Conférence Droits de l'enfant à Bordeaux, témoignage du jeune Mathéo
Protection de l'enfance

Santé mentale et vie privée des jeunes, les laissés pour compte des droits de l'enfant ?

Le droit à la santé, dont le droit d’être soigné, et le respect de la vie privée (dont le droit à l’image sur les réseaux sociaux) étaient au menu de la conférence « « Engageons-nous pour les droits de l’enfant », organisée par Apprentis d’Auteuil avec l’Ordre des avocats du Barreau de Bordeaux au conseil départemental de Gironde. Deux thèmes cruciaux pour la jeunesse.

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La santé mentale et le respect de la vie privée des jeunes (avec les risques liés aux réseaux sociaux) étaient au menu de la conférence coorganisée par Apprentis d'Auteuil et l'Ordre des avocats du Barreau de Bordeaux.

« La santé mentale des plus jeunes ne doit plus être un tabou ». Claire Hédon, Défenseure des Droits, avait insisté sur cette problématique dans son rapport annuel 2021. Le choix de cette thématique pour la conférence organisée par Apprentis d’Auteuil avec l'Ordre des avocats du Barreau de Bordeaux, au conseil départemental de Gironde, était donc plus que bienvenue. Jean-Marc Sauvé, président du conseil d’administration de la fondation, note d’emblée : « On estime que plus de 30% des enfants accueillis au sein de nos établissements souffrent de problèmes psychiques. Soit une proportion dix fois plus importante que pour le reste de la population ». Béatrice Geoffroy, infirmière scolaire aux établissements Saint-Joseph de Blanquefort, près de Bordeaux, le confirme : « Une vingtaine d’élèves est accueillie chaque jour à l’infirmerie pour des maux très variés dont beaucoup sont d’ordre psychosomatique : mal de tête, mal de ventre, difficulté à respirer… » Après neuf années de pratique professionnelle, elle observe une augmentation du mal-être des jeunes. Béatrice Geoffroy insiste sur la nécessité d’envisager la santé mentale comme un continuum, du repérage aux soins. Ce qui nécessite pour elle, un travail d’équipe de tous les acteurs de la protection de l’enfance : éducateurs, psychologues, direction…

Conférence Droits de l'enfant à Bordeaux, le docteur Cédric Galéra, pédopsychiatre et épidémiologiste
Le docteur Cédric Galéra, pédopsychiatre et épidémiologiste, alerte sur les risques qui pèsent sur la santé mentale des jeunes filles de 13 à 15 ans, lors de la conférence sur les droits de l'enfant à Bordeaux.
(c) Laurence Escorneboueu/Apprentis d'Auteuil

L’impact de la crise sanitaire sur la santé mentale des jeunes – des enfants aux étudiants – est un phénomène qui a été bien documenté et médiatisé, ce que souligne Cédric Galéra, pédopsychiatre et épidémiologiste, qui a noté une forte augmentation des urgences pédopsychiatriques dans son service de l’hôpital Charles-Perrens. Il alerte sur un public très fragilisé, les jeunes filles de 13 à 15 ans, dont les pensées suicidaires et les troubles du comportement alimentaire sont proportionnellement plus nombreux. Le médecin met en relief des causes multifactorielles qui créent un cocktail explosif et mènent au passage à l’acte. « En 2022, cet effet cumulatif se ressent particulièrement, puisqu’aux vulnérabilités psychosociales classiques s’ajoutent l’isolement social et la crise économique », explique-t-il. Le médecin pointe par ailleurs le manque cruel de pédopsychiatres en France, une remarque formulée vivement par de nombreux professionnels de la protection de l’enfance et par Mathéo, jeune accueilli par Apprentis d’Auteuil après une tentative de suicide, et qui a dû attendre des semaines avant d’être pris en charge.

Prendre en compte la parole de l’enfant

Illustrant le partenariat entre l’Ordre des avocats du barreau de Bordeaux et la fondation, Maître Isabelle Desmoulins estime que « la parole des enfants est encore difficile à faire entendre ». Or, elle souligne que le législateur cherche de plus en plus à intéresser le mineur à tout ce qui le concerne, dont la santé. Un mineur peut demander dans certains cas que l’autorité parentale soit tenue à l’écart des soins qui lui sont prodigués et de son dossier médical, une possibilité laissée le plus souvent à l’interprétation du médecin. L’avocate s’insurge des failles d’un système qui classe trop souvent sans suite les faits de violences sexuelles subies par les enfants.

Pour Jean-Marc Sauvé, l’objectif est de penser ensemble l’accompagnement éducatif et la santé mentale des jeunes. Ils font partie pour lui « d’un même protocole au service de leur bien-être ». Avec des réseaux sociaux accessibles à tous les âges sans barrières ni contrôles, le danger vient principalement de l’extérieur via les réseaux sociaux sous des formes multiples et variées : harcèlement moral ou sexuel, addiction, images violentes, etc. Il appelle donc à une vigilance accrue, à la nécessité d’informer et d’éduquer, et au besoin d’un cadre juridique adapté, sans oublier de prendre en compte la parole des enfants qui ont des choses à dire¹.

Jeux violents : attention à l'effet amplificateur des réseaux sociaux

Outil puissant, le numérique représente une arme à double tranchant. Préempté par les jeunes, il laisse les adultes souvent démunis. Marie Lacazette, directrice adjointe des établissements Saint-Joseph, reconnaît la difficulté à agir efficacement, malgré les efforts déployés : « Certains de nos collégiens participent à des jeux violents dans la cour de récréation véhiculés sur les réseaux sociaux. Les jeunes nous préviennent, tout comme l’ensemble du personnel. Nous intervenons aussitôt, mais dès qu’un jeu s’arrête, un autre prend la relève… » Les observateurs sont frappés par la violence accrue des pratiques actuelles et la rapidité de leur propagation. « Le rectorat nous alerte, poursuit la directrice adjointe. Nous faisons également intervenir des associations spécialisées pour prévenir des dangers et développer le vivre-ensemble. Parfois, nous devons également sanctionner », poursuit la directrice adjointe qui insiste sur la collaboration systématique avec les parents.

Les chiffres alarmants de E-enfance

Samuel Comblez, directeur des opérations E-enfance et psychologue de l’enfance et de l’adolescence, annonce des chiffres inquiétants quant aux violences numériques dont les jeunes sont victimes. Opérateur du numéro national gouvernemental 30 18, il recense des appels de détresse pour des enfants de plus en plus jeunes. Ce phénomène apparaît dès l’école primaire. Les faits sont, selon lui, de plus en plus graves : images de sexe ou de violence, incitation à la haine, pédophilie, etc. Le professionnel remarque également une augmentation conséquente du nombre d’appels de jeunes sur le point d’attenter à leur vie : cinq ou six par semaine. Une escalade que E-enfance explique par l’augmentation exponentielle du temps que les jeunes passent sur les écrans, mais aussi par la difficulté ou la frilosité des adultes à parler du numérique.

Conférence Droits de l'enfant à Bordeaux, Jean-Marc Sauvé
Jean-Marc Sauvé, président du conseil d'administration d'Apprentis d'Auteuil, insiste sur la nécessité de travailler ensemble, jeunes et communauté éducative, pour avancer sur ces sujets cruciaux de la santé et de la vie privée.
(c) Laurence Escorneboueu/Apprentis d'Auteuil

Sensibiliser les jeunes au risque pénal

Maître Marine Garcia alerte sur les nouvelles dispositions du législateur qui ne se limitent plus à punir sévèrement l’auteur de faits répréhensibles sur Internet et les réseaux sociaux, mais aussi celles et ceux qui relaient un contenu illicite et grave. « La diffusion d’images vidéo d’un viol est passible d’une peine de 15 ans de prison, souligne-t-elle. Celui qui renvoie le message risque la même sanction ».

Pour l’avocate, un travail sociétal en profondeur est indispensable, car les notions de virtuel et de réel sont floues chez certains jeunes qui n’ont pas la maturité affective et intellectuelle pour prendre conscience de leurs gestes numériques. C’est notamment le cas pour les photos reçues dans le cadre privé que le récipiendaire va rendre publiques, sans demander l’assentiment de l’envoyeur.

Autre point délicat soulevé par les interlocuteurs, l’accès des mineurs aux réseaux sociaux. Selon l’enquête de l’association Génération Numérique, 87% des enfants de 11-12 ans utilisent régulièrement au moins un réseau social en France. Or, la plupart des réseaux sociaux limitent l’âge d’inscription à 13 ans et un enfant de moins de 15 ans ne peut pas théoriquement s’inscrire sans l’autorisation des parents. Ce qui pose inévitablement la question d’un encadrement adapté sur ce sujet...

Jean-Marc Sauvé souligne l’impérieuse nécessité de trouver des solutions à ces situations par le dialogue et une réflexion commune entre la communauté éducative et les jeunes. « Nous devons toujours les regarder en face et poser tous les sujets sur la table en leur expliquant que nos actions ne visent qu’un seul objectif : leur intérêt ! »