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Après l'attentat de Conflans, une enseignante d'Apprentis d'Auteuil témoigne

Céline Hibert est enseignante en histoire-géographie au collège Saint-Jean à Saint-Sulpice (81). Suite à l’assassinat de Samuel Paty survenu vendredi dernier à Conflans-Sainte-Honorine, elle explique comment se déroule l'enseignement moral et civique et comment sont abordées les questions de liberté d’expression et de laïcité en classe avec ses élèves.

Quelle a été votre réaction lorsque vous avez appris l’assassinat du professeur d’histoire-géographie ?

J’ai ressenti de l’effroi, de l’horreur. Lorsqu’on est enseignant, on n’imagine pas que l’on puisse être atteint dans sa personne. Une fois le choc passé, j’ai aussi pensé à sa famille à qui il a été arraché. C’est horrible. C’est un événement impensable dans le pays des droits de l’Homme, de la laïcité. La barbarie extrême de l’assassinat est aussi très choquante.

Comment abordez-vous l’enseignement moral et civique (EMC) dans votre classe ?

Au collège Saint-Jean, je suis en charge des 6e et 5e. En 6e, nous travaillons notamment la question de la laïcité : qu’est-ce que la laïcité, ses valeurs, ses limites ? La laïcité est aussi à nouveau étudiée en 5e, 4e et 3e. Pour ma part, je travaille avec la charte de la laïcité qui est affichée dans notre établissement. En 6e, en EMC nous parlons aussi du statut d’élève : le respect des autres, la prévention du harcèlement scolaire... Pour ce sujet, j’utilise une vidéo sur laquelle je les fais réagir pour analyser le mécanisme du harcèlement. Ensuite, nous construisons un flyer pour expliquer concrètement comment lutter contre le harcèlement scolaire dans leur établissement. Le but est qu’ils soient acteurs de l’enseignement.

Comment traitez-vous la question de la liberté d’expression, des caricatures de presse ?

Ce n’est pas au programme des 6e, 5e. Mais en 2015, j’avais des 4e avec qui j’abordais justement la question des libertés lorsque l’attentat de Charlie hebdo est survenu. J’ai donc pris le temps de revenir sur le sujet, de parler des caricatures. À l’époque, j’utilisais un extrait d’un journal télévisé qui parlait du procès dont Charlie hebdo avait déjà été l’objet. J’expliquais pourquoi il y avait eu un procès et pourquoi il n’y avait pas eu de poursuites. C’était l’occasion de parler de liberté d’expression, de laïcité. Au collège Saint-Jean, qui est un petit établissement privé en milieu rural, nous ne sommes pas dans une zone sensible. Ce sont des sujets que nous abordons sereinement avec nos élèves.

Comment abordez-vous l’enseignement du fait religieux ?

Je le fais en histoire cette fois plutôt qu’en EMC. Je n’ai jamais rencontré de problème non plus sur ce sujet-là avec mes élèves. Au contraire, lorsque nous parlons du monde arabo-musulman, les élèves de confession musulmane sont mêmes plutôt contents d’intervenir, de partager leurs connaissances du sujet avec les autres élèves. Comme lorsque nous évoquons le début du christianisme ou du judaïsme. Dans notre établissement, cela ne se fait pas dans un esprit de conflit. Mais je sais qu'en France, dans d’autres établissements, cela peut être délicat. Les enseignants peuvent avoir des conflits ouverts avec les élèves ou avec les parents qui refusent certains enseignements.
Au collège Saint-Jean, cette année, nous menons un projet autour de la culture religieuse pour toutes les classes de l’établissement à travers trois temps forts au mois de novembre, à Pâques et à la fin de l’année. L’idée est de mieux connaître la dimension culturelle des trois religions monothéistes à travers les fêtes religieuses, un monument et la place de ces religions dans notre pays. Pâques, le Ramadan, Hanoucca… nous nous apercevons que les élèves ne connaissent pas bien ces fêtes religieuses quelles soient chrétiennes, musulmanes ou juives. Connaître l’autre, c’est aussi de ne pas en avoir peur.

En tant qu’enseignante, vous sentez-vous investie d’une mission citoyenne ?

En tant que professeurs d’histoire-géographie et d’EMC, nous avons effectivement un rôle important à jouer dans la construction de l’individu, du futur citoyen. Notre matière est là pour aider les élèves à comprendre le monde dans lequel ils vivent, à développer un esprit critique et à connaître et respecter les valeurs républicaines.

Le 2 novembre, jour de la rentrée, comment allez-vous aborder cet événement ?

Nous sommes en train d’y réfléchir en équipe. Nous aurons certainement également des directives du ministère de l'Éducation nationale à ce sujet. Nous allons évidemment revenir dessus. Avec mes élèves, je pense que je commencerai par les interroger pour voir ce qu’ils connaissent du sujet, pour savoir quel est leur ressenti personnel. Je leur rappellerai certainement ce qu’est la laïcité, les valeurs de la République. Et ce que l’on peut faire pour éviter que ce genre d’événement ne se produise dans le pays des droits de l’Homme.