Plantation de cacaoyers à L'Espérance, en Martinique - Elsa Cypria, encadrante technique
Vie de la fondation

La Martinique à l’heure de l’écologie

Engagé depuis une dizaine d’années dans les énergies renouvelables, le site de l’Espérance Patronage Saint-Louis situé à Fort-de France, en Martinique, poursuit sa mue vers l’écologie intégrale et multiplie les projets pour 2024.

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Le site de l'Espérance en Martinique développe depuis une dizaine d'années de nombreux projets autour de l'écologie.

En arrivant sur le site de l’Espérance Patronage Saint-Louis, l’image est frappante : école, collège, lycée, Maison d’enfants, quasiment tous les toits, même ceux des bâtiments administratifs, sont couverts de panneaux photovoltaïques. Installés depuis une dizaine d’années, les 4000 m² de panneaux solaires permettent de produire de l’électricité tout au long de l’année1. Sur ce site boisé de neuf hectares, situé sur les hauteurs de Fort-de-France, l’écologie ne date pas d’hier. Dernier projet en date : la plantation d’un millier de cacaoyers sur trois hectares. À la manœuvre, les jeunes adultes de l’Atelier chantier d’insertion (ACI) Les jardins de l’Espérance, qui ont défriché, planté (avec les élèves de l’école, du collège et du lycée) les jeunes pousses, et s’occupent désormais de l’entretien des arbres. L’objectif ? Produire, d’ici quelques années, de savoureuses tablettes de chocolat estampillées "Chocolat de l’Espérance".

Bâtiments à L'Espérance, en Martinique - des panneaux photovoltaïques sur tous les toits
Le site de L'Espérance, en Martinique, avec les panneaux photovoltaïques sur les toits. (c) Romain Cruse/Apprentis d'Auteuil

Des perspectives d’insertion et d’emploi

Outre la production de chocolat, l’entretien des plantes et des espaces verts du site a aussi des vertus pédagogiques et sociales pour la vingtaine de jeunes adultes en insertion. "Ce chantier me permet de compléter mes connaissances des plantes aromatiques et médicinales, explique Karelle, ex-auxiliaire de puériculture en reconversion. Je voudrais devenir maraîchère ou travailler dans une pépinière." "L’entretien des jardins n’est pas une finalité en soi, confirme Elsa Cyprien, encadrante technique de l’ACI. C’est un moyen pour ces jeunes adultes de retrouver les attitudes professionnelles (assiduité, ponctualité, confiance en soi) et de se remettre dans une perspective d’insertion et d’emploi."

Avant de pouvoir croquer dans des tablettes de chocolat, l’Espérance va se lancer dans la production de produits bio. Pour développer la production de fruits et légumes en cours de labellisation, quatre serres viennent d’être construites sur le site. "L’idée est de produire des fruits et légumes bio (salades, concombres, courgettes, pastèques...) qui alimenteront en partie les cuisines du site", explique Olivier Duplan, délégué général Apprentis d’Auteuil Antilles Guyane. Si la production est suffisante, l’établissement envisage également d’en revendre au magasin Carrefour2 situé à proximité.  

L’écologie à l’école

Quid de l’écologie du côté des établissements scolaires ? À l’école primaire, un jardin créole3 devrait voir le jour en 2024. "L’idée est de recréer sur le site des jardins traditionnels antillais avec des herbes aromatiques, des légumes pays (patates douces, ignames) et des plantes médicinales, ajoute Olivier Duplan. Et de faire de ce jardin ancestral, très ancré dans la culture martiniquaise, un véritable outil pédagogique géré par les élèves et accompagné par les jeunes adultes de l’ACI."

De leur côté, les élèves du collège travaillent sur le tri et la réduction des déchets. « Depuis un an, nous faisons le tri à la cantine. Nous mettons les restes alimentaires d’un côté et les matières recyclables et non recyclables de l’autre, explique Elisa, 13 ans, en 4e. Les restes alimentaires sont ensuite transformés en compost pour le jardin. » "Le tri des déchets est une préoccupation encore récente en Martinique, souligne Elsa Alger, directrice du collège et du lycée. Pour sensibiliser les élèves à la nécessaire réduction des déchets dans notre environnement, nous faisons intervenir des associations (Zéro déchet, Entreprises et environnement) en classe. Nous participons aussi à l’opération "Pays propre" trois fois par an au cours de laquelle nous ramassons les déchets dans nos forêts, plages et rivières."

Germain, jeune adulte salarié de l'ACI prépare le compost.
Germain, jeune adulte salarié de l'ACI prépare le compost. (c) Romain Cruse/Apprentis d'Auteuil

Une réflexion globale

Autre projet autour de l’écologie, l’installation de bacs de récupération des eaux pluviales qui serviront en 2024 à arroser les plantes et à alimenter les bâtiments en eau non potable notamment pour les toilettes. "À l’Espérance, nous avons la chance de bénéficier d’un joyau, avec une forêt et une rivière au milieu de la ville, précise Jean-Michel Lordinot, encadrant technique. Nous avons entamé une réflexion globale sur la gestion écologique des ressources sur le site de l’Espérance. La plantation de cacaoyers, la construction de serres, la création d’un jardin créole et d’un parcours santé, l’installation de récupérateurs d’eau de pluie..."

Dans son projet de transformation vers l’écologie intégrale, l’Espérance n’en n’oublie pas pour autant l’humain4. En effet, l’écologie intégrale, c’est aussi prendre soin de l’autre et de la qualité des relations. En voulant mieux respecter le vivant et la nature, les personnes et les relations humaines sont parfois oubliées. Ce sujet est travaillé via la prévention du harcèlement scolaire. En pastorale, ce thème est décliné autour de la question : "Comment mieux s’aimer pour aimer l’autre ?". Les temps de fête et de célébrations ne sont, eux aussi, pas oubliés.

  1. 564 000 KW à l’année.  
  2. La Fondation Carrefour est un des mécènes du projet.
  3. Projet soutenu par la Fondation Jullion pour l’enfance, dite Papylou et Mamita, fondation abritée par Apprentis d’Auteuil
  4. Cf Encyclique du pape François Laudato Si’

 

Le site de l’Espérance Patronage Saint-Louis, c’est :

  • Une école élémentaire
  • Un collège
  • Un lycée professionnel
  • Un internat
  • Une maison d’enfants à caractère social
  • Un pôle d’insertion par l’activité économique : Les Jardins de l’Espérance et Recyk Bois
  • Un pôle insertion 16/30 ans : Boost, Propulse prépa apprentissage, Delanmen, Impact Jeunes

Ecologie et travail social

Comment faire entrer l’écologie dans le champ du travail social et dans les enjeux éducatifs, notamment au sein de la protection de l’enfance ? Dans un livre enquête1 éclairant, Dominique Grandgeorge, formateur et consultant, donne des pistes de travail. Propos recueillis par Laure Naimski

Qu’entendez-vous par l’idée d’« écologiser » le travail social ?

Il s’agit de s’engager, ici et maintenant, dans la réduction de l’empreinte hydrique, énergétique et carbone, en pensant une démarche globale. À l’heure de l’urgence climatique et de l’effondrement de la biodiversité, il est logique et naturel de travailler sur les enjeux écologiques, notamment dans le secteur du travail social.

Qu’en est-il de l’engagement de ce secteur sur le sujet ?

En 2018, lorsque j’ai débuté mes recherches pour mon livre, les thématiques de la transition écologique et du développement durable n’étaient pas abordées dans les établissements sociaux, sauf à de rares exceptions. Aujourd’hui, bien que le retard soit vertigineux, elles sont prises en considération, notamment dans les nouveaux référentiels de formation2.

Quels sont, selon vous, les facteurs de réussite pour écologiser le travail social ?

J’identifie cinq leviers. D’abord, l’empreinte d’une direction ou d’une personnalité qui possède une force de mobilisation au sein des équipes. C’est ce que j’appelle la puissance d’agir. Deuxième levier : agir ici et maintenant. Troisième levier : être dans une économie circulaire. Cela consiste à réduire son empreinte carbone, à dépenser moins. Par exemple, une conseillère en économie sociale et familiale encourage les familles bénéficiaires à une gestion budgétaire sans gaspillage. Quatrième levier : développer la coopération et l’entraide. Cinquième levier : être en rupture avec l’idée que l’homme domine le vivant et que les animaux et les ressources sont à son service.

Comment sensibiliser les jeunes à ces enjeux écologiques, notamment ceux qui relèvent du champ de la protection de l’enfance ?

Il faudrait un retour à l’observation et à l’empirisme dans la logique des pédagogies comme Montessori, Freinet, Steiner, les écoles en forêt, les écoles du dehors, etc. Il ne faut surtout pas faire entrer les jeunes dans un moule, mais, au contraire, laisser libre cours à leur inspiration et à leur créativité, les laisser expérimenter et se confronter au vivant. Il y a de nombreux leviers à activer (cuisine, maraîchage, identification naturaliste, réparation solidaire, etc.), en s'appuyant sur les méthodes de la pédagogie écologique.

1. Dominique Grandgeorge, L’écologisation du travail social, IES éditions, septembre 2022

2. présentés dans le livre blanc du travail social récemment remis à la Première Ministre Élisabeth Borne