Société
09 mars 2016

Jean-Marie Petitclerc : Internet et les ados, quelle éducation ?

Éducateur spécialisé, le père Jean-Marie Petitclerc analyse dans son dernier ouvrage, Éduquer à l’heure d’Internet, le bouleversement provoqué par les nouvelles technologies chez les adolescents. Interview par Amicie Rabourdin

L’avènement du numérique entraine-t-il vraiment de grands changements dans l’éducation des enfants ?

Jean-Marie Petitclerc : C’est une révolution technologique, mais aussi culturelle !
Elle modifie le rapport aux deux piliers de toute culture : l’espace - les jeunes peuvent communiquer avec n’importe qui, où qu’ils soient et quelle que soit la distance - et le temps - tout se fait dans l’immédiateté.
Elle change le mode de communication : en face-à-face, on voit et on peut prendre en compte les émotions de son interlocuteur ; par SMS, on peut envoyer des messages insultants et destructeurs sans se rendre compte des réactions de l’autre.
Elle modifie également la manière de travailler, par l’accès à l’ensemble du savoir, celle de se distraire, par la possibilité de jouer seul ou avec d’autres, sans être autour d’une table.
Avec les SMS, les adolescents ne quittent jamais l’univers de leurs copains, c’est comme une bulle qui les suit partout. Ce langage très particulier génère de nouvelles manières de communiquer.

Quels autres défis pose-t-il ?

La grande utopie des fondateurs d’Internet était de construire un monde sans frontières. Pourtant, certaines d’entre elles sont structurantes. La première se trouve entre l’accessoire et l’essentiel : la parole de l’expert qui a travaillé cinq ans sur un thème n’a pas la même valeur que celle d’une personne interrogée au hasard.
La deuxième frontière se situe entre le virtuel et le réel. Le danger de certains jeux vidéo réside non seulement dans leur violence, mais aussi dans le fait que l’imaginaire ressemble au réel, grâce à l’évolution technologique. Dans les histoires, elles-mêmes violentes, de mon enfance (une petite fille face à un loup dans le lit de sa grand-mère, ou un petit garçon face à un ogre !), l’expression "Il était une fois" séparait d’une manière nette l’imaginaire du réel. Si le jeune n’est pas aidé par l’adulte à faire la distinction, une confusion peut s’opérer.
Une des grandes différences entre ces deux mondes est la souffrance, présente dans le réel, absente dans le virtuel ! On constate la fragilité des jeunes qui n’ont pas intégré cette frontière, parmi ceux qui sont endoctrinés par le Jihad. Ou qui sont embarqués dans le monde des films pornographiques, ceux-ci ne reflétant pas la réalité mais, entre autres, les fantasmes du réalisateur.
La troisième frontière sépare le privé et le public, ce qu’on donne à voir et son jardin secret. Avec les réseaux sociaux, les jeunes passent parfois d’un registre à l’autre sans en prendre conscience. Cette confusion, on le constate, peut générer des dégâts colossaux.

Les éducateurs et les parents ont-ils encore un rôle à jouer face au pouvoir d’Internet ?

Absolument ! Si aujourd’hui, l’ensemble des connaissances est directement accessible grâce à Internet, le rôle de l’enseignant sera d’aider le jeune à les structurer pour les organiser en savoir. C’est bien le cœur de son métier. De même, les éducateurs et les parents ont à offrir un environnement structurant pour permettre au jeune de maîtriser et d’utiliser ces outils à bon escient.
À l’âge collège, il me semble pertinent que l’ordinateur soit dans une pièce commune et pas dans la chambre, et que les parents fassent un planning d’utilisation pour structurer l’espace du jeu et celui du réel, et éviter les phénomènes d’addiction.
En ce qui concerne le portable, dans le foyer que je dirigeais, les jeunes avaient l’obligation de le remettre à l’éducateur pour la nuit. Il me paraît aussi essentiel, et cela concerne aussi les adultes, de couper son portable pour vivre ensemble tel ou tel moment de la journée, en particulier quand on passe à table.

Quel regard poser sur ces nouvelles technologies ?

Internet donne des possibilités extraordinaires d’accès au savoir et à la communication. Imaginez que tout lycéen a accès dans sa chambre, à la plus grande bibliothèque de son pays ! En un clic, il ouvre un livre et en un autre clic, il accède à la citation qu’il recherche. Il peut aussi rester en lien avec des jeunes rencontrés ailleurs.
Mais ayons bien conscience que ces technologies les structurent autrement. Face à un écran, quand un adulte se demande sur quelle touche appuyer pour obtenir tel déplacement, son petit neveu les a déjà toutes expérimentées et a trouvé la bonne !
Nous, adultes, avons grandi dans l’acquisition d’un savoir. Les jeunes grandissent dans un univers d’expérimentation. C’est une donnée nouvelle, sans connotation morale positive ou négative. Considérons Internet comme un moyen, réjouissons-nous des nouvelles possibilités que cela offre, tout en mettant en garde contre les dangers. Il ne s’agit pas d’en faire une espèce de mythe qui transformerait l’homme.
L’essentiel, et les jeunes le savent bien, est là : la rencontre virtuelle n’a pas la même valeur que la rencontre réelle. Deux êtres qui partagent leur émotion en présence l’un de l’autre, c’est source d’une joie de communiquer bien plus intense que quelques messages sur un écran tactile. Comme disait l’abbé Pierre, vivre c’est aimer. L’amour ne peut se traduire par des messages virtuels, mais par la rencontre réelle de deux êtres.

À LIRE
Éduquer @ l’heure d’Internet

Jean-Marie Petitclerc
Éd. Salvator

Jean-Marie Petitclerc BIo express

Jean-Marie Petitclerc - Bio express

1953 Naissance à Thiberville (27) 1971 Entrée à l’école polytechnique 1976 Premiers vœux chez les Salésiens de Don Bosco 1978 Éducateur spécialisé 1984 Ordination sacerdotale 1995 Fondation de l’association Le Valdocco sur la dalle d’Argenteuil 2007 Entrée au cabinet du ministre du Logement et de la Ville 2013 Obtention du prix de l’éthique au Salon des maires de France.