Des cours d'empathie à l’école pour apprendre à vivre ensemble
L’empathie, cette faculté à ressentir et à comprendre les sentiments et les émotions de l’autre, n’est pas une discipline nouvelle. Mais les drames liés au harcèlement scolaire ont pointé la nécessité de la développer à l’école, pour aider l’enfant à vivre et grandir en confiance avec les autres.
En décembre 2023, après une série de violences et de faits de harcèlement dans les collèges et lycées, Gabriel Attal, alors ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, annonçait l’expérimentation de cours d’empathie dans 1 000 écoles maternelles et primaires dès janvier 2024. Objectif ? Apprendre aux élèves à respecter les différences de l’autre et à cultiver l’apaisement en cas de conflit.
« Ce dispositif s’inspire de la méthode danoise Fri for Mobberi (libéré du harcèlement), souligne Malene Rydahl, consultante engagée dans la mise en place des cours d’empathie dans deux collèges parisiens. Elle se fonde sur la connaissance de soi, l’identification de l’émotion ressentie et la compréhension de la pensée à l’origine de cette émotion. »
Vers une sécurité psychologique
L’enfant apprend ainsi à formuler son émotion. À répondre par exemple : « Quand tu ne veux pas jouer avec moi, ça me rend triste. J’ai peur que tu ne m’aimes pas. » au lieu de : « Tu es méchant ! » « Si l’enfant est dans le contrôle de ses émotions, poursuit Malene Rydahl, on lui conseille de parler, de s’excuser. Sinon, on lui propose des exercices de respiration pour éviter d’avoir le cœur serré, le ventre noué, ou bien des séances de méditation pour prendre conscience de son corps et de son esprit. On lui apprend aussi à se présenter, à accepter l’autre, sans le juger ni le rejeter sous prétexte qu’il est différent. » Résultat ? L’enfant acquiert une "sécurité psychologique" : il se sent légitime pour poser une question, émettre une idée, avouer une erreur. Il gagne confiance en soi et aux autres. Il s’investit dans ses apprentissages et quitte l’école avec le sentiment d’avoir une valeur, une place et une responsabilité dans la société.
« L’empathie permet de prévenir, de résoudre voire d’éviter les violences, les conflits et les radicalités, rappelle Malene Rydahl. Plus on est entouré de gens attentionnés et bienveillants, qui expliquent les choses et apportent la nuance, plus on développe des compétences empathiques. »
La pédagogie du travail en groupe
Pour Omar Zanna, docteur en sociologie et psychologie, et professeur des universités du Mans, il est essentiel d’être en présentiel, face-à-face, pour être à l’écoute de l’autre, approcher ce qu’il pense, ce qu’il ressent, et entrer en relation avec lui. « L’écran d’un smartphone ou d’un ordinateur isole. Il réduit le temps d’interaction, d’exposition, de disposition et d’empathie, relève-t-il. L’échange en tête-à-tête apporte, lui, une couleur, une saveur, une profondeur. Les neurosciences nous l’ont appris : ce sont nos sentiments et nos émotions qui nous font penser. C’est l’affect qui nous fait être. »
Et Omar Zanna de recommander la pédagogie du travail de groupe en classe. Elle favorise les interactions, les apprentissages par les pairs, l’échange et la discussion. En conséquence, le changement de perspective : on sort de soi pour voir le monde avec les yeux des autres. À l’école comme au dehors, le spécialiste suggère aux adultes de donner l’exemple en faisant preuve d’empathie au quotidien : « Les enfants reproduisent ce qu’on leur donne à voir et à entendre ».
Autre moyen de développer l’empathie, lire ou écouter des histoires, qui permet de se projeter dans d’autres personnages et d’autres mondes. Par le théâtre ou le théâtre forum, « les enfants jouent à faire comme si et se socialisent ». Omar Zanna encourage enfin les adultes à faire prendre conscience aux enfants de leurs émotions, à les verbaliser, à raconter et se raconter, « car la compréhension de soi préfigure la compréhension d’autrui ». « L’empathie est une intelligence du cœur, conclut Malene Rydahl. Elle permet aux enfants et aux adultes d’être dans le meilleur état d’esprit pour donner le meilleur d’eux-mêmes. »
2 questions à Serge Tisseron, psychiatre et docteur en psychologie
De quels moyens dispose l’école pour apprendre l’empathie ?
En premier lieu, d’adultes qui se montrent curieux de ce que pense un enfant, et qui sont capables d’accepter son point de vue, même s’ils ne le partagent pas.
Dans le cadre de la campagne lancée par l’Éducation nationale pour développer les compétences empathiques des élèves, l’enseignant peut s’appuyer sur trois méthodes : la méthode danoise Fri for Mobberi (libéré du harcèlement), des ateliers philo et le Jeu des trois figures, que j’ai créé en 2006. Ce jeu s’inspire du théâtre et des figures de l’agresseur, de la victime et du tiers, simple témoin, redresseur de tort ou sauveteur. Cette activité de prévention privilégie le développement du langage, la compréhension et le contrôle des émotions, et la création d’une culture commune développée dans des activités partagées.
Vous mettez en garde contre l’empathie développée par l’intelligence artificielle. De quoi s’agit-il ?
Des objets connectés peuvent simuler des émotions que des programmeurs ont intégrées dans des bases de données. Cela ne signifie rien pour ces machines – l’ordinateur, le smartphone, etc. - qui n’éprouvent ni émotions ni sentiments. Il faut parler très tôt aux enfants de ces pouvoirs de simulation et les aider à comprendre la logique et les limites des machines.
François Bernard, psychologue à Apprentis d’Auteuil
« Jeunes et adultes, nous devons comprendre que l’empathie diffusée via les réseaux sociaux, TikTok et Instagram notamment, n’est qu’illusoire. Chacun se met en scène, pense vivre la même chose que l’autre, en l’occurrence être empathique. En réalité, il ne s’agit pas d’empathie mais de comparaison, de mesure de performances parfois même de rivalité. Car l’empathie - être avec l’autre et ressentir ce qu’il ressent - ne peut apparaître qu’en présentiel, sans média interposé. À la sortie d’un établissement scolaire, c’est flagrant ! Les jeunes sont les uns à côté des autres mais sur leur smartphone. Ce n’est pas de l’empathie mais du mimétisme.
Deux conditions sont nécessaires à l’empathie : la présence et la collaboration, cette idée que l’on peut se servir d’appui les uns, les autres. Aussi bien dans le temps scolaire que dans des ateliers de théâtre par exemple où le regard de l’autre soutient sans juger, ou encore dans le quotidien - la préparation d’un repas, l’entretien d’un lieu de vie, etc. Si les professeurs génèrent une collaboration entre les élèves, la classe est, en général, beaucoup plus paisible et studieuse. Car les jeunes ont l’impression que cela dépend d’eux. Ils peuvent être utiles aux autres, collaborer avec eux, ressentir quand l'un ou l'autre est en difficulté.
Si l’on se dispense de prendre le chemin du contact humain au motif de l’efficacité, on cesse instantanément d’être efficace. On écrase tout et on se prive du plaisir d’être ensemble. »
Pour aller plus loin
- Sur youtube
L’empathie s’apprend et il n’est jamais trop tard (28 minutes, Arte)
- L’empathie, ça s’apprend, Demandez le programme
Malene Rydahl
Éd. Les Presses de la Cité
- Cultiver l’empathie à l’école
Omar Zanna
Éd. Dunod
- L’empathie
Serge Tisseron
Éd. Presses universitaires de France
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