Vie de la fondation

Eduquer aux médias, une nécessité à l'heure des fake news

Cette semaine, quelque 3,8 millions d’élèves participent à la Semaine de la presse à l’école. Mais à l’heure des fake news et des réseaux sociaux qu’en est-il de l’éducation aux médias et à l’information à l’école ? A lire notre enquête.

Dans un sondage (1) réalisé par l'IFOP au mois de décembre dernier, 18% des 18-24 ans interrogés estimaient qu'« il est possible que la Terre soit plate et non pas ronde, comme on nous le dit depuis l'école ». Une opinion pour le moins étonnante, six fois plus partagée par les jeunes que par les seniors (3% chez les plus de 65 ans). Un résultat révélateur d'une rupture générationnelle. Car «comparativement à leurs aînés, les jeunes sont nettement plus perméables aux théories du complot», analyse Rudy Reichstadt fondateur du site Conspiracy Watch. Cette adhésion aux théories du complot est apparue au grand jour après les attentats de janvier 2015. Dans les heures qui ont suivi l'attaque contre Charlie hebdo, de nombreuses théories conspirationnistes (présence de la carte d'identité d'un des terroristes dans un des véhicules utilisés, ou couleur des rétroviseurs qui ne correspondait pas à la marque de la voiture) sont apparues sur les réseaux sociaux pour remettre en cause les informations officielles ainsi que celle des médias. Une réaction inédite dans son ampleur, notamment chez les jeunes, qui avaient poussé à l'époque le gouvernement à élaborer une campagne de prévention intitulée "On te manipule" et à renforcer l'éducation aux médias et aux réseaux sociaux à l'école.

L'éducation aux médias à l'école

L'affiche de l'édition 2018 de la Semaine de la presse à l'école
L'affiche de l'édition 2018 de la Semaine de la presse à l'école

Depuis 2013, l’éducation aux médias figure pourtant en toutes lettres dans la loi de refondation de l’école. En 2016, cet apprentissage est entré au programme du collège. Et au mois de janvier dernier, l’éducation aux médias a fait l’objet d’orientations du Conseil supérieur des programmes pour l’école primaire. Les élèves de CM1, CM2 et 6e doivent ainsi apprendre « à hiérarchiser les informations, à les classer, à distinguer une information d’une opinion, d’une rumeur ou d’un propos relevant de la propagande. » Pourtant, l’éducation aux médias n’a pas attendu les années 2000 pour exister à l’école.
Depuis 1989, c’est le CLEMI (Centre pour l’éducation aux médias et à l’information) qui est spécifiquement chargé de cette tâche auprès de tous les élèves, de la maternelle aux classes préparatoires. Le CLEMI organise notamment la Semaine de la presse et des médias à l’école à laquelle participent du 19 au 24 mars 17 500 établissements et 3,8 millions d’élèves. Au cours de cette semaine, élèves et enseignants construisent des kiosques à journaux, créent leurs journaux scolaires ou montent leur web radio. Pour répondre à ce phénomène autour du complotisme et des fake news, l’édition de cette année a pour thème « D’où vient l’info ? » et propose aux enseignants des ressources pédagogiques pour « réagir face au complotisme en classe » ou pour apprendre à « vérifier une information » avec des collégiens.

Les jeunes s'informent différemment

En 2017, les 15-24 ans ont passé près de la moitié de leur temps sur le web sur les réseaux sociaux. Photo : Fotolia
En 2017, les 15-24 ans ont passé près de la moitié de leur temps sur le web sur les réseaux sociaux. Photo : Fotolia

« Les enseignants constatent depuis plusieurs années que les pratiques des jeunes en matière d’information ont changé, note Choukri Kouas du CLEMI. Contrairement à ce que l’on entend dire souvent, les jeunes s’informent mais ils le font différemment avec internet et les réseaux sociaux. » En 2017, les 15-24 ans ont ainsi consacré près de la moitié de leur temps sur le web aux plateformes sociales, YouTube arrivant en tête devant Snapchat et Facebook, indique la dernière enquête annuelle de Médiamétrie (2).
« Les jeunes vont moins vers des médias traditionnels ou même vers ceux qui leur sont destinés, analyse Jean-Marie Charon, sociologue spécialiste des médias, mais plutôt vers des plateformes via les réseaux sociaux et You Tube. Or, sur ces plateformes, ils rencontrent des personnes (groupes de pression, partis politiques, entreprises…) qui fonctionnent sur d’autres logiques que les médias et qui utilisent ces réseaux pour faire circuler des fake news. » Pour éveiller l’esprit critique des élèves, certains enseignants ont été précurseurs. Parmi eux, Sophie Mazet, professeure d’anglais dans un lycée de Seine-Saint-Denis, a créé depuis 2011 un « cours d’autodéfense intellectuelle » ouvert à tous les élèves de son établissement (3). Dans l’académie de Versailles, Lionel Vighier, professeur de français, a étudié en classe les ressorts des thèses conspirationnistes et a demandé à ses élèves de 3ème d’en inventer d’autres et de les mettre en images dans des vidéos. Une expérience certainement formatrice.

Lutter contre la radicalisation

L’école est aussi en première ligne pour lutter contre les phénomènes de radicalisation. Parmi les 60 mesures annoncées le 23 février dernier par le Premier ministre dans le nouveau plan national de prévention de la radicalisation, plusieurs sont consacrées à l’école. Parmi elles, la mesure n°9 prévoit explicitement de « Prémunir les élèves face au risque de radicalisation dans l’espace numérique et aux théories du complot en systématisant l’éducation aux médias et à l’information (EMI), tout en développant leur pensée critique et la culture du débat. » Le plan prévoit aussi (voir ci-dessous l’interview de Jean-Marc Huart, directeur général de l’enseignement scolaire au ministère l’Education nationale) de renforcer la formation et les ressources des enseignants. (1) Sondage réalisé du 19 au 20 décembre 2017 auprès d’un échantillon de 1000 personnes représentatif de la population française. (2) « L’Année Internet 2017 » de Médiamétrie publiée le 22 février 2018. (3) Manuel d’auto-défense intellectuelle. Ed. Robert Laffont.

Deux questions à Jean-Marc Huart, directeur général de l'enseignement scolaire au ministère de l'Education nationale

Le plan de prévention contre la radicalisation, annoncé le 23 février par le Premier ministre, consacre toute une partie à l'école. Pourquoi ? L'école a un rôle fondamental dans la prévention de la radicalisation. Depuis 2014, la vigilance du personnel de l’éducation nationale est requise afin de repérer les signes de rupture chez les élèves. Le nouveau plan prévoit de fluidifier davantage la détection et le suivi dans les établissements. Une des mesures prévoit de dépasser le cadre purement scolaire pour y inclure également les temps hors scolaires (temps après l’école, centres de loisirs, ndlr) afin d’avoir une approche globale de l'enfant dans ses différents temps. Le ministère renforce aussi les actions menées pour lutter contre les théories du complot. Le plan prévoit également de renforcer la formation des enseignants en matière d’éducation aux médias et à l’information (EMI). Pourquoi ? L’éducation aux médias et à l’information développe, en transdisciplinarité, la pensée critique et la culture du débat, en aidant les élèves à devenir des cybercitoyens responsables dans notre monde numérique. L’EMI commence dès le cycle 2 (CP, CE1, CE2, ndlr) et est abordée jusqu’au lycée. Nous avons déjà mis à disposition des enseignants de nombreuses actions via notre plan de formation national, notamment avec des partenariats avec la CNIL ou France Télévisions. Nous mettons également à disposition des enseignants des parcours de formation à distance (MOOC) ou en présentiel via notre plateforme M@gistère.

Propos recueillis par F.L.