
Au Havre des familles, la force du partage
REPORTAGE. Comme dans toutes les maisons des familles d'Apprentis d'Auteuil, le Havre des familles s’appuie sur les échanges et le partage pour accompagner les parents dans leurs responsabilités éducatives. Mais aussi, pour leur redonner le pouvoir d’agir sur leur vie. Immersion un mardi d'automne. Par Agnès Perrot.
Dans la cuisine, la machine à café tourne à plein régime. Il est 9h, ce mardi d’automne ensoleillé au Havre des familles, une Maison des familles portée depuis 2017 par Apprentis d’Auteuil et le Secours catholique dans le quartier Danton, un secteur du Havre en pleine réhabilitation. Aurélie Lefrançois, coresponsable des lieux avec Justine Meslet, éducatrice spécialisée, absente ce jour-là, est arrivée un peu en avance.
Un lieu ouvert à tous les parents
Comme tous les matins de la semaine, elle se prépare à accueillir parents et bénévoles pour la journée, dans un cadre chaleureux. Aménagée dans d'anciens locaux de l'église Sainte-Anne toute proche, la maison est dotée d'une cour partagée et d'un coin vert pour jardiner.
Dédié au soutien à la parentalité et ouvert durant de larges plages horaires plusieurs jours de la semaine, le Havre des familles propose un accueil gratuit et sans rendez-vous aux familles de l’agglomération, le plus souvent en situation d'isolement ou de vulnérabilité socio-économique. Sur le principe de la libre fréquentation, elles peuvent venir seules ou avec leurs enfants.
Et échanger sur leurs préoccupations de parents : limites à poser, épuisement parental, conflits au sujet des écrans, difficultés scolaires, etc. Une place importante est laissée aux temps de discussions formelles ou informelles. L'équipe est composée de salariés, de bénévoles, de stagiaires et de volontaires en service civique.

(c) Besnard/Apprentis d'Auteuil
Le collectif stimule

(c) Besnard/Apprentis d'Auteuil
« Nous fonctionnons grâce à des projets menés ensemble », souligne d’emblée Aurélie Lefrançois, tout en proposant un café aux premiers arrivants. Les embrassades fusent.
« Toutes nos initiatives, même les plus simples, sont coconstruites en équipe, explique-t-elle. Le collectif stimule et permet d’oser. L’objectif, c’est de rendre peu à peu chacun responsable, avec le pouvoir d’agir sur sa propre vie. Penser et agir ensemble, la dynamique à l’œuvre à Apprentis d’Auteuil, est un vrai levier de changement. »
Rencontre et détente
10h 30, la réunion prévue ce matin-là bat son plein. Dans la pièce principale, une dizaine de parents - essentiellement des mamans - échangent, assis en rond autour d'une table. Autour d’eux, quelques enfants jouent. Objet de la discussion ? La préparation d'une animation, prévue deux semaines plus tard à l’espace culturel du quartier. Aurélie note les suggestions dans son cahier, distribue la parole et s'interrompt régulièrement pour répondre au téléphone.
En face d'elle, Gwendoline, une jeune femme enceinte familière des lieux, venue avec son compagnon et leur petit garçon, raconte : « Ici, c'est un lieu de rencontre et de détente. On peut souffler, pleurer, demander des conseils, se donner du courage et des idées. »
Comme les repas partagés, qui viennent de démarrer. Une fois par semaine, ces temps forts permettent aux parents qui en ont la possibilité de se retrouver à l'heure du déjeuner. Condition : avoir cuisiné avec des produits simples, sains et de saison et apporter leurs créations qui seront testées et partagées. « C'est motivant car on apprend à faire des menus équilibrés pour pas cher, poursuit Gwendoline, tout en discutant de ce qui nous préoccupe. En ce moment, ça tourne pas mal autour des difficultés à boucler nos fins de mois... »
Attention à l'autre
Djaouida, une autre habituée, renchérit : « J’ai connu les lieux grâce à ma belle-sœur. Je viens depuis l'ouverture. On parle librement. Personne ne te juge. Ce lieu est pour moi un énorme soutien sur la manière de m'y prendre avec mes enfants. On confronte nos points de vue, on écoute comment les autres parents s'y prennent. C'est passionnant ! »
Repas partagés, ateliers, discussions à thème, visites, jeux de société, sport, etc. Les propositions, qui ne manquent pas, sont décidées en collectif, avec les responsables et les bénévoles.
Autres spécificités du lieu, le partage des tâches et l'attention à l'autre. « Comme dans une famille, souligne Aurélie. Cet esprit communautaire permet de prendre des initiatives. L'impact est réel et très concret. »

Place au sport

13h 20, gymnase Dauphine, à dix minutes de là. Le déjeuner pris chacun de son côté (le local ferme, sauf le jour du repas partagé, à l'heure du déjeuner), un groupe de mères discute en attendant l'ouverture des portes du lieu. Deux fois par mois, le mardi, ces mamans volontaires suivent un temps de remise en forme avec un coach sportif. Un souhait exprimé par plusieurs d'entre elles lors du dernier conseil de Maison.
« L’activité fonctionne depuis début septembre, explique Marie-Pierre Fayol, bénévole. Très peu de parents s’octroient le droit de prendre du temps pour eux, leur bien-être et leur santé. En matière de sport, on avait déjà expérimenté des tournois de foot parents-enfants et des marches dans le quartier. Avec la mise en place de cet atelier, on va encore plus loin ! »

En confiance
Welcome, une jeune maman fidèle à l'atelier, confie : « Je viens très régulièrement avec ma fille de 18 mois. Cette acticité me fait un bien fou et je sens déjà des effets. Le coach nous met vraiment à l’aise. » Même écho chez Jamie, nouvelle venue du jour : « Je n’aurais jamais osé reprendre une activité physique seule, en plus dans un lieu que je ne connaissais pas. Je suis ravie d’être là ! »
La porte du gymnase s'ouvre. Le coach accueille les mères l'une après l'autre, les entraînements se succèdent, essentiellement autour de jeux de ballon. Installée sur un banc, la bénévole poursuit. « Une part importante des familles qui viennent nous trouver sont en situation de précarité sociale, économique, mais aussi relationnelle. Une violence qui peut avoir des conséquences sur leur rôle de parents. Préoccupées par des problèmes administratifs ou financiers parfois lourds à gérer, ces mamans ont du mal à se rendre disponibles pour partager des temps de jeux - et d'échanges - avec leurs enfants. »
Prendre sa vie en main

15h 30, retour au local. Les parents disponibles se retrouvent avant l'heure de la sortie d'école. D'autres arrivent seulement. Histoire de prendre un thé.
Parmi eux, Kadiatou, mère de trois adolescents. Elle raconte : « J’ai déménagé de la région parisienne avec ma famille il y a un an et j’habite le quartier. Je ne connaissais personne. Ici, on discute de tout. On coud, on cuisine, on se fait des copines. Bref, on avance et on arrête de se plaindre. Je ne trouve pas les mots pour dire combien la Maison des Familles me soutient au quotidien. »
Aurélie, la responsable des lieux, est très sollicitée : « En plus des ateliers collectif, explique-t-elle, nous proposons, sur rendez-vous, un accompagnement personnalisé aux familles qui le souhaitent, autour de leurs dossiers administratifs ou leurs démarches d'insertion. »
17h30. Les derniers parents partis, Aurélie s’apprête à fermer les lieux. La journée a été, comme souvent, très riche en événements. « De nombreuses femmes se transforment en venant ici, confie-t-elle en tournant la clé dans la serrure. Elles m’éblouissent par leur courage. C’est un honneur pour moi d’avancer avec elles. »
En 2022, 160 familles ont été accueillies au Havre des familles. Le dispositif est soutenu par le département et la ville et reconnu comme un "lieu ressource" par la Caisse des allocations familiales (CAF), qui participe également à son fonctionnement.
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