Les apports théoriques alternent avec des échanges, du théâtre-forum et d'autres exercices. 

Les Sentinelles au collège Saint-Paul - session de formation
Les Sentinelles et référents de la promo 2023-24 en plein exercice, autour de leurs formateurs, Mickaël Gay, éducateur responsable du dispositif et Marylène Brusson, professeur de français (c) Lucile Barbery/Apprentis d'Auteuil

Quand les mots frappent 

Au menu à 8h, ce matin, le « mur des insultes ». Un temps de cohésion qui consiste, pour la quinzaine de jeunes et d’adultes assis en cercle autour de leur instructeur, à prononcer chacun, devant le groupe, trois insultes dont ils ont été victimes et qui les ont marqués.

« Connasse », « Gros cul », Sale monstre », « Tu sers à rien » « grosse vache », « Baise tes morts », etc.  Une heure durant, les injures fusent. Mickaël Gay, éducateur en charge de la formation, les note sur un papier collé au mur en demandant le silence. Une fois toutes consignées, il les lit à haute voix, avant que chacun, adultes compris, n'explique pourquoi il les a choisies. Une jeune fille demande à sortir, une autre se met à pleurer. 

L'émotion est palpable. Tous ont saisi, de l'intérieur, la portée de la violence verbale. 

Les Sentinelles au collège Saint-Paul - session de formation
Exercices pratiques d'écoute et de médiation dans la cour du collège (c) Lucile Barbery/Apprentis d'Auteuil

Ambassadeurs de confiance

Mis en place depuis 2020 au sein du collège, après le constat fait par l’équipe de direction d'une nette augmentation du nombre d’élèves ayant vécu des événements difficiles avant leur arrivée à Saint-Paul, le dispositif a pour but d’empêcher que certains ne deviennent des boucs émissaires, ces jeunes mis à l’écart bien avant de devenir harceleurs ou harcelés.

Comme Caroline1, qui s'exprimait avec un accent à son arrivée en France ou Richard1, mal habillé aux yeux de ses pairs, tous les deux agressés verbalement, mais aussi physiquement. En grande souffrance plusieurs mois durant dans leur établissement d'origine malgré le soutien de leurs familles, tous les deux n'ont eu qu'une solution pour s'en sortir : changer de collège.

Sélectionnés pour leurs capacités à résister à la pression du groupe, les jeunes formés, appelés "Sentinelles", reconnaissables à leur bracelet vert fluo autour du poignet, repèrent les victimes (boucs émissaires) dans la cour, le bus, la cantine ou les couloirs, prêts à les écouter. Ils invitent également les témoins « passifs », ces élèves qui ne participent pas directement aux violences, mais ne s’y opposent pas ou font semblant de les ignorer par peur de devenir victimes à leur tour, à prendre conscience de leur part de responsabilité dans les conflits. 

Ils signalent enfin les cas de harcèlement, discrimination ou autres intimidations dont ils sont les témoins (ou qu'on leur rapporte) aux adultes. L'ensemble des élèves étant informé, ils ne craignent pas d'être pris pour des "balances". Et n’interviennent pas auprès des agresseurs, un rôle dévolu aux adultes, appelés "référents". « Souvent sollicités par leurs pairs en raison de leur proximité avec eux, ils sont moteurs dans le dispositif et prennent leur rôle très au sérieux », souligne Mickaël Gay. 

Les Sentinelles au collège Saint-Paul - Léonie et Mickaël Gay, responsable du dispositif
Temps de partage entre Léonie, sentinelle, et Mickaël Gay, responsable du dispositif (c) Lucile Barbery/Apprentis d'Auteuil

Avoir du tact

Célia, 11 ans, raconte : « Je suis nouvelle, tout juste arrivée en 6e. Le harcèlement, je connais. J'en ai subi en CM2 et c'était horrible. Mickaël m'a proposé de suivre le programme à mon arrivée et j'ai tout de suite accepté. Devenir sentinelle, c'est une manière positive de prendre ma revanche en aidant les autres. »

Formé depuis deux ans, Antoine, bientôt 13 ans, en classe de 4e, renchérit : « Sentinelle. c’est une posture qui nécessite d'avoir du tact. On doit à la fois faire attention aux élèves qui viennent nous trouver pour un rien en nous disant qu'on les harcèle et aux vrais harceleurs, qui essayent de se faire passer pour des gens sympas. J'ai eu un cas pas facile à traiter, une fille qui se faisait harceler, mais en même temps, qui harcelait les autres, jusqu'à pousser une élève du haut des escaliers. Elle avait du mal à s'intégrer. Avec les autres sentinelles, on est beaucoup allés la voir, les référents aussi, ça a pris du temps. Mais elle a fini par comprendre et  tout arrêter. »

Les Sentinelles au collège Saint-Paul - écoute d'une jeune fille. A droite Mickaël Gay, responsable du dispositif
Permanence d'écoute : les Sentinelles sont présentes, mais toujours également, un adulte référent. (c) Lucile Barbery/Apprentis d'Auteuil

Une responsabilité collective

Pause déjeuner, propice à la relecture. « Difficile de mesurer le changement de manière scientifique, mais le climat scolaire global s'améliore, toute l'équipe éducative l'affirme de manière unanime, lance Mickaël Gay. Nous suivons les jeunes formés de très près, avec des réunions régulières. Ce programme est passionnant parce qu’il permet de mieux comprendre en quoi le phénomène que nous combattons est la résultante d’une responsabilité collective dont les jeunes sont les premières victimes : celle des défaillances que nous générons en tant qu’adultes... »

« Ce que j'ai appris en me formant m’a permis de me rendre plus attentive à mes élèves », renchérit Marylène Brusson, professeur de français, qui coanime la formation. William Ghibaudo, principal du collège, abonde : « C'est un dispositif puissant. Des liens forts se créent entre les jeunes ou entre jeunes et adultes et je constate que la plupart des sentinelles formées arrivent à mieux faire face aux contraintes de leurs vies, en développant leurs compétences psychosociales2.  »


Depuis 2020, 40 jeunes et 17 adultes ont été formés. Le collège compte cette année une vingtaine d’élèves Sentinelles. Une réussite, mais aussi une nécessité pour faire perdurer le nouveau climat installé et combattre le phénomène du harcèlement en milieu scolaire.

1. Les prénoms ont été changés.
2. Ensemble de compétences sociales, émotionnelles et cognitives : conscience et maîtrise de soi, capacité à identifier ses émotions, à prendre des décisions, à gérer son stress, capacité à communiquer, à nouer des relations, à coopérer, s'entraider, et à résoudre des conflits, etc.