Témoignages

Dominique Lagane, un parcours de résilience

Accueilli de 1961 à 1971 par Apprentis d’Auteuil à Orly, à Paris, puis à Meudon, Dominique Lagane en sort avec trois CAP à l'âge de 17 ans. Et fera toute sa carrière dans la mécanique, le métier qu'il avait choisi. A la fondation, il a aussi "rencontré" la petite Thérèse, à qui les jeunes sont confiés depuis 1923. Témoignage.

Avril 1961. Dominique Lagane, petit bonhomme de 7 ans, franchit la porte de la Maison Saint-Esprit d’Apprentis d’Auteuil, à Orly (94), qui accueille et scolarise des enfants d’âge primaire. Il entre en CE1, classe qu'il redouble l’année suivante, vu son jeune âge. Quel souvenir garde-t-il de ce moment ? « Aucun. C’est trop loin et j’étais trop petit. Je suis arrivé là comme si c’était ma maison, parce que je venais de l'Assistance publique, de Denfert-Rochereau je crois. » Il se rappelle surtout des religieuses, de sœur Élisabeth, de sœur Marie-Louise… « Je les aimais bien parce que c’est elles qui m’ont élevé. J’ai perdu mon père en 1959, j’avais 5 ans. Ma maman m’a laissé ensuite à l’Assistance publique… Mon petit frère est venu plus tard à la Maison Saint-Esprit. Puis on s’est perdus de vue. Il m’a retrouvé en 1985. »

Bon élève, mais jamais premier!

Dominique reste jusqu’en CM2 à Orly. Bon élève, mais jamais le premier, explique-t-il en riant : « Durant toute ma scolarité, j’ai essayé par tous les moyens d’avoir la première place, mais elle n’était pas faite pour moi ! Cela m’a donné une certaine force dans le travail, j’aimais l’école, l’histoire, la géographie, les maths… » Deux moments forts marquent l’enfant durant cette période : le premier, c’est sa retraite de première communion accompagnée par des séminaristes : « Un jour, ils nous ont emmenés en promenade dans les champs autour d’Orly. La beauté de la nature a éveillé mon esprit. J’avais 8-9 ans et j’ai compris que Dieu existait, que je voulais le suivre. »
Le second, c’est un pèlerinage à la basilique Notre-Dame des Victoires à Paris (1) : « À l’entrée de l’église à gauche, il y a un vitrail représentant sainte Thérèse enfant. Quand je l’ai vu, cela m’a fait quelque chose. Comment dire ? Ma foi a été décuplée, j’ai vu pourquoi je croyais en Dieu… Thérèse est devenue comme une petite maman pour moi, puisque la mienne n’était pas là, et elle ne m’a plus quitté. Je ne la connaissais pas et je ne savais pas que les jeunes de la fondation lui avaient été confiés. »

Le choix de la mécanique

Septembre 1965. Le jeune garçon quitte Saint-Esprit pour Sainte-Thérèse, à Paris, où il intègre une sixième d’orientation. Des trois métiers proposés, menuiserie, électricité, mécanique, il choisit le dernier : « Dans ma tête de petit garçon, je croyais que c’était pour démonter des pneus et réparer des voitures ! » Là encore peu de souvenirs, si ce n’est une grande balade de tous les enfants sur les bords de Seine emmenés par les taxis de Paris. Et surtout la chapelle érigée par le père Brottier dans les années 1920 : « Elle me fascinait car je sentais la présence de Thérèse. Je priais déjà à l’époque… Il y avait aussi des cérémonies où tout le monde venait de la région parisienne, toute la cour du haut était pleine de jeunes. »
4 octobre 1966. Dominique entame sa dernière période de formation à Apprentis d’Auteuil à Saint-Philippe (Meudon, 92). À 12 ans, il est le plus jeune, les autres ayant 3 ans et 30 cm de plus que lui. Son professeur d’ajustage, un Italien nommé Antonio, lui disait : « Mais tu n’as pas de force pour limer ! », et l’installait sur un escabeau pour le mettre à la hauteur de l’établi. Il passe un CAP d’ajusteur à 15 ans, puis les CAP de tourneur et de fraiseur les années suivantes. À Saint-Philippe, il se fait comme toujours plein de copains : « Cela marchait très bien parce que j’ai toujours eu le sourire. On ne passait plus les récréations dehors à jouer à chat, mais à l’intérieur à jouer aux dames, au Nain jaune, au Monopoly, aux Mille Bornes. Cela m’a permis de franchir une étape en entrant dans un milieu culturel où mon esprit travaillait ! »

« Chez Dom »

17 ans. L’apprenti sort de l’école le 22 juin 1971 et commence à travailler le 5 juillet, aux établissements Maury à Paris. « Je n’ai eu qu’à présenter un mot du directeur de Saint-Philippe. Le patron a répliqué : "Tu viens des Orphelins d’Auteuil, c’est bon, je t’embauche. Et tu as trois CAP !" Il faut dire que c’était rare à l’époque. » L’ouvrier débutant poursuit ses études en cours du soir pour passer son brevet professionnel. Ses quarante-trois ans de carrière se déroulent au sein de cinq ou six entreprises différentes, toujours dans la mécanique : « J’ai démarré devant un établi en donnant un coup de lime sur un morceau de métal et j’ai fini responsable d’un secteur ! »
Il termine sa vie professionnelle à l’Institut français du pétrole à Rueil où, embauché pour un CDD de 18 mois en 2003, il devient responsable du département Métrologie jusqu’à sa retraite douze ans plus tard : « Ce poste, c’était un vrai bonheur. J’avais un laboratoire immense. Les gens venaient « chez Dom » pour des questions techniques mais on abordait parfois des sujets plus personnels… "La confiance, rien que la confiance", cette parole de Thérèse a accompagné ma carrière à travers les difficultés que j’ai connues, comme tout le monde. »

Des retrouvailles inespérées

Le passé se rappelle à lui en 2015 avec le coup de téléphone d’une assistante sociale de l’hôpital d’une ville des Ardennes. Elle lui annonce l’hospitalisation de sa mère, la nécessité qu’elle soit accueillie en maison de retraite, et sa responsabilité, en tant que fils, de s’occuper d’elle… « C’est ainsi que j’ai retrouvé ma maman, 56 ans après l’avoir perdue ! Ne me demandez pas si je l’ai reconnue, mais je savais que c’était ma maman. J’ai pu la revoir plusieurs fois et lui faire donner le sacrement des malades avant son décès, trois mois plus tard. Adolescent, je lui en avais voulu de m’avoir laissé dans la nature, parce que je n’avais aucun câlin, rien. Mais au fil du temps, ce sentiment a disparu. Je priais pour elle jusqu’à ce fameux "moment de résurrection" où cela a été si beau de la revoir. Depuis, je vais régulièrement sur sa tombe. Je suis certain que Thérèse est pour quelque chose dans ces retrouvailles parce qu’elle m’a suivi tout au long de ma vie… » Le retraité partage son temps entre son petit-fils qu’il rejoint tous les mercredis et la basilique Notre-Dame des Victoires où il se sent chez lui et s’est vu confier progressivement différentes responsabilités paroissiales. Son souhait pour chaque enfant accueilli à Apprentis d’Auteuil : « Recevoir tout l’amour et l’éducation que j’ai pu recevoir. J’étais un petit bambou et je suis devenu un arbre. Moi qui n’avais pas de famille, j’ai eu une grande famille. »
(1)    Lorsqu’en 1844 le jeune Louis Roussel, fondateur des Orphelins Apprentis d’Auteuil en 1866, arrive à Paris, il est accueilli et guidé par l’abbé Desgenettes, curé de Notre-Dame des Victoires.