
Journées nationales d'action contre l'illettrisme, l'exemple de Savoirs pour réussir Paris
REPORTAGE. En cette rentrée marquée, cette semaine, par les Journées nationales d’action contre l’illettrisme, l’association Savoirs pour Réussir œuvre au cœur de Belleville pour que chacun retrouve confiance en ses capacités. Entre ateliers adaptés et médiations culturelles, ce lieu accompagne jeunes et adultes dans la reconquête des savoirs de base. Par Agnès Perrot.
Quartier de Belleville, une après-midi de début septembre, local de Savoirs pour réussir, une association qui s'adresse à des personnes en situation d'illettrisme. Comme Élodie Liban, 19 ans, suivie depuis un peu plus d'un an par l'association. À l'intérieur, deux ateliers battent leur plein. L'un d'écriture, l'autre d'expression orale...
L'illettrisme n'est pas une fatalité

« C'est la Mission locale qui m'a mise en lien avec Savoirs pour réussir Paris, explique la jeune femme. En sixième, mon niveau c'était zéro, je ne savais même pas écrire mon nom, ni écrire en attaché. J'ai décroché au lycée il y a deux ans car je n'arrivais plus à suivre, n'ayant pas été scolarisée en primaire. »
Elle poursuit : « Ici, on m’a écoutée, j’ai repris confiance en moi, ma peur de ne pas réussir s’est débloquée et j’ai rattrapé l’essentiel de mes lacunes. Désormais, j’avance dans la rue la tête haute, j’accueille les nouveaux et je commence une formation pour aider les personnes âgées. Ma vie est transformée. »
Des jeunes comme Elodie, Marie Chassagnon, la directrice, en reçoit tous les jours ou presque. « Dans notre société, l'illettrisme génère une souffrance terrible », souligne la professionnelle. « Avec un sentiment d’échec et de honte. Sans connaissances minimum en lecture et écriture, la vie quotidienne devient vite très compliquée. »
Favoriser l'autonomie
En France, plus de 2,5 millions d’adultes sont en situation d’illettrisme, dont 9% ont entre 18 et 25 ans. Même si la situation s’est améliorée, ce phénomène touche encore trop de jeunes à un moment clé de leur vie, l’illettrisme freinant fortement l’accès à l’emploi et à la formation : 6 à 10% des demandeurs d’emploi rencontrent des difficultés de lecture et d’écriture, ce qui limite leurs opportunités, y compris une fois en poste, faute de possibilités de formation adaptées.
Financé par la ville de Paris, le Commissariat général à l’égalité des territoires et des fonds privés, Savoirs pour réussir Paris cible surtout les jeunes et adultes francophones ayant été scolarisés en France, mais en situation d’illettrisme (en complémentarité d’associations plus axées sur l’alphabétisation de primo-arrivants).
L'association les accompagne à reprendre l'apprentissage des savoirs fondamentaux (lecture, écriture, calcul, raisonnement logique). « L’objectif n’est pas seulement l’acquisition de ces savoirs, mais surtout de favoriser l’autonomie, la capacité d’apprendre et l’insertion sociale et professionnelle », précise encore Marie Chassagnon.
L’accueil se fait sur rendez-vous, l’inscription est gratuite, avec un suivi possible parallèlement à un emploi ou une formation, et l’accompagnement peut démarrer à tout moment de l’année.
Une pédagogie adaptée

Pour avancer en confiance, les stagiaires bénéficient d’une pédagogie adaptée. « Ici, on ne refait pas l’école, détaille Marie Chassagnon. Nous partons des compétences de chacun et de l’utilité des savoirs dans la vie quotidienne : l’objectif est de donner envie d’apprendre. »
Chez Savoirs pour réussir, les ateliers (lecture, écriture, presse, calculs pratiques, citoyenneté, théâtre, cuisine, etc.) se déroulent en très petits groupes – cinq personnes maximum – avec possibilité d’un accompagnement individuel. Exercices concrets, débats ou jeux de rôle forment la trame des séances. Chaque parcours est suivi de près, afin d’ajuster la progression, lever les blocages et valoriser chaque réussite.
Des ateliers de médiation culturelle

Un autre point fort de l’association, ce sont ses activités culturelles qui élargissent les horizons des stagiaires, en partenariat avec des musées franciliens. Dernier en date, le projet « Lire au Moyen-Âge », mené au printemps avec la basilique de Saint-Denis et la vitrailliste Gaëlle Dassonville a permis aux jeunes d’avancer de manière significative dans leurs apprentissages.
Pendant trois mois, ils ont exploré la basilique à travers des visites contées, des ateliers photo, croquis et écriture, puis créé un vitrail collectif. Une expérience très riche, qui mêlait découvertes culturelles, pratiques artistiques et expression personnelle.
« Renouer avec les savoirs fondamentaux demande de grands efforts et passe par une reprise de confiance en soi. S'appuyer sur la découverte du patrimoine et sur une pratique artistique est un levier très mobilisateur pour progresser », explique encore Marie Chassagnon.
Dans le même esprit, l'association organise également des séances d’écriture de chansons, de saynètes ou de contes, qui se concrétisent par des spectacles, courts-métrages ou productions variées.
Ces temps de médiation culturelle, au plus près de l’intime, offrent aux apprenants un espace pour s’exprimer, prendre des risques et, souvent, réfléchir autrement à leur parcours d’insertion.
Retrouver une place dans la société
Si ces progrès sont possibles, c’est aussi grâce à l’engagement sans faille des bénévoles. Pour atteindre les objectifs fixés avec chaque stagiaire, Savoirs pour réussir s’appuie sur des tuteurs spécialement formés. C’est le cas de Danielle Mouly, engagée aux côtés de l’association depuis quatre ans. « C'est un réel plaisir de travailler avec ces jeunes, confie la bénévole. Ils sont très ouverts et attachants. »
Elle ajoute : « En ce moment, j’accompagne un étudiant passionné de poésie. Nous explorons d’abord ensemble des textes classiques, de Baudelaire à La Fontaine, avant que je ne l’invite à écrire ses propres poèmes à partir de ce matériau. Ses créations sont très émouvantes.
« Au fond, accompagner ces jeunes, c’est aussi une école pour moi », sourit-elle encore. « On apprend ensemble, chacun à sa manière. C’est ce qui rend cette aventure si précieuse. »
Depuis 2009, Savoirs pour réussir a aidé plus de 900 personnes à se réconcilier avec les mots, mais plus encore, comme Élodie, à retrouver une place dans la société.
ÉLODIE LIBAN, 19 ANS, UNE JEUNE SUIVIE PAR SAVOIR POUR RÉUSSIR PARIS TÉMOIGNE EN VIDÉO :
Journées Nationales d’Action contre l’Illettrisme
- Les Journées Nationales d’Action contre l’Illettrisme ont été initiées par l’ANLCI et ses partenaires en 2014, après que la lutte contre l’illettrisme a été déclarée Grande cause nationale en 2013.
- Elles se déroulent autour du 8 septembre, Journée de l’alphabétisation de l’UNESCO, et proposent une semaine d’initiatives qui met en lumière les solutions de proximité pour aider les personnes concernées à franchir le premier pas.
À lire dans la même thématique