Société

Éric Toledano, un réalisateur hors normes

ENTRETIEN. Avec son ami Olivier Nakache, Éric Toledano réalise depuis plus de vingt ans des films qui ont trouvé leur public. Hors Normes, sa dernière oeuvre présentée à Cannes en mai 2019, vient de remporter le César des lycéens. Une magnifique histoire de différence et d’éducation. Propos recueillis par Agnès Perrot. 

Hors normes porte sur la question de l’autisme, un sujet rarement montré à l'écran ?

Oui, le film réunit toutes les problématiques qui nous animent depuis qu’on fait du cinéma : la différence, la fragilité, le handicap, la norme, la place de chacun dans la société. En lien avec tous ces thèmes, la cause de l’autisme nous tenait particulièrement à cœur. Notamment parce que la vulnérabilité des jeunes avec autisme leur vaut d’être enfermés ou rejetés par la plupart des structures existantes.

Olivier Nakache et moi-même avons été très tôt sensibilisés à la différence en fréquentant des colonies de vacances qui accueillaient des jeunes handicapés, avant de découvrir les associations présentées dans le film. Nous tenions aussi à parler de leurs parents qui s’épuisent et se sentent abandonnées, des structures hospitalières qui font ce qu'elles peuvent  et des professionnels qui se démènent pour eux. Tout ceci avec humour et légèreté. Un ton qui nous habite depuis toujours dans nos films.

C'est important à nos yeux de pouvoir rire de sujets graves. Les personnes autistes nous révèlent une manière d’être au monde dont nous souhaitions témoigner. Par leur seule présence, elles créent du lien entre les gens sans s’en rendre compte et nous invitent à voir le monde autrement.

D'où vous est venue l'idée du film ?

Alors que je cherchais à passer mon BAFA, j’ai fait la connaissance, adolescent, de Stéphane Benhamou, à l'époque directeur de centre de colonies de vacances dans lequel il intégrait des handicapés, avant de créer, en 1996, Le Silence des Justes, sa structure en faveur d'enfants et d'ados autistes, à Paris et en Seine-Saint-Denis.

ll s'est ensuite associé avec Daoud Tatou, directeur de l’association Relais Ile-de France, ouverte en 2000, qui proposait à la fois l'accueil de personnes en situation d’autisme et l’aide à la réinsertion de jeunes des quartiers, au départ non diplômés, qui prenaient ces enfants en charge.

Nous nous sommes revus par la suite, avec  l'envie, pour moi et Olivier, d'un film que nous pourrions réaliser avec cette magnifique matière première. Il y avait pour nous un énorme défi à traiter de l’autisme dans une comédie et à faire jouer des personnes autistes.

Comment avez-vous procédé ?

Nous avons commencé par réaliser un documentaire de 26 minutes sur le sujet (de l'autisme), en 2005 pour Canal+. L'occasion de passer à la fiction nous a été donnée après la publication du rapport inattendu de l’Inspection générale des affaires Sociales (IGAS) qui autorisait Le Silence des Justes à exercer.

L’association avait d’abord mis en place un accueil de jour pour jeunes autistes, régularisé fin 2007, puis développé à partir de 2010, hors autorisation, un accueil avec hébergement principalement pour des mineurs sans solution médico-sociale adaptée, pris en charge via les services hospitaliers ou par décision d'un juge.

Nous nous sommes lancés, pour pouvoir parler de ces enfants et de ces adolescents, et tout autant des jeunes éducateurs qui s'occupent d'eux. Nous aimons prendre des risques. Et pour permettre aux spectateurs de mieux entrer dans la réalité des personnages, nous avons décidé de travailler avec des personnes en situation d'autisme. 

Quel était votre but ?

Sensibiliser le grand public à travers différents points de vue. Celui des deux responsables des deux associations bien sûr, mais aussi celui des médecins et des inspecteurs de l'IGAS, et bien entendu, celui des jeunes autistes et des éducateurs en formation qui les suivent.

Quel regard particulier souhaitiez-vous poser sur les jeunes éducateurs ?

C'est beau cette expérience qui leur permet de relativiser leur situation en venant en aide à d'autres personnes !

Nous sommes admiratifs du travail de ces éducateurs en herbe, pas si reconnu que cela, de leur accueil inconditionnel et en urgence des jeunes autistes qui leur sont confiés. Ceux qu'on a engagés comme acteurs sont rapidement devenus pour nous de vrais héros de cinéma. On s’est dit aussi qu'ils susciteraient peut-être des vocations.

Leur mission de contact au service de l’humain, leur manière de s'engager et de développer la capacité d'autonomie de chaque personne sont très touchants. Bref, il se dégage d’eux une vraie énergie et on a été ravis de mettre en valeur leur métier.

Vous dites aussi, avec ce film, que, quelque part, nous sommes tous handicapés...

Oui, on vit tous avec nos fragilités ! Cette imperfection fait de nous des êtres humains qui nous ressemblons  et nos blessures nous rassemblent. C'est un autre message important du film et une croyance, déjà évoquée dans Intouchables, que nous portons au plus profond de nous.  

En somme, pourquoi faites-vous du cinéma ?

C’est, je crois, notre manière partagée, à Olivier et à moi-même, de poser nos yeux sur le monde, de transmettre des émotions, de donner l’occasion au public de changer son regard. D’interroger la norme aussi, de la remettre en question et pourquoi pas, de la transgresser… C’est beaucoup de boulot, mais on fait avant tout des films qu’on aimerait voir, qui apportent du recul et qui donnent de l’espoir. Et ce, sans cacher la réalité parfois très dure de certaines situations. Il n’y a rien de pire que l’indifférence.

Notre but, c’est de questionner la société, de l’interroger.  Notamment en matière d’éducation, même si, dans ce domaine, nous n’avons pas de leçons ou de messages à donner. Nous soulevons des questions et en les soulevant, nous pensons qu’elles pourront faire réfléchir. Quel monde voulons-nous présenter à nos enfants ?

Dates clés

1971 : naissance à Paris
1993 : licence de lettres option cinéma
1993 : assistant metteur en scène sur À la folie de Diane Kurys
1995 : maîtrise de sciences politiques
1995 : décide de se consacrer au cinéma. Premier court-métrage avec Olivier Nakache  
2011 : Intouchables, véritable carton au box-office français avec 17 millions d’entrées
2019 : Hors normes, César des lycéens 2020